L'occitan, une histoire

Réforme et guerres de religion (XVIe siècle)

En 1521, un moine allemand, Martin Luther, qui voulait réformer l'Église, est excommunié : la réforme ne se fera pas dans l'Église, mais en dehors, et contre elle. La plupart des hérésies qui l'avaient précédée au cours du Moyen Âge avaient succombé à la répression, mais il n'en va pas de même avec le mouvement lancé par Luther, qui trouve rapidement un écho dans la société du temps, en Allemagne d'abord, puis dans une bonne partie de l'Europe du Nord. La France est touchée dès le milieu des années vingt, à partir d'un cercle intellectuel domicilié à Meaux, mais les « réformés » du royaume suivent assez rapidement une voie qui les éloigne de la doctrine de Luther : à partir de 1536, ils trouvent leur théoricien en la personne de Calvin. D'abord reçue dans les milieux cultivés - cléricaux ou laïcs - ce que l'on va bientôt appeler le protestantisme se diffuse ensuite dans la société, un peu partout.

Carte des églises réformées en France en 1562 avec le "croissant" du protestantisme

Un peu partout : au départ, l'espace occitan est concerné au même titre que les autres régions : Montpellier et Toulouse, villes universitaires, sont touchées dès la fin des années vingt par la diffusion de livres hétérodoxes, mais les idées nouvelles sont aussi diffusées au même moment en milieu populaire par des prédicateurs venus de Lyon. Seul élément de spécificité au départ : le protestantisme rallie les derniers héritiers du valdéisme médiéval, retranchés dans leurs réduits montagnards des Alpes, ou dans les colonies qu'ils ont fondées à la fin du Moyen Âge en Provence et en Calabre (Guardia Piemontese). En 1532, un ancien du cercle de Meaux, Guillaume Farel, de Gap, les convainc de se rattacher au mouvement général - et du même coup leur impose de renoncer à leur propre littérature religieuse, en occitan, au profit des productions reformées rédigées en français...

Quelle que soit la façon dont elles arrivent, les idées nouvelles touchent des publics assez différents : il y a des universitaires ou des hommes d'Église férus de cet humanisme qui a conquis une bonne partie de l'Europe intellectuelle à partir du XVe siècle, il y a une partie (importante semble-t-il) de l'aristocratie occitane, il y a aussi des bourgeois séduits par le rapport à l'argent assez décomplexé qui caractérise la foi réformée : on les retrouvera à la pointe de l'activité économique à Mazamet, Nîmes, Montpellier, Montauban... Il y a aussi des éléments issus des classes populaires, quoique dans des proportions variables, les artisans d'abord, les paysans ensuite. Un certain anticléricalisme populaire joint au refus de la dîme perçue par l'Église favorise une adhésion parfois massive : à Ganges en 1580, seules quatre familles sur quelque cinq cents sont encore catholiques...

Bien sûr, le protestantisme ne balaie pas toujours le catholicisme aussi spectaculairement. D'une manière générale le Massif Central résiste, à quelques exceptions près en Gévaudan, Velay ou Vivarais. La Provence résiste également, avec violence, comme Toulouse où les intellectuels touchés par la Réforme sont promptement éliminés, quel que soit leur rang social. Et à Montpellier, si la Réforme recrute chez les universitaires et les artisans, les paysans des environs restent d'autant plus volontiers catholiques que leurs propriétaires sont protestants. On retrouve le même clivage social, encore plus durable, à Nîmes.

Les autorités, après avoir hésité un moment, semble-t-il, adoptent à partir de 1535 une politique répressive : les bûchers s'allument un peu partout, sans pouvoir arrêter la diffusion de l'hérésie. Progressivement, les positions se radicalisent. Dès 1536, le Parlement de Provence s'attaque aux Vaudois du Lubéron qu'une véritable expédition militaire massacre en 1545. Si leurs coreligionnaires des Alpes résistent, ceux de Calabre seront à leur tour décimés, mais par l'Inquisition espagnole, en 1561. La même année en France, la guerre ouverte entre les deux religions vient d'éclater. « Rasats » protestants et « Carcistes » catholiques s'affrontent militairement en Provence, tandis qu'au sommet de l'État un complot protestant pour prendre en otage le jeune roi François II et éliminer les Guise, ses conseillers ultra-catholiques, échoue et se termine en bain de sang. Dans la foulée, c'est dans l'ensemble du royaume que des bandes armées commencent à mener une véritable guerre, marquée des deux côtés par diverses atrocités. Les quelques tentatives du pouvoir royal pour imposer des trêves presque aussitôt rompues (1563, 1568) n'y changent rien.

Le camp protestant se sent d'autant plus fort qu'il bénéficie du ralliement de très grands personnages, comme l'amiral de Coligny, parfois membres de la famille royale, (Condé), ou comme Jeanne d'Albret, reine de Navarre, fille d'une sœur du roi de France François Ier, et épouse d'un prince Bourbon qui fait basculer dès 1561 ses domaines béarnais et gascons dans la Réforme.

Attaque d'une église par des protestantsInformationsInformations[1]

En 1570, une nouvelle trêve débouche en 1572 sur un mariage entre la sœur du roi Charles IX, Marguerite de Valois, et le fils de Jeanne de Navarre, le jeune Henri. On sait que ce mariage est aussitôt suivi à Paris le 24 août par le massacre de la Saint Barthélémy, qui élimine d'un coup une partie importante de l'aristocratie protestante, et déclenche en province, notamment à Toulouse, Albi, Gaillac, Bordeaux... d'autres massacres. La guerre peut donc reprendre, malgré des trêves (1574, 1576, 1577, 1580) presque immédiatement rompues.

La riposte des protestants prend une forme politique originale : une bonne partie de leurs positions du Nord du royaume étant tombées, leurs bastions les plus importants sont désormais au Sud, entre la Rochelle, Montauban, Montpellier et le Dauphiné. Ils vont unir ces bastions dans une coordination appuyée sur des instances représentatives, des États provinciaux, couronnées au sommet par un conseil exécutif et un chef militaire, le Protecteur. À noter que ce système n'exclut pas forcément les catholiques les plus modérés (ceux que l'on appelle en Provence les Bigarrats, en oc dans le texte, mais le sens est transparent), et leur laisse une place, notamment dans des tribunaux paritaires dans les villes contrôlées par cette fédération.

Avons-nous là l'embryon d'une « Occitanie » protestante prête à se séparer du royaume ? Non. D'abord parce que si les bastions sont occitans, les chefs ne le sont pas forcément : le titre de Protecteur est porté successivement par un Montmorency, gouverneur de Languedoc, puis par un Condé, avant de passer à Henri de Navarre qui dès 1589 est le prétendant légitime au trône de France. Et l'objectif ultime des protestants est de conquérir le trône de Paris... L'appartenance au royaume n'est pas plus remise en cause ici que dans le cas des révoltes populaires. De toute façon, les zones contrôlées par les protestants laissent subsister des poches de résistance catholique vigoureuse, soutenue par la Ligue créée par les Guise au niveau national en 1585, notamment à Toulouse et à Marseille où Casaux résiste jusqu'en 1596 à Henri de Navarre devenu Henri IV.

C'est seulement en 1598 que celui-ci, converti entre-temps au catholicisme, impose non sans mal son Édit de Nantes. Il garantit la liberté de culte aux protestants, mais seulement là où ce culte existe au moment de l'Édit ce qui interdit toute reconstitution dans les régions où il a été éradiqué, et revient à fixer pour longtemps la géographie du protestantisme en France, pour l'essentiel au Sud, le long d'un croissant qui part des Alpes, inclut les Cévennes, Nîmes et Montpellier, contourne Toulouse par Montauban, et descend la Garonne avant d'obliquer vers le Poitou, laissant en dehors quelques poches, notamment en Béarn. Dans ces zones l'Edit garantit aux protestants quelques dizaines de places fortes, les plus importantes étant la Rochelle, Montauban et Montpellier, avec une force militaire de quelques milliers d'hommes.

Massacre de la Saint Barthélemy, François Dubois, Musée cantonal des Beaux Arts, LausanneInformationsInformations[2]

Mais globalement, c'est malgré tout l'Église catholique qui est privilégiée: même dans les zones qu'ils contrôlent, les protestants doivent lui garantir la liberté de culte, et lui restituer les biens dont ils se sont emparés au fil des guerres. Le roi de France est forcément « Très chrétien » et dévoué au pape.

Au total toutefois, c'est bel et bien le pays d'oc qui apparaît comme le pays par excellence de la Réforme. Cela veut-il dire qu'elle est « occitane » ? Pas vraiment. La langue vulgaire qu'elle oppose au latin des clercs, c'est le français, même en Béarn, malgré une traduction des psaumes en oc et en basque. Notons simplement la résurgence curieuse, du côté de Toulouse notamment au cours des troubles, du souvenir de la Croisade albigeoise, brandie côté catholique comme un avertissement aux nobles qui soutiendraient l'hérésie, tandis que côté protestant, on cultive le souvenir de cathares considérés comme de respectables ancêtres, avant que peu à peu on les abandonne au profit des Vaudois...

De toute façon, la paix ne va pas durer...

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  2. source : wikimedia Licence : Domaine Public

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