L'occitan, une histoire

Les Occitans et la révolution (1789-1799)

Dans la pensée du pouvoir royal, les États généraux du royaume, convoqués pour le printemps 89 après pas loin de deux siècles de sommeil, devaient permettre de faire enfin accepter une réforme fiscale d'ampleur. On sait que ce n'est pas ce qui se passe en réalité. La remontée des cahiers de doléances venus de tout le royaume montre assez l'intensité des attentes des sujets. D'ailleurs ces derniers ne restent pas inactifs, comme en témoigne l'agitation qui touche un certain nombre de régions, notamment méridionales, la Provence en particulier, qui s'agitent dans les mois précédant la réunion des États généraux. Dès que le processus lancé par ces derniers commence à se bloquer, la déception est grande, et laisse vite place à la colère. L'été 89 est des plus troublés. La Grande Peur qui touche pratiquement tout le royaume débouche dans le Sud sur des initiatives d'autodéfense symbolisées par la création d'unités de gardes nationaux, et qui prennent vite des formes diverses, mais somme toute complémentaires : destitution des municipalités en place, destruction des documents recensant les droits seigneuriaux après la nuit du 4 août, enfin pactes fédératifs entre communautés puis entre provinces, inaugurés en novembre entre Vivarais et Dauphiné à l'Étoile, au nord-est de l'espace occitan, pactes confirmés nationalement par la Fête de la fédération du 14 juillet 90 à Paris.

Carte de France fédéralisteInformationsInformations[1]

Les Occitans participent donc à la Révolution, dès le début, parfois avec violence : à Nîmes en 1790, les protestants s'emparent de la municipalité : 300 morts. Et les attaques de châteaux se situent, comme par hasard, dans ce Sud-ouest qui se révoltait si souvent aux siècles précédents ; le rattachement du Comtat Venaissin et d'Avignon en 1791 se fait au prix de rudes affrontements armés. Mais à côté de ces incidents, on observe plus généralement la floraison dans le Sud de sociétés populaires liées aux clubs révolutionnaires - ou contre-révolutionnaires - de Paris, bien plus tôt et bien plus intensément que dans le Nord de la France : la tradition associative méridionale joue ici un grand rôle, comme le maintien d'une tradition de consulats villageois et de conseils des pères de famille qui préparent à la prise en main des municipalités sur le terrain.

En revanche, Languedociens comme Provençaux ou Béarnais abandonnent très vite leur revendication initiale de renforcement des États provinciaux. C'est que le système prévu par la constitution de 1791 améliore nettement la représentativité des pouvoirs locaux: à la place de la division entre ordres, Clergé, Noblesse et Tiers, on a un corps électoral censitaire, limité aux contribuables mâles, aux propriétaires en fait (l'égalité des citoyens reste formelle), mais homogène, qui élit ses représentants à tous les niveaux : communes, districts (arrondissements) départements - créés sur les ruines des anciennes provinces - sans oublier une Assemblée Législative à Paris, et un gouvernement responsable devant l'assemblée, le roi ayant perdu une bonne partie de ses pouvoirs, avant de disparaître du paysage (août 1792). Bref, le nouveau système, à ses débuts, donne aux territoires une autonomie dont la monarchie absolue les avait privés. Au départ, on peut donc considérer que la majorité de la population accepte le nouveau régime.

Mais le consensus ne dure pas. Il y a la question religieuse : la Constitution civile du Clergé (1791) le soumet à l'État, le pape passant à l'arrière-plan. Tandis que les « biens nationaux », le patrimoine de l'Église, est vendu aux laïcs qui peuvent l'acquérir. D'où un conflit précoce avec le Pape, dessaisi de sa maîtrise sur l'Église de France, et, concernant les biens nationaux, la déception de paysans qui voient ces biens acquis pour l'essentiel par des bourgeois des villes. Lorsque le pape ordonne à ses prêtres de refuser le nouveau système, pour beaucoup de catholiques cela entraîne la rupture avec la Révolution, et le soutien à des prêtres « réfractaires » qui retrouvent paradoxalement le fonctionnement clandestin de leurs ennemis pasteurs de l'époque précédente. Ainsi se met en place une géographie du refus - dans les montagnes du Massif Central, dans certaines zones de plaine - qui annonce les comportements électoraux des deux siècles suivants.

Autre élément de rupture : au printemps 1792, la France entre en guerre avec les États européens voisins. Cette guerre implique des moyens matériels et humains, donc des sacrifices qu'une partie de la population refuse, par exemple la levée en masse : or une des constantes des attitudes populaires sous l'Ancien Régime notamment au Sud était le refus de toute milice imposée d'en haut.

Enfin la radicalisation même du processus révolutionnaire induit des clivages dans le camp de ses partisans, entre ceux qui veulent l'arrêter, les modérés, et les autres. La proclamation de la République en septembre 1792 écarte les partisans d'une monarchie constitutionnelle. Au printemps 1792 dans la nouvelle assemblée, la Convention, l'aile droite, les brissotins ou Girondins, et l'aile gauche (les Montagnards) s'affrontent sur leur projet social - pour simplifier, le choix entre une République bourgeoise, et une république à base plus populaire, n'hésitant pas à intervenir dans le domaine économique et social. En juin 93, un putsch montagnard élimine une bonne partie des Girondins. Ceux qui s'échappent se replient sur des zones qu'ils pensent pouvoir contrôler, notamment dans le Sud : commence alors l'insurrection fédéraliste qui va occuper tout l'été 93, de Bordeaux à la Provence en passant par une partie du Languedoc.

Il ne s'agit pas, bien sûr, d'un mouvement séparatiste : comme la coordination protestante des provinces méridionales au XVIe siècle, il s'agit d'établir une base de départ pour l'essentiel : la reconquête du pouvoir central. L'opération échoue, au prix de quelques batailles rangées entre armée régulière et troupes « fédérées », d'autant plus que Toulouse, Montpellier et la Drôme constituent des points d'ancrage montagnards qui interdisent tout contrôle de l'ensemble du territoire par les fédéralistes. Fin 1793, leur dernier bastion, Toulon, est repris. La répression est féroce et fait des milliers de morts dans tout le Sud.

Ce qui ne signifie pas la fin des conflits. On peut dire que le Midi est en guerre civile, de façon moins intense que l'Ouest vendéen et chouan peut-être, mais sur des territoires plus étendus, et plus longtemps. Il y a des maquis contre-révolutionnaires qui résistent longtemps dans le Massif Central, il y aura des bandes monarchistes dans la vallée du Rhône ou de la Garonne jusqu'à la fin du siècle, et des bandes « jacobines » qui peuvent survivre à l'élimination des Montagnards à Paris, et à une « Terreur blanche » qui en 1794-95 frappe « jacobins » et protestants confondus dans une même haine par un petit peuple catholique et monarchiste à Nîmes comme en Provence. Bref, la violence règne dans ce Midi - le mot vient d'être inventé et popularisé - revitalisant le cliché de la « vivacité » et du refus de toute autorité d'État tel qu'il fonctionnait dans le discours des élites du Nord sous l'Ancien Régime. Dans la France Une, il reste donc un Nord et un Sud.

Car s'il n'y a nulle revendication particulariste dans ce Midi, la question de sa culture propre ne s'en pose pas moins, de façon d'ailleurs contradictoire. La langue d'oc peut être utilisée dans la propagande, côté monarchiste comme côté révolutionnaire, voire montagnard.

C'est un révolutionnaire languedocien, Lavabre, qui invente dans une chanson en occitan le personnage de Marianne comme personnification de la République. Mais les élites révolutionnaires, de culture française, considèrent les « patois » comme un obstacle à la diffusion des Lumières, et comme un héritage du passé féodal qui doit disparaître comme tout ce qui renvoie à l'ancien temps. C'est le sens du rapport Grégoire sur l'anéantissement des patois et l'universalisation de la langue française de la fin du printemps 94 : pas question de laisser une place à la langue du peuple ; c'est au peuple d'acquérir la langue des élites éclairées, et donc, espère-t-on, leur vision du monde du même coup.

Chanson de MarianneInformationsInformations[2]

Parallèlement, la démocratie locale instituée aux débuts de la Révolution ne survit pas à la guerre civile. À partir de 93, le pouvoir montagnard, face aux soutiens que les fédéralistes ont trouvés dans certaines administrations locales dans le sud, décide une épuration de ces administrations, et leur remplacement par des militants sûrs, sous le contrôle de représentants en mission, Conventionnels descendus de Paris. Plus question d'élection alors. La fin des Montagnards ne débouche pas sur un retour à la situation antérieure, et, au final, lorsque le général Bonaparte prend le pouvoir par un putsch qui met fin au régime du Directoire, il ne lui reste plus qu'à confier l'administration locale à une hiérarchie de préfets, sous-préfets et maires des communes tous nommés et contrôlés par le pouvoir central : la fameuse centralisation « jacobine », bonapartiste en fait, est en place. Elle a de beaux jours devant elle, comme la lutte contre les « patois ».

Cela dit, il ne suffit pas de proclamer l'unité et l'homogénéité de la France une et indivisible pour que la différence occitane s'efface comme par miracle. Elle se maintient donc, sous diverses formes dans les deux siècles qui suivent la Révolution.

  1. Auteur du fond de carte : TomKr - Source : Wikipedia

  2. Licence : Domaine Public

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