Les premiers signes d'une renaissance littéraire

Un peu plus de deux siècles après avoir été évincée des usages officiels écrits, la langue occitane a donc fini, au moment de la Révolution, par faire l'objet d'un bannissement officiel. Elle est privée du droit d'être simplement une langue parlée, transmise par une population qui, de génération en génération, n'a pas connu d'autre usage linguistique et n'aura d'ailleurs pas d'autre choix jusqu'au moment de la scolarisation obligatoire. Frappé du sceau de l'indignité, l'occitan sera de plus considéré comme une langue inférieure par ses propres locuteurs. C'est justement dans cette période critique pour la langue qu'un certain nombre de lettrés tentent de prouver que l'occitan n'a pas encore dit son dernier mot.

Dictionnaire languedocien-français de l'abbé de Sauvages
Dictionnaire languedocien-français de l'abbé de SauvagesInformationsInformations[1]

Le Dictionnaire languedocien-français de l'abbé de Sauvages se situe dans la lignée des « gasconnismes corrigés » destinés à corriger les « fautes » de français commises par les populations occitanophones. Même si pour Sauvages le français est une langue littéraire, bref une langue « sérieuse » - ce qui justifie que tous puissent accéder à sa connaissance - , l'occitan reste cependant la langue locale qui s'utilise dans le Midi à tous les échelons sociaux, mais ses usages sont clairement limités à certains domaines au sein d'une économie linguistique diglossique qui assigne clairement le rôle de chacune des langues. Dans la préface de la première édition de 1756, Sauvages nous donne un aperçu de ce qu'a dû être la situation sociolinguistique du Languedoc au XVIIIe siècle (Sauvages 1785, iij) :

La langue de la capitale a gagné depuis bien moins de temps les Provinces les plus reculées ; le goût de la littérature française s'y est répandu peu à peu ; cependant le languedocien est, encore aujourd'hui, non seulement la langue du peuple, c'est aussi celle des honnêtes gens qui ont été élevés dans cette Province, c'est la première qui se présente, et qu'ils emploient plus volontiers, lorsque, libre des égards qu'on doit à un supérieur ou de la gêne que cause un étranger, ils ont à traiter avec un ami ou à s'entretenir familièrement dans leur domestique. Le français, qu'ils ne trouvent guère de mise que dans le sérieux, devient ainsi pour la plupart une langue étrangère ; ils forcent nature lorsqu'ils y ont recours.

Même si au bout du compte, l'abbé Sauvages ne conteste pas la prédominance du français, il tient à distinguer le "languedocien" ou l'ancienne langue d'oc de ce que l'on a tendance à appeler "patois" , une appellation dévalorisante qui, bien qu'elle ne désigne aucune langue en particulier, sera dorénavant pratiquement la seule en usage et persistera jusqu'à nos jours dans la bouche même des locuteurs des diverses langues régionales de France. Tout en privant la langue de nom, le terme de « patois » prive les locuteurs de la possibilité de s'identifier à un groupe linguistique.

Dans l'article "PATËS" de son dictionnaire, Sauvages évoque les conditions historiques qui ont conduit au déclassement linguistique de la langue d'oc face au français :

PATËS, ou patoués. Le mot patois est un terme général qu'on applique aux différents jargons grossiers & rustiques que parle le bas-peuple, soit dans les Provinces, soit dans la Capitale [...].Il n'en est pas de même du gascon, ou languedocien auquel est donné la dénomination de patois dans une espèce d'avilissement, par l'oubli où il est tombé depuis environ un siècle, faute de culture, ou d'encouragement ; tandis que depuis la même époque, on s'est appliqué à perfectionner la langue françoise qui a fait presque éclipser son ancienne rivale & qui la fait de plus en plus dédaigner. Le languedocien quoique négligé & en partie dégénéré, n'en est pas moins une langue à part, loin d'être le patois d'une autre : langue aussi bien à soi que puissent l'être aucune de celle d'Europe, & qui a ses termes propres, sa syntaxe, & sa prononciation entièrement étrangères au françois, & dont le génie, le tour de phrases & des constructions sont si différentes de cette dernière langue, qu'on les appelle gasconismes lorsqu'ils s'y trouvent mêlés. [...] Il n'y a pas de doute qu'il a manqué à ce prétendu patois pour devenir la langue dominante du royaume que de s'être trouvé dans les mêmes circonstances qui ont favorisé les progrès de la langue françoise, ou que nos Rois eussent pris pour la Capitale de leur Empire & leur séjour ordinaire, une des villes de la Langue-d'oc : c'est bien alors que la Langue-d'oïl eut été regardée à plus juste titre, comme un jargon grossier et rustique.

Sauvages 1785, PATËS

Ces remarques de Sauvages sont le signe de l'intérêt progressif que l'on retrouve pour l'occitan. En même temps qu'il ouvrait "la chasse au patois", Grégoire a aussi paradoxalement et involontairement suscité l'intérêt d'un certain nombre d'érudits pour la langue d'oc. À travers la redécouverte des manuscrits médiévaux (archives notariales ou municipales, chansons de Trobadors, etc.), on redécouvre peu à peu que le "patois" est une langue véritable. Le phénomène est particulièrement marqué chez les philologues français (Nodier, Fauriel, Raynouard, Rochegude, Fabre d'Olivet).

  1. Source : Google Books Licence : Domaine Public

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