L’imaginaire de la garrigue |
Ce titre est emprunté à une série de rapports commencés par Roland Pécout en 1989 et menés à leur terme en 1995 sur commande de la DRAC. Languedoc-Roussillon et l'Office Départemental des Affaires Culturelles (ODAC Hérault). Ces rapports ont été déposés à la DRAC où ils sont mis à la disposition du public. Le premier rapport, en 1989, porte sur « la garrigue, lieu du récit », et se présente comme une « recherche textuelle ». Roland Pécout précise dans le préambule : Le champ d'investigation comprend les œuvres de création (littérature, films, peinture), ainsi que les textes documentaires, en relation avec la garrigue comme espace de l'imaginaire. La plupart des œuvres citées sont récentes. C'est qu'une représentation repérable de la garrigue comme lieu particulier et descriptible ne commence véritablement qu'au début du vingtième siècle. Antérieurement, la garrigue n'est pas « mise à part » dans les textes, elle est décrite en fonction de son usage et non en fonction de sa spécificité ; elle fait partie alternativement de l'ensemble des « landes », ou de l'ensemble des « forêts » ou de l'ensemble des « déserts ». En 1990 : Roland Pécout remet à la DRAC son deuxième rapport, consacré à la pierre sèche. Comme les autres travaux ethnologiques de Roland Pécout, celui-ci articule une documentation technique et historique extrêmement précise aux représentations de l'imaginaire collectif. Cette articulation est perceptible dès la première page :
Un des éléments les plus intéressants de cette étude, c'est la réflexion intitulée « Les figures du Désert », page 7 et suivantes, sur le couple désert / oasis qui est au cœur de l'imaginaire de Roland Pécout. Pécout examine plusieurs occurrences de l'adjectif « sec » dans l'imaginaire méditerranéen, citant Jean Henri Fabre, ou Max Rouquette. Ainsi, note-t-il, la « pierre sèche » n'est pas seulement une expression technique neutre, elle renvoie, par le fonctionnement langagier, à l'imaginaire du Désert. Pécout se donne pour objectif d'étudier ce champ symbolique, évoquant tout d'abord les trois religions monothéistes - nées en Méditerranée -, et opposant leurs soubassements culturels à ceux des religions des zones fertiles, luxuriantes (Inde et Amérique précolombienne notamment). Ces pages rappellent Portulan dans lequel l'écrivain s'imprégna de ces deux types de spiritualités, en montrant leur lien à l'espace dans lequel elles sont implantées. Après cette mise en perspective, et une évocation plus rapide des carrières et de leur imaginaire, Roland Pécout se penche sur les usages de la pierre sèche à propos desquels il s'interroge : continuité intemporelle ou fil d'histoire ? Il démonte le vieux mythe arcadique selon lequel les capitelles rencontrées dans la garrigue seraient des constructions de bergers, multiséculaires, et, documents à l'appui, il démontre qu'elles étaient le fait de cultivateurs, achevant ainsi sa démonstration : ...la mémoire a laissé de côté le travail des brassiers. Elle a effectué un déplacement, peuplant les garrigues de bergers bâtisseurs, nomades, initiés, de bergers réinventés, rêvés, et absents. C'est la compensation d'un refus : celui de se souvenir du travail et de la misère des paysans sédentaires. Et c'est la compensation d'un regret : celui de voir ces Oasis entretenues au cours des siècles se fondre maintenant dans les broussailles (pp. 37 - 38). L'étude s'achève sur une synthèse en deux parties : « Des mots... » « et des formes ». Comme le disent ces titres, il s'agit d'un recensement des termes employés pour nommer les constructions de pierres sèches, ainsi que des différentes architectures désignées par ce vocable. L'œuvre de fiction de Roland Pécout nous offre un bel exemple de rêverie sur la pierre sèche. Il s'agit des chapitres X et XI de L'Envòl de la tartana (pp. 79 - 94), notamment la page 80 qui décrit lo vilatge negre [Le village noir]. Roland Pécout s’est inspiré du Village Noir, près de Gordes, dans le Vaucluse, important ensemble de constructions de pierre sèche : A tres cents mètres darrièr lo pòste de garda, lo masatge de las Capitèlas dobrissiá la boca sorna de sos pòrges, arborava sos capèls ponchuts. Una trentena de casals formavan un vilatge, amb a l'entorn un airòl pavat per escodre, un forn traucat que racava de tèrra negra, de jaças, de faissas... Et l'imagination de Pèire-Joan, le personnage principal, se met à reconstituer la vie des habitants... Dans un reportage de 1981 (Connaissance du pays d’oc, 52, novembre – décembre 1981, pp. 34 – 41.), « Dérive autour de Gordes en Vaucluse », Pécout décrivait le même « village noir », et le faisait revivre sous nos yeux : Les enfants pieds-nus qui s’interpellaient en provençal, les paysans revenus des champs, les femmes sur le pas de leur porte, qui habitaient là il y a encore cinquante ans, ne nous accueillent pas. On s’étonne presque de leur absence. Ces gens vivaient là en autarcie, pauvres, en cultivant les terrasses, en élevant les magnans et les abeilles, en récoltant les olives et les amandes, en faisant leur pain. Les moutons, les cochons, les chèvres circulaient dans les ruelles où les eaux usées suintaient pour aller se perdre : couleurs violentes d’un tiers-monde imaginé, rumeurs d’outre temps usées dans la mémoire des pierres. Le chant des insectes a restitué le silence. Le site était habité depuis la préhistoire (on a retrouvé des silex taillés et une hache de bronze). Puis les bories, reconstruites de génération en génération, ont abrité des marginaux ou des proscrits : certains supposent que les habitants des villes provençales fuyant la peste ont pu se réfugier en de tels endroits ; et les paysans pour qui, à d’autres époques, les limites du monde étaient les limites de leur clairière, qui étaient-ils, pour vivre dans ce village « parallèle », sans église et sans cimetière, dans cet îlot à demi oublié ? Ils vivaient « au Désert », et aujourd’hui le désert a repris ses droits (pp. 38 - 39). Il faut noter que l’intérêt de Roland Pécout pour le travail de la pierre sèche est ancien puisqu’il y avait consacré une chronique « Agach Occitan » en 1977 (Connaissance du Pays d’oc, 26). Nous en citerons le début et la fin, où la rêverie - réflexion du poète encadre une étude historique, ethnographique et technique : En 1991, Pécout achève son 3ème rapport sur l'imaginaire de la garrigue. Celui-ci, essentiellement constitué de documents, est consacré aux feux de forêts. La contribution personnelle de Pécout comporte 37 pages y compris les pages de titres. Elle s'ouvre sur l'évocation de l'ambivalence du feu dans la civilisation méditerranéenne : …il est le centre vital du « foyer » (depuis l'autel domestique des gréco-romains jusqu'au cacho-fio de la tradition populaire). Mais son double, le feu « cosmique », est un enjeu de puissance et suppose une concurrence entre les hommes et les dieux. [...] Et le feu aux mains des hommes, en dehors des foyers domestiques, est toujours marqué par l'incertitude et le danger (p. 1). On désigne par « cacho-fio » la grosse bûche qu’on met au feu, en grande cérémonie, la veille de Noël. Le Théâtre de la Carrièra en donna une interprétation modernisée dans sa pièce La Pastorale de Fos (Paris, P.J. Oswald, 1975) Il est à noter que dans l’œuvre poétique de l’écrivain c’est le pôle positif de l’ambivalence du feu qui prédomine : le feu régénère, il détruit ce qui devait être détruit pour faire place à de nouvelles naissances. Ainsi dans Mastrabelè (1999) :
Pour Pécout, les dangers du feu ne semblent pas concerner les mêmes cibles dans les pays du nord et dans les pays du sud : Au nord, « Qu'est-ce qui brûle ? C'est la ville. C'est l'œuvre de l'homme ». Au sud, « Qu'est-ce qui brûle ? Ce sont les arbres, la forêt » (p. 2) Les risques liés au feu, et la maîtrise du feu et de ses risques, sont un enjeu de civilisation qui l’amène à conclure : Les hommes du pays des garrigues savent cela intuitivement, eux, depuis trois mille cinq cents ans. Le passage de l'intuitif au conscient, avec tous les problèmes que cela pose, nous pouvons y assister depuis quelques années. On ressent de façon large le besoin d'un concept « espace méditerranéen », qui mette en perspective, et qui lise en interaction, les diverses formes de la garrigue, les plaines cultivées, le littoral, et même les villes. La garrigue, centrale géographiquement, et centrale comme terre de mémoire et d'espace, est à même de donner à cet Espace méditerranéen, sa profondeur de champ indispensable. Le feu dévorant est l’objet d’un chapitre de L'Envòl de la Tartana ; il est d'abord évoqué sur un plan général : Mais le feu constitue aussi un événement particulier central dans le roman, occasion initiatique supplémentaire pour le héros : le chapitre suivant intitulé : "Renàisser" :
En 1995 : Roland Pécout remet à la DRAC son quatrième rapport sur l'imaginaire de la garrigue, intitulé : « Le désert et l'oasis ». Cette relation dialectique est étudiée dans le cadre d'un travail synthétique sur les représentations - populaires et savantes - de la garrigue, étudiées dans leur évolution historique : En garrigue, les établissements humains sont installés autour de points d'eau en général naturels, depuis le néolithique [...] Aujourd'hui, les usagers de la garrigue connaissent bien cette opposition du « sec » et du « verdoyant ». Les publications destinées au public des sportifs et des promeneurs en témoignent comme d'une identité, dont il s'agit de rendre compte. Roland Pécout repère dans les publications à grand public les signes souvent stéréotypés qui désignent la garrigue. Il remarque que les signifiés du désert et de l'oasis peuvent s'incarner en de multiples signifiants, ainsi des couleurs, et des objets qui utilisent le minéral. Ces représentations, qui privilégient le pôle du désert, renvoient souvent l'oasis dans un ailleurs :
Un des aspects de ce rapport qui éveille des échos nombreux par rapport à l'œuvre de fiction de Pécout est la façon dont il décrit la grotte, élément fondamental du paysage calcaire des garrigues :
Voilà qui ne manquera pas de rappeler aux lecteurs de L'Envòl de la tartana le chapitre V « L'òme que dança » [L'Homme qui danse] (pp. 38 - 45) où Pèire-Joan se perd dans la grotte du Causse. |