Roland Pécout

Un écrivain voyageur

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Roland Pécout et Max Rouquette

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photo Pecout et Rouquette
Roland Pécout et Max Rouquette à Gardies
Argelliers, Hérault - 1994 -
photo MJ Verny

 

Comme il le dit dans l’entretien, Max Rouquette compte parmi les écrivains qui ont servi de phares à Roland Pécout. L’œuvre immense de Rouquette que la critique commence à découvrir est de celles qui ont orienté la littérature occitane contemporaine ( visitez le site consacré à Max Rouquette).

[Renvoi visionner la vidéo « influences littéraires »]

Connaissance du pays d'oc 49 Connaissance du pays d'oc 49

Dans son travail de critique et de journaliste, Pécout a beaucoup écrit sur Max Rouquette et son œuvre. Le premier article date de 1981 (n° 49 de la revue Connaissance du pays d’oc). Il s'agit d'un reportage en français intitulé « Max Rouquette et son "vert paradis" ». À noter le dialogue littéraire auquel se sont livrés les deux écrivains : Dans Verd Paradís V, Las Canas de Midàs, coéd. Occitània / IEO, Max Rouquette fait un récit poétique et amusant de cette excursion pendant laquelle il guida Pécout et le photographe Harold Chapmann. (p. 88 à 92).

Le titre choisi par Pécout fait évidemment allusion à Verd Paradís, l’œuvre majeure de Max Rouquette, qui a connu plusieurs éditions, en occitan, en français et dans d’autres langues.
traductions Vert Paradis traductions Vert Paradis

Editions de Verd Paradis, en occitan, français, bulgare, allemand, néerlandais.

Le reportage s’ouvre par cet avant-propos :

Nous accomplissions un voyage : voyage sur les chemins du conte, aux franges du rêve et de la réalité. Nous venions avec le profond désir de trouver les sources, dans la terre sèche, écartant les pierres au Pays des Buissons. Nous marchions à travers l'air sec comme une branche, écoutant les silences changeants du pays. Et nous venions d'un grand livre : ce « Vert Paradis », de Max Rouquette, qui nous servait de carte et de clé...

La forme du voyage est privilégiée par le chroniqueur : l'article relate cet itinéraire où lui-même et son photographe sont guidés par Max Rouquette à travers les lieux-clés de sa création : le Larzac, de La Couvertoirade à Grailhes, domaine habité par les ancêtres de Max Rouquette, le Mas de Gardies, et enfin le village d'Argelliers.

L'article évolue entre description des lieux visités, citations de l'œuvre de Max Rouquette et analyses de celle-ci. À lire ces pages de Pécout, on est frappé de la confluence des échos de l'œuvre de Rouquette et de la propre vision du monde du chroniqueur. Ainsi de cette description du hameau de Gardies, près d’Argelliers, un des cœurs de l’œuvre rouquettienne :

Le moutonnement des forêts de chênes verts se troue de clairières où d'anciens jardins achèvent de retourner à la friche. Des murets s'éboulent, siècle à siècle. Parfois, la végétation se concentre en d'impénétrables maquis, en broussailles de rabissane et de salsepareilles où le tunnel va se perdre. Des mûriers relatent la prospérité passée des vers à soie ; ils ressemblent à des sentinelles boursouflées et mortes. Les cades sentent bon et se mêlent au térébinthe qui perd ses feuilles en hiver, et à son faux jumeau le lentisque, qui les garde. Les oliviers se sont ensauvagis. L'herbe verte des talus, au milieu de la sécheresse, annonce l'efflorescence de l'eau, et la nappe souterraine remonte par un laquet construit en pierres et par quelques puits demi comblés. La terre est de plus en plus jonchée de débris de pots vernissés. D'immenses rouvres abritent les oiseaux, des micocouliers font une ombre inutile ; le chemin se finit en aire pavée où, autrefois, on battait le grain des moissons. Et, devant nous, émergeant de la végétation, les ruines de Gardies sont un squelette de hameau, une ruche morte peuplée de fourmis. Les constructions plus ou moins délabrées, les bâtiments plus ou moins éventrés par les sureaux, s'ordonnent en un savant labyrinthe. Sous les grandes voûtes de pierres sèches, il fait une fraîcheur de remise. Là, on faisait le vin, là, on cuisait le pain ; là, on gardait les bêtes. Dans ce domaine autarcique, au début du siècle, cinquante hommes, femmes et enfants s'activaient encore. Quelques carreaux verts de Saint-Jean-de-Fos finissent de s'écailler en bas d'un mur dans ce qui était autrefois l'ombre bonne des cuisines...

Caractéristique de Pécout cette attention apportée au détail concret, cette quête inlassable du vivant parmi les traces mêmes dérisoires que celui-ci a pu laisser. Regard de l'écrivain passionné d'archéologie et d'ethnologie. Caractéristique aussi cette concision de la phrase qui refuse la lenteur rhétorique, et recherche l'image concrète elle-même signifiante d'une vision du monde, qu'il s'agisse de la « ruche morte peuplée de fourmis », ou de « l'ombre bonne des cuisines ». Mais, au-delà de sa propre perception du paysage de Gardies, Pécout décrit avec justesse la transmutation de ce paysage opérée par la peinture que Max Rouquette a su en faire :

Gardies... à la lumière de l'œuvre de Max Rouquette, c'est le prototype de toute ruine, le chemin du temps qui court et ne s'arrête pas ; c'est la saisie de la transformation en désert d'un pays, la lecture de la croissance de l'entropie. Aucune nostalgie, aucun regret, aucun arcadisme. Simplement, l'écrivain et l'écriture prennent la mesure, ici, du périssable, se ressourcent dans l'impermanence sous les spectres de pierre de l'éternité. Tout ce que l'homme bâtit est frappé de cette insignifiance, et cette « dissolution » de Gardies, cette figure de craie après la fin de l'homme, on sent qu'elle est présente comme une prophétie dans bien des textes du livre, qu'elle hante par avance toute entreprise sociale, qu'elle éclaire de son reflet aussi bien la page splendide du « château de Don Quichotte » que Cendre Morte et autres récits de la Maison des Exclus, que le Champ de Sauvaire ou que les Textes des Sources. Car il y a, discrètes, les sources ; toujours vivantes quand sont morts ceux qui la canalisaient, cette sève de l'eau est prête à toutes les naissances, à tous les recommencements. Un jour... Un peu d'espoir pour « moraliser » l'oeuvre ? Non. Max Rouquette n'est pas un moraliste de l'espoir. Dans toute sécheresse, il y a, quelque part, des sources. Elles sont consubstantielles au désert. Ça n'est pas de la littérature. C'est tout simplement comme ça.

Entre 1993 et 2008, Pécout a participé à plusieurs événements publics consacrés à cette œuvre. Ainsi, en 1993, a-t-il présenté à l'Espace République, à Montpellier, l'exposition qu'il avait conçue autour de Max Rouquette, dans le cadre d’une série d’hommages rendus à l'écrivain par la Région Languedoc-Roussillon. Cette exposition réunit des textes de Rouquette ou d’autres écrivains en écho avec son œuvre et d'autres qui sont présentés comme un hommage. Elle est illustrée de dessins, peintures et photographies. Aucun catalogue n’a été réalisé à partir de cette exposition ; nous disposons d’un dépliant illustré réalisé à Montpellier conjointement par « Images d’oc » et « Yinyang » à la demande de la Région Languedoc - Roussillon. Les textes ont été choisis par Roland Pécout ou écrits par lui-même. Ce choix, s’il est tout à fait en phase avec l’œuvre de Rouquette, est tout autant révélateur de la vision du monde pécoutienne. Le dépliant s’ouvre ainsi : Selon l’image du Zen japonais, si on observe un brin d’herbe assez longtemps, on finit par y découvrir tout l’univers. Garrigues, Causses, villages de l’arrière-pays, et toute la mémoire de l’enfance : le paysage géographique et humain de Max Rouquette est enraciné, réel. Mais le regard a travaillé comme dans la légende Zen. Le territoire de l’écriture s’est élargi jusqu’à devenir le monde intérieur de chacun… et se poursuit sur trois volets, dont chacun met en valeur l’ambivalence des choses et du monde à travers un texte en deux versions, occitane et française. Nous donnerons ces deux versions, notamment parce que c’est de leur confrontation que naît le sens, Pécout refusant, une fois de plus, la traduction littérale (que nous donnerons si nécessaire entre crochets) :

Premier volet du dépliant : Le désert et l’oasis. / La secada e las fonts [La sécheresse et les sources]

riviere riviere
Sécheresse Sécheresse

L’Eden perdu dont le regret illumine les proses de Vert Paradis est un double de l’oasis. Le désert est aimé parce qu’il contient les sources : comme la garrigue piquante cache ses résurgences, comme la sécheresse du Midi contient en son centre une fontaine, comme la vie contient son mystère, et le sommeil, le rêve. Le désert et l’oasis de Max Rouquette sont ceux que connaissent les pays méditerranéens depuis des millénaires.

L’Eden perdut que sa languison esclaira las pròsas de Verd Paradís, aquò’s lo parangon de l’oasís. Lo desèrt es aimat per çò que rescond las fonts : coma la garriga espinosa amaga sas sorgas, coma la secada de Miegjorn conten al bel mitan son grifol, coma la vida apara son mistèri, e la sòm, los sòmis. Lo desèrt e l’oasís, a cò de Max Roqueta, son aqueles que coneisson los païses miegterrans dempuèi de millenaris.

Deuxième volet : La maison ventre ouvert. / L’ostal ventre badant.

ostal ventre badant ostal ventre badant
ostal ventre badant ostal ventre badant
La maison, le village, la ville : espaces communautaires où la vie se joue comme dans un théâtre. Autant que huis clos où des fulgurances tournoient pour chercher l’air libre. Et au cœur de l’imaginaire, la grande Maison abandonnée, secrète, caisse de résonance de tous les bruits. L’ostal, lo vilatge, la ciutat : espacis comuns onte la vida fa sa jòga coma en un teatre ; tot ensems : gàbia clausa onte de lusors flambejan per se deliurar [Cage close où des lueurs flamboient pour se libérer]. E au còr de l’imaginari : l’Ostalàs abandonat, secret, cisterna de resson per totes los bruchs.

Troisième volet : Le chant de la vie, le silence du monde / lo cant dau viure, lo silenci de las causas.

foret foret
foret foret
La vie naît de la vie, et s’y dissout. Dans le murmure constant des bêtes et des arbres, dans les garrigues profondes ou les plateaux déserts, la lumière du rêve est la couleur la plus exacte du réel. Entre remous et silence du monde, l’homme cherche sa présence. Il est en chemin, c’est un pèlerin qui passe. La vida nais de la vida, e i tòrna. Dins lo vonvonadís sens pausa de las bèstias, dels aubres, dins las garrigas fonsas o los Causses desertats, lo lum del sòmi es la color mai veraia de la realitat. Entre lo bolegar de la vida e lo silenci del mond, l’òme bosca sa preséncia. Es un romiu. Un passant que s’encamina.

Les lecteurs de Max Rouquette pourront témoigner de la justesse de ces quelques notations qui rendent compte de façon synthétique d’une œuvre foisonnante. Le fait que Pécout lise cette œuvre à travers le prisme de sa quête universelle de l’ambivalence des valeurs, des êtres et des choses est une des clés les plus pertinentes pour ouvrir l’univers rouquettien.

Le verso du dépliant se présente comme une carte de l’espace rouquettien, du Larzac à la Camargue, sur laquelle s’inscrivent des citations de l’œuvre, que complète une liste des inspirateurs et écrivains totems : Max Rouquette a fait son pain et son vin de quelques écrivains dont il se sentait frère ; ils font partie de la Genèse de son monde, comme le pays, comme l’enfance, comme le travail de l’imaginaire…

Sont tour à tour convoqués Faulkner, Synge, Joyce ou O’Casey (écrivains irlandais), Dante ou Joseph d’Arbaud, à propos duquel on note ces propos : Sa Bestio dóu Vacarès est une quête du monde à jamais inachevée. La Camargue, pays de mirages, comme l’écriture, est un bout du monde. Les chemins de la terre y deviennent des chemins intérieurs.

Pécout ajoute l’allusion aux explorateurs des mythologies universelles que sont Jung, Frazer et Eliade. La façon dont il présente leurs recherches en dit long sur une vision du monde partagée : C.G. Jung, J. Frazer, Mircea Eliade : l’exploration des mythes et de la psyché rapproche les cultures à travers leur infinie diversité. Au-delà des manipulations religieuses ou mondaines, les images mythiques sont communes à tous les hommes.

Dans le cadre de l'exposition figuraient trois poèmes de Pécout, en vers libres, intitulés « Blason dei De Graille » [Blason des De Graille], « Cementèri eretge » [Cimetière hérétique], et « Lausas » (ce mot pouvant se traduire par « Dalles » ou « Lauzes »).

armoiries_de_la_maison_des_grailhe armoiries_de_la_maison_des_grailhe

 

Les deux premiers sont suivis de l'indication : « La Covertoirada dau Larzac » [La Couvertoirade du Larzac]. Ils portent le souvenir de l’excursion - reportage pour le compte de la revue Connaissance du Pays d'oc. Dans ce reportage, Roland Pécout raconte comment Max Rouquette avait lui-même décrypté le blason des De Graille, qu'il présente comme ses ancêtres. Roland Pécout, quant à lui, intègre ce mythe fondateur dans sa mythologie personnelle : unité du monde cosmique, échos des cultures par-delà les espaces (les traductions sont de MJ Verny) :

 

Un arbre est moitié air dans ses branches
moitié terre dans ses racines

Là-haut deux oiseaux – des corneilles – se sont posés sur les branches
sous l’étoile d’un ciel muet, d’un ciel de pierre.
Le Drac devient sève, et la sève, oiseaux.

Un arbre es mitat d'er dins sei brancas,
mitat de terra dins sei rasigas [...]

Amont dos aucèus - de gralhas - se son pausats sus lei brancas,
sota l'estela d'un cèu mut, d'un cèu de pèira.
Lo Drac ven saba, e la saba, aucèus. [...]

La strophe centrale suffirait à elle seule à présenter cette vision du monde :

Noire la racine au fond, noir le ciel profond.
Toutes les fois que tu reviendras au Drac pour remonter dans l’arbre, tu feras tourner la terre.

Negra la rasiga au fons, negre lo cèu prigond.
Totei lei còps que tornaràs au Drac per remontar dins l'aubre, faràs virar la terra.

Et la dernière strophe fait le lien avec la culture Maya, notamment le roi Pacal, de la cité de Palenque, dont Roland Pécout nous a dit que :

dans le bas-relief qui le représente, il tombe dans l'inframonde, où l'attend le monstre de la terre pour se l'incorporer. Une fois devenu le maître des morts, assimilé aux forces de la terre, il pourra, non pas renaître, mais, comme Osiris, devenir les forces de la germination, les forces de la mort renaissance.

Palenque - Jungle - Relief de Pacal Palenque - Jungle - Relief de Pacal
Palenque Relief Palenque Relief
Palenque - Jungle - Relief Palenque - Jungle - Relief

Le poème s'achève ainsi :

Pacal tombe, remonte, tombe, sans fin :
ainsi il met le monde en mouvement, ainsi il devient divin.

Pacal tomba, remonta, tomba, sens fin :
ansin mòu lo mond, ansin vèn divenc .

Le deuxième poème présente une vision insolite du petit cimetière qui jouxte l'église de La Couvertoirade, mêlant notations du quotidien (la quête des champignons dont le roman L'Envòl de la tartana nous fournira un joli exemple à la page 14) :

Les croix de pierre ont poussé
comme des oreillettes sur le Causse, dans l’herbe humide
et les cailloux mouillés.

Lei crotz de pèira an butat
coma d'aurelhetas sus lo Causse, dins l'èrba trempa
e lei calhaus banhats.

Aveyron la Couvertoirade Cimetière Aveyron la Couvertoirade Cimetière
Cimetiere Larzac Cimetiere Larzac
La Couvertoirade cimetiere La Couvertoirade cimetiere

et l'incursion des mythologies les plus diverses :

[Les blocs de pierre de la chapelle s’écartent, écailles
d’un drac trop vieux : mise en scène chamanique,

fraîcheur des hérésies prises à leurs sources paysannes]

Lei cairons de la capela s'escavartan, escaumas
d'un drac tròp vielh : mesa en scena chamanica,
frescor deis eretgias presas a sei sorgas païsanas

pour finir par une interprétation très personnelle des légendes qui entourent la mandragore, née du sperme des suppliciés :

Aveyron la Couvertoirade Cimetière Aveyron la Couvertoirade Cimetière

[Au pied de l’arbre de la croix, peut-être ce semblant de rosier était-il une mandragore].

Au pè de l'aubre de la crotz, saique lo sembla-rosièr èra una mandragòra.

Le troisième poème emprunte beaucoup à la forme de l'énigme, dont Pécout ne cesse d'explorer la puissance poétique. Il juxtapose ici plusieurs images : la lausaDésigne en occitan une pierre plate, qui peut être apposée sur un mur ou sur le sol et contenir des inscriptions commémoratives, et qui peut aussi servir de dallage ou d’élément de couverture du toit. Le français "lause" ou "lauze" a seulement retenu la dernière acception., le champ labouré et l'écriture, mêlant la justesse des associations visuelles : les toits de lauzes (vus des remparts de la Couvertoirade), les sillons (auxquels s'ajoute l'image de la lavanha pavée) et, plus symboliques, les lignes de l'écriture :

Vue sur les toits de La Couvertoirade Vue sur les toits de La Couvertoirade
Lavogne de La Couvertoirade Lavogne de La Couvertoirade

[Toit ondulé de lauzes,
ou lavagne renversée dans un coin de ciel
phrase à phrase, lauze à lauze,
sillon après sillon,
ce qui prend forme cherche toujours
à fuir le centre,
et en fait toujours le tour].

...tech recauquilhat de lausas,
o lavanha reversa dins un canton de cèu
o camin redond de l'escritura :
frasa a frasa, lausa a lausa,
lauronD’après Mistral (T.D.F.), ce mot désigne aussi bien un sillon (du verbe « laurar » : labourer) qu’un torrent ou un ruisseau, double valeur qui ne peut manquer de séduire Pécout. après lauron,
çò que pren fòrma cerca totjorn
de fugir lo centre
e ne fai de lònga lo torn.

Dans un texte de 1993, où Roland Pécout évoque le site de Gardies, théâtre de quatre proses du Verd Paradís de Max Rouquette, apparaît aussi cette continuité de la vie que manifeste l'invasion des ruines par le végétal :

 

[Et au cœur de la forêt de Gardies, cachée à l'intérieur : une maison morte. Sans odeur d'hommes. Abandonnée comme la chrysalide des insectes, la carapace des écrevisses, comme la mue des serpents dans les fourrés.
[…]

 

À Gardies, ce crépi rose, et le cadran solaire sur la façade morte, sur la façade décor d'opéra baroque, (cette image aussi profondément ancrée dans la mémoire qu'une légende), tout cela s'écaille pan après pan, année après année.

 

Les micocouliers et les grands chênes forment un rempart, un chemin de ronde, et la forêt pousse, ensevelissant dans la profondeur du feuillage, dans le sommeil des humus, toutes ces murailles autrefois faites pour le travail et pour la règle.
[...]

 

 

 

 

 

 

 

Les bâtiments (pour abriter les hommes, pour faire le vin, le pain, pour mettre les bêtes), rappelaient une île. Ils formaient un château des quatre-saisons. Rien ne leur manquait pour voir à leur entour tourner le monde. Et le monde, maintenant sans répit, tourne à l'intérieur d'eux-mêmes : les saisons, la nuit et le jour, le va - et - vient du froid et de la chaleur, cassant les pierres, transformant le mortier en sable, déchaussant les cairons. […]

bastiments bastiments

Hölderlin connaissait "le langage bégayant et silencieux des ruines". Œuvre humaine retournant au sauvage, retournant à la divinité, ce que dit la ruine c'est le déroulement sans fin, sans bruit, des formes dont le chaos est gros pour d'autres mondes, pour d'autres créations et pour d'autres morts. […]

 

À Gardies… Les grottes s'écroulent et les arbres font leur pitance de cent nourritures minérales.]

Photos Pascal Siéja.

E au mitan de la sèuva de Gàrdias, rescondut dedins : un ostau mòrt. Sens odor d'òmes. Abandonat coma la crisalida deis insèctes, la carapaça dei chambres, coma la muda dei serps dins lei bartàs.
[…]

 

Gàrdias, aqueu crespiment ròsa, e lo relòtge solari sus la façada mòrta, sus la façada decòr d'operà barròc, (aquel imatge tan prigondament recordat coma una legenda), tot aquò s'escauma pam per pam, annada après annada.

 

Lei falabreguièrs e lei rores grands fan un barri, un camin de ronda, e la sèuva buta, aprefondís dins lo verd dau folhum, dins la sòm deis umús, toteis aquelei muralhas autrei-còps fachas per lo travalh e per la regla.
[...]

Lei falabreguièrs Lei falabreguièrs

 

 

Lei bastiments, (per abrigar leis òmes, per faire lo vin, lo pan, per metre lei bèstias), retrasián una iscla. Fasián un castèu dei quatre-sasons. Ren li mancava per veire a l'entorn virar lo mond. E lo mond, ara, sens relambi li vira a l'entorn, li vira dedins : lei sasons, la nuèch e lo jorn, lo vai-e-ven dau freg e de la caud, rompent lei pèiras, rendent lo mortièr en sabla, descauçant lei cairons. […]

 

 

 

 

 

 

Hölderlin sabiá “lo lengatge bretonejant e silenciós dei roïnas”. Òbra umana tornant au sauvatge, tornant au dieu, çò que la roïna ditz es debanament sens fin, sens bruch, dei fòrmas que lo Caòs n'es prens per d'autrei monds, per d'autrei creacions e d'autrei mòrts. […]

 

… A Gàrdias, [….] Lei cròtas s'escrancan e leis aubres fan pitança de cent mangisclas mineral

 

couverture auteurs en scene

En 1996 Roland Pécout est un des auteurs de la revue Auteurs en scène, coéditée par le Théâtre des Treize Vents et le Centre Dramatique National Languedoc Roussillon Montpellier, publiée par Les Presses du Languedoc sous la direction de Marie Hélène Bonafé. Dans le premier numéro de cette revue, consacré à Max Rouquette, il publie une contribution intitulée « Un voyageur dans le siècle » (pp. 52 - 53)

 

Ce texte livre une facette peu connue de Max Rouquette. On sait la culture immense et éclectique de ce dernier, son refus de s'enfermer dans la littérature française, et ses affinités avec Faulkner, Synge ou Dante, son goût pour la Bible ou les tragiques grecs. On sait moins de choses, en revanche, des liens concrets qu'il a pu nouer avec les écrivains d'autres pays, des rencontres physiques qu'il a en pu faire, de ses prises de positions concrètes pour la liberté intellectuelle. C'est ce dont témoigne la contribution de Roland Pécout à cet ouvrage collectif.

couverture DVD chant profond


En 2008, Pécout figure parmi les contributeurs d’un double DVD réalisé par le CRDP de Montpellier : Max Rouquette, retrouver le chant profond, (Jean-Guilhem Rouquette, Georges Souche, Claire Torreilles et Marie-Jeanne Verny). À côté de contributions nouvelles (films, textes, approches critiques…), ce DVD reprend des documents d’archives, notamment un film que Roland Pécout avait réalisé en 1986 avec le cinéaste Michel Gayraud (CIDO-VAL) : Max Rouquette et son Vert Paradis. Pécout y suivait Max Rouquette à travers les endroits où il avait vécu. Le montage est accompagné d'illustrations musicales dont Roland Pécout et Michel Gayraud avaient bien évidemment refusé qu'elles se plient à une tradition folklorique aseptisée. Un souvenir à ce propos, conté par Roland Pécout, le choix de terminer le film par une image d'un Max Rouquette mal rasé, émergeant à l'aube des ruines du mas des Gardies, un des hauts lieux de l’inspiration de Verd Paradí, sur fond de Don Giovanni de Mozart, comme si, dit Pécout, il traînait cette sorte de boulet de Gardies au pied...

Dans le synopsis rédigé par l’écrivain, que nous avons pu consulter, au hasard de ses notations synthétiques, on remarquera des notions qui font sens dans l'imaginaire pécoutien, le rôle du labyrinthe, le vide peuplé, l'opposition du désert suggéré par le mûrier mort et de l'oasis évoqué par le laquet, les puits, ou la source.

Par ailleurs, Pécout participe au contenu du DVD, à travers un « regard sur l’œuvre de l’écrivain ».

Dernier volet en date du travail de Roland Pécout sur Max Rouquette, une série de conférences données en 2008, année de la commémoration du centenaire de l’écrivain, à propos de la culture populaire occitane et de son empreinte dans l’œuvre de Max Rouquette.

Ces quelques éléments sur l’intérêt porté par Roland Pécout à Max Rouquette et l’œuvre de celui-ci témoignent de la découverte, à travers cette œuvre, de la force poétique du regard de Rouquette sur le monde. Roland Pécout aime à employer le terme de « chaman» pour rendre compte de cette puissance visionnaire. Il conclut ainsi, avec humour, son reportage de 1981 :

J’en connais qui sont allés au fond de l’Orient chercher la réalité des choses, chercher le fin mot ou le sens du silence. Par cet utile détour, ils ont compris la parabole des « montagnes et des rivières » et découvert ce qu’avant eux avait trouvé Jeyserling : « L’Orient est en nous. Il y a un Orient intérieur que connaissent bien le poète, l’enfant et la femme, et qui est l’autre nom d’une disponibilité, d’une puissance d’être et d’imaginer ». Je crois que l’on ne peut qu’être convaincu de la vérité de cette pensée, après avoir lu Vert Paradis : nul mieux que Max Rouquette n’a exprimé le profond Orient du monde…

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