Roland Pécout découvrit très jeune ces vastes espaces. Entre 1971 et 1974, il décide, selon sa propre expression, de prendre le large. Prendre le large, c'est, pour lui, se retirer sur le Larzac. Il se fait ouvrier agricole chez un paysan militant du Larzac, occitanophone, et dont la mère lui racontait, évidemment en occitan, les meetings de Jaurès à Millau. Pendant ce séjour dans l'espace qui va du Larzac à Millau, il contribue à animer le mouvement Lutte Occitane et la revue homonyme, imprimée à Millau.
Depuis sa jeunesse, Pécout a exercé les métiers les plus variés et notamment effectué des travaux agricoles. Son itinéraire ressemble, une fois romancé, à celui de Pierre-Jean dans L'Envòl de la tartana. Ce sont aussi des années de vagabondages en moto, en stop. Il confie à Françoise Jouanna : « ...la lucha politica, lo Larzac, ambé totei sei fracatges e seis estrambòrds, es estada una escòla. » [… La lutte politique, le Larzac, avec ses échecs et ses enthousiasmes, a été une école]. Une consultation rapide des premiers numéros de Lutte occitane permettent d’y repérer l’influence de l’écrivain. Ainsi, en février 1973 : le numéro 7 contient un supplément sur la montée à Paris des paysans du Larzac, intitulé « Lo Larzac en marcha » Il s'agit de douze pages d'articles rédigées en français. Ce reportage a été écrit avec la collaboration de Pierre SerresFils de l’écrivain occitan Aimé Serres, il créa plus tard, à la fin des années 1970, le magazine régional Sud, et codirige actuellement La Gazette de Montpellier .
Telle ou telle expression de son premier recueil, Avèm decidit d’aver rason[ Consultez la fiche], figure, souvent en titre, sans mention de son nom d’auteur. C’est le cas, en mars-avril 1973, du numéro 8 qui présente un gros titre sur la première de couverture, repris à un poème du recueil : « Gardar, conquistar, inventar lo drech de viure”. C’est encore le cas, en juillet - août 1973 : dans le n° 10 (article : « Le Larzac à la croisée des chemins ») où on note, page 1, la phrase : Fòl qual creiriá que pòt desrabar / lo pòble de las cardabèlas [Fou celui qui croit qu'il peut déraciner le peuple des cardabelles.]. Cette phrase reprend un vers qui figure dans une chanson intitulée "Cardabèla" interprétée par le groupe du même nom dans son premier disque dont Pécout, en 1976, rédige le texte de présentation du 1er disque, dans lequel sont inclus 2 de ses poèmes, mis en musique par le groupe : « Se canta » (Avèm decidit d'aver rason)[ Consultez la fiche] et, justement, « Cardabèla ».
Lutte Occitane n°10 - Juillet Aout 1973
Quelques mots sont nécessaires également pour présenter le texte-titre : « Cardabèla ». Le chardon que l'on dénomme ainsi en occitan apparaît comme un symbole de résistance. Résistance et ouverture à la fois, ainsi de la première strophe :
Je suis enracinée dans le Causse Et je regarde le soleil La brise me peigne Sans me casser J’ai le cœur offert Mais je sais me défendre…
Cardabèla - Photo : Georges Souche
Soi enrasigada dins lo Causse E agachi lo solelh L'aura me penchena Sens me copar Ai lo còr ofèrt Mai me sabi defendre...
ou encore dans le refrain :
Terre du Larzac ouverte aux quatre vents de la révolte...
Tèrra del Larzac Dubèrta als quatre vents de la revòlta...
Le paysage du Larzac, cœur du poème, est emblématique d'une certaine relation que l'écrivain entretient avec l'univers, et que l'on retrouve dans des passages du roman L'Envòl de la tartana. Lorsque Pierre-Jean, le personnage principal de L'Envòl de la tartana, découvre le Larzac, Pécout décrit ainsi ce paysage : Aquel país semblava de se negar dins lo cèl coma dins una mar de lutz e de solesa. [Ce pays semblait se noyer dans le ciel comme dans une mer de lumière et de solitude.] On voit là l'harmonie, la fusion de la terre, de l'eau et du feu. L'air n'est pas absent du tableau. Ainsi dans le même passage : Lo vent vonvonejava coma un milhon d'abelhas. [Le vent bourdonnait comme un million d’abeilles.]
Dans le poème dont nous parlons, les quatre éléments sont également présents, ils s'interpénètrent dans une harmonie totale créée par l'usage poétique de la comparaison ou de la métaphore. Ainsi du début du texte que nous avons cité ci-dessus ou de cette autre strophe :
Aquel país es coma la mar Coma un ocean de silencis E de bruchs [...] Lo cèl es larg e pròche Del cloquièr de Sant-Martin Lo podètz tocar amb la man.
Causse du Larzac - Photo : Georges Souche
« Cardabèla » Texte interprété par le groupe montpelliérain du même nom. Musique du groupe, "Ventadorn" VS3 L 22.
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Je suis enracinée dans le Causse Et je regarde le soleil, Le vent me peigne Sans me casser, J’ai le cœur offert Mais je sais me défendre Avec mes bras d'épines. Je suis la rose des pâturages Plus forte que les pierres. Fou celui qui croit Qu’il peut arracher Le peuple des cardabelles !
Terre du Larzac Ouverte aux quatre vents De la révolte Comme les ailes d'un moulin.
Ce pays est comme la mer Comme un océan de silences Et de bruits D'hommes et de bêtes De couleurs sévères Et de toutes sortes de plantes. Le ciel est large et proche Du clocher de Saint Martin Vous pouvez le toucher avec la main Chaque instant est mouvement Et la joie palpite Comme font les ondes.
Terre du Larzac Ouverte aux quatre vents De la révolte Comme les ailes d'un moulin.
Le désert ne le cherchez pas ici Le désert est dans le cœur Des maîtres de la guerre Ici Les maisons de pierre Et les gros rochers noirs, Sont nés de la main de l'homme Au ras des moissons Et des hautes prairies. Les lièvres roux s'accouplent Et les aigles sont bleues Dans le soir.
Terre du Larzac Ouverte aux quatre vents De la révolte Comme les ailes d'un moulin.
Il n’y a plus rien de vieux Ni les hommes ni le pays Chaque matin Est un matin nouveau Chaque jour Un jour de naissance Et les montagnes Sautillent comme les agneaux Comme le vent d’'autan plie les branches Ainsi nous plierons le fer Des barbelés E les buis ‘Etoufferont l'acier !
Terre du Larzac Ouverte aux quatre vents De la révolte Comme les ailes d'un moulin.
Soi enrasigada dins lo Causse E agachi lo solèlh, L'aura me penchena Sens me copar, Ai lo còr ofèrt Mai me sabi defendre Amb mos braces d'espinas. Soi la ròsa de la devesa Mai fòrta que las pèiras. Fòl qual crei Que pòt desrabar Lo pòble de las cardabèlas !
Tèrra del Larzac Dubèrta als quatre vents De la revòlta Coma las alas d'un molin.
Aquel país es coma la mar Coma un ocean de silencis E de bruchs D'òmes e de bèstias De colors sevèras E de totas menas de plantas. Lo cèl es larg e pròchi Del cloquièr de Sant Martin Lo podètz tocar amb la man Cada instant es moviment E la jòia palpita Coma fan las ondas.
Tèrra del Larzac… Dubèrta als quatre vents De la revòlta Coma las alas d'un molin.
Lo desèrt lo cerquetz pas aquí Lo desèrt es dins lo còr Dels mèstres de la guèrra Aquí Los ostals de pèiras E los rocasses negres, Nasquèron de la man de l'òme Al ras de las meissons E de las pradas nautas. Las lèbres rossèlas s'apàrian E las aglas son blavas Dins lo vèspre.
Tèrra del Larzac… Dubèrta als quatre vents De la revòlta Coma las alas d'un molin.
I a pus res de vièlh Los òmes ni mai lo païs Cada matin Es un matin novèl Cada jorn Un jorn de naissença E las montanhas Sautejan coma los anhèls Coma l'autan plega las brancas Atal plegarem lo fèrre Dels barbelats E los boisses Estofaràn l'acièr !
Tèrra del Larzac Dubèrta als quatre vents De la revòlta Coma las alas d'un molin.
Pierre Marie-Terral, LARZAC, De la lutte paysanne a l'altermondialisme, avant-propos de Rémy PECH et préface de Christian AMALVI, Privat, 2011 - Collection : Histoire / Sciences humaines, 2011.
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