Roland Pécout

Un écrivain voyageur

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Laissarem degun – 2008

Alors que le dernier ouvrage poétique de Pécout, Mastrabelè (Jorn, 1999), [Renvoi Voir vidéo] [Renvoi Voir fiche] [Renvoi Consulter anthologie] était écrit à partir d’une rêverie poétique et philosophique sur le site archéologique de Saint-Blaise (Bouches-du-Rhône), Laissarem degun est un recueil de poèmes dont l’inspiration est davantage plurielle. En cela, il rappelle les Poèmas per tutejar de 1978 [Renvoi Voir fiche ].

De même que ce dernier recueil était accompagné d’un document sonore, au recueil Laissarem degun est ajouté un CD dans lequel 20 groupes ou musiciens interprètent librement un des textes qu’ils ont choisi.
Comme pour les autres œuvres bilingues de Pécout, il serait vain de chercher une traduction dans la version française. Celle-ci est une réécriture très libre de la version occitane et c’est, nous avait confié l’auteur, dans l’addition des deux versions qu’il faut chercher le sens.

Errances et voyages

Entrée de la communauté alternative de Christiania à Copenhagen ( Danemark) - Photo : Artico2 Entrée de la communauté alternative de Christiania à Copenhagen ( Danemark) - Photo : Artico2

Abolition des limites temporelles, spatiales et culturelles, alliance de figures de fiction et d’êtres de chair, une permanence chez Pécout : ainsi le poème consacré au quartier libertaire de Christiana à Copenhague concentre-t-il des allusions à Dune de Frank Herbert, un des livres-cultes de Pécout, à la musique reggae plusieurs fois évoquée dans l’œuvre (Poèmas per tutejar, L’Envòl de la tartana), ou encore aux Camisards.

On y rencontre aussi Ariana e sei trevanças / Ariane et ses errances. Lieu de refuge pour les errants, Robinsons en trelhís / Robinsons affublés de treillis, il renvoie aussi bien à Byzance qu’aux Caraïbes et même à la Camargue, discrètement suggérée, dans la dernière strophe par l’expression la Vièlha dança.

Tant mieux ! Mais je veux rapporter quelques bribes.
Là-bas où les marécages s’arrêtent,
Aux rives de la mer, dansent les mirages.

Cocanha ! Vòli portar remembrança.
Alin que la palun s’esvanís
En rara de la mar, la Vièlha dança.

Au moment de l’écriture, le voyage est autant rêve que réalité, ainsi de ce texte (p. 34-35) où affleurent les souvenirs de séjours parmi les Tamasheqs du Mali, dont nous reprenons ici le début :

Les rivages du grand désert
Sur des rivages éloignés
Est un pays d’infinité,
Qui se distingue mal du rêve.

Les heures font perles de sang
Ou de rosée qui a séché.
À chaque jour, effort prêté.

Les vieilles énigmes au fond des cours,
Les épines et les troupeaux,
Dévident les cheveux de laine.

Des insectes noirs vont ronger
Les calebasses d’amertume.
Les chacals guettent les agneaux.

Vin de palme de dix mille ans
Et lait des bêtes transhumant
Murissent au rythme du vent,

Amoureux sombre et sans mémoire.

Roland Pécout avec les Tamasheqs - Photo : collection personnelle de l’auteur Roland Pécout avec les Tamasheqs - Photo : collection personnelle de l’auteur

Lei costieras de l’èrme grand
Sus dos ribatges aluenchats
Es un país d’infinitat
Que desentrequi qu’a mitat.

Leis oras fan perla de sang
O ben d’aiganha qu’a secat.
Cada jorn, es pron rusticar.

Lei devinhòlas dau casau,
Leis espinas e lei tropèus,
Debanan la lana dei peus.

De babaròtas van pitar
Lei cogordons de l’amarum.
Lei canhs-fers guinhan l’anhelum.

Vin dei rampaus de dètz mila ans
E lach deis Avers barrullant
Maduran dins l’ombra, au balanç

Dau vent, fringaire sens recòrd.

Au fil des poèmes d’autres lieux sont évoqués, qui renvoient à des voyages réels ou rêvés de l’auteur. Ainsi « Lo passejaire de Cuzco » ou « Terra Maya » (P. 72-73) rappellent-ils ses périples des années 80 en Amérique.

Des figures permanentes

La mythologie pécoutienne, qu’elle soit le fruit de son propre travail d’écrivain ou qu’elle emprunte au grand fonds de rêves de l’Humanité, se retrouve dans le recueil à travers les figures de Jason, Corto Maltese, Van Gogh ou encore Rimbaud.

Rimbaud

Ce dernier fait l’objet d’un long poème auquel Pécout a donné un titre extrait d’Une saison en enfer : « Nous entrerons aux splendides villes » (p. 50-59). Ce poème retrace les errances de Rimbaud depuis son premier départ Dins lo cramar freg dei barbastas / dans le feu clair des gelées blanches jusqu’à son ultime destination : Harar, avant le retour à Marseille. Chemin faisant, sont évoquées la prison de Mazas où Rimbaud fut enfermé en 1870 comme vagabond ou encore la Commune de Paris. Tel ou tel vers de Pécout sont issus à l’évidence de réminiscences rimbaldiennes, comme cet Indian d’aram amont plantat / Indien de cuivre planté là-haut, qui évoque « Le bateau ivre » que l’on devine en filigrane dans les premières strophes.

Arthur Rimbaud - Photo : Étienne Carjat Arthur Rimbaud - Photo : Étienne Carjat
Van Gogh

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Deux poèmes sont consacrés à Van Gogh :

Cloître de Saint-Paul de Mausole près de Saint-Rémy de Provence - Photo : MJ Verny Cloître de Saint-Paul de Mausole près de Saint-Rémy de Provence - Photo : MJ Verny

« Van Gogh a Sant-Pau de Mausòla » (p. 76-77), qui évoque le Cloître de Saint-Paul de Mausole près de Saint-Rémy de Provence, où Van Gogh fut soigné.

Saint-Paul de Mausole près de Saint-Rémy de Provence - Photo : MJ Verny Saint-Paul de Mausole près de Saint-Rémy de Provence - Photo : MJ Verny

« Prima de Vincent » (p. 64-65), sous-titré « o lei vergiers blancs ». C’est au Van Gogh rêvant de Japon à son arrivée au pays d’Arles que s’intéresse Pécout dans ce texte :

Les cerisiers, le long des jardins, ont fait pleuvoir
Leurs bourgeons nacrés. Tu as fermé le poing,
Comme avec de l’eau de neige, il est resté vide.
Dans la fraîcheur du temps, tu te nourris de Japon.

Cerisiers en fleurs - Vincent van Gogh 1888 Cerisiers en fleurs - Vincent van Gogh 1888

Lei ceriers, lòng deis òrts, faguèron plueja
De borrons vairats. Tu, sarrant lo ponh,
Coma amb d’aiga-nèu, ta man restèt vueja.
Coma lo fresc dau Temps, viviás de Japon

Ainsi Laissarem degun nous permet-il une nouvelle plongée dans l’univers onirique pécoutien, profondément cohérent derrière l’impression de foisonnement qu’il produit à la première lecture. Peut-être simplement les silhouettes, voyageurs, errants, artistes maudits, qui le hantent sont-elles davantage saisies dans des moments de souffrance et de doute, lesquels n’empêchent nullement le choix de la vie et du mouvement, ainsi que le suggère la dernière strophe du dernier poème « Vanitas » :

Tu ressens que Thulé t’attire
Et tu veux la compagnie du vent.
Mais tu ne sais pas où il va.

De Tulè sentes l’atrivança
E dau vent cercas l’amistança.
Mas l’aura sap pas onte vai.

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