Roland Pécout et Max Rouquette |
Roland Pécout et Max Rouquette à Gardies
Argelliers, Hérault - 1994 - photo MJ Verny
Comme il le dit dans l’entretien, Max Rouquette compte parmi les écrivains qui ont servi de phares à Roland Pécout. L’œuvre immense de Rouquette que la critique commence à découvrir est de celles qui ont orienté la littérature occitane contemporaine ( visitez le site consacré à Max Rouquette). [ visionner la vidéo « influences littéraires »] Dans son travail de critique et de journaliste, Pécout a beaucoup écrit sur Max Rouquette et son œuvre. Le premier article date de 1981 (n° 49 de la revue Connaissance du pays d’oc). Il s'agit d'un reportage en français intitulé « Max Rouquette et son "vert paradis" ». À noter le dialogue littéraire auquel se sont livrés les deux écrivains : Dans Verd Paradís V, Las Canas de Midàs, coéd. Occitània / IEO, Max Rouquette fait un récit poétique et amusant de cette excursion pendant laquelle il guida Pécout et le photographe Harold Chapmann. (p. 88 à 92). Le reportage s’ouvre par cet avant-propos : Nous accomplissions un voyage : voyage sur les chemins du conte, aux franges du rêve et de la réalité. Nous venions avec le profond désir de trouver les sources, dans la terre sèche, écartant les pierres au Pays des Buissons. Nous marchions à travers l'air sec comme une branche, écoutant les silences changeants du pays. Et nous venions d'un grand livre : ce « Vert Paradis », de Max Rouquette, qui nous servait de carte et de clé...
La forme du voyage est privilégiée par le chroniqueur : l'article relate cet itinéraire où lui-même et son photographe sont guidés par Max Rouquette à travers les lieux-clés de sa création : le Larzac, de La Couvertoirade à Grailhes, domaine habité par les ancêtres de Max Rouquette, le Mas de Gardies, et enfin le village d'Argelliers. L'article évolue entre description des lieux visités, citations de l'œuvre de Max Rouquette et analyses de celle-ci. À lire ces pages de Pécout, on est frappé de la confluence des échos de l'œuvre de Rouquette et de la propre vision du monde du chroniqueur. Ainsi de cette description du hameau de Gardies, près d’Argelliers, un des cœurs de l’œuvre rouquettienne : Le moutonnement des forêts de chênes verts se troue de clairières où d'anciens jardins achèvent de retourner à la friche. Des murets s'éboulent, siècle à siècle. Parfois, la végétation se concentre en d'impénétrables maquis, en broussailles de rabissane et de salsepareilles où le tunnel va se perdre. Des mûriers relatent la prospérité passée des vers à soie ; ils ressemblent à des sentinelles boursouflées et mortes. Les cades sentent bon et se mêlent au térébinthe qui perd ses feuilles en hiver, et à son faux jumeau le lentisque, qui les garde. Les oliviers se sont ensauvagis. L'herbe verte des talus, au milieu de la sécheresse, annonce l'efflorescence de l'eau, et la nappe souterraine remonte par un laquet construit en pierres et par quelques puits demi comblés. La terre est de plus en plus jonchée de débris de pots vernissés. D'immenses rouvres abritent les oiseaux, des micocouliers font une ombre inutile ; le chemin se finit en aire pavée où, autrefois, on battait le grain des moissons. Et, devant nous, émergeant de la végétation, les ruines de Gardies sont un squelette de hameau, une ruche morte peuplée de fourmis. Les constructions plus ou moins délabrées, les bâtiments plus ou moins éventrés par les sureaux, s'ordonnent en un savant labyrinthe. Sous les grandes voûtes de pierres sèches, il fait une fraîcheur de remise. Là, on faisait le vin, là, on cuisait le pain ; là, on gardait les bêtes. Dans ce domaine autarcique, au début du siècle, cinquante hommes, femmes et enfants s'activaient encore. Quelques carreaux verts de Saint-Jean-de-Fos finissent de s'écailler en bas d'un mur dans ce qui était autrefois l'ombre bonne des cuisines... Caractéristique de Pécout cette attention apportée au détail concret, cette quête inlassable du vivant parmi les traces mêmes dérisoires que celui-ci a pu laisser. Regard de l'écrivain passionné d'archéologie et d'ethnologie. Caractéristique aussi cette concision de la phrase qui refuse la lenteur rhétorique, et recherche l'image concrète elle-même signifiante d'une vision du monde, qu'il s'agisse de la « ruche morte peuplée de fourmis », ou de « l'ombre bonne des cuisines ». Mais, au-delà de sa propre perception du paysage de Gardies, Pécout décrit avec justesse la transmutation de ce paysage opérée par la peinture que Max Rouquette a su en faire : Gardies... à la lumière de l'œuvre de Max Rouquette, c'est le prototype de toute ruine, le chemin du temps qui court et ne s'arrête pas ; c'est la saisie de la transformation en désert d'un pays, la lecture de la croissance de l'entropie. Aucune nostalgie, aucun regret, aucun arcadisme. Simplement, l'écrivain et l'écriture prennent la mesure, ici, du périssable, se ressourcent dans l'impermanence sous les spectres de pierre de l'éternité. Tout ce que l'homme bâtit est frappé de cette insignifiance, et cette « dissolution » de Gardies, cette figure de craie après la fin de l'homme, on sent qu'elle est présente comme une prophétie dans bien des textes du livre, qu'elle hante par avance toute entreprise sociale, qu'elle éclaire de son reflet aussi bien la page splendide du « château de Don Quichotte » que Cendre Morte et autres récits de la Maison des Exclus, que le Champ de Sauvaire ou que les Textes des Sources. Car il y a, discrètes, les sources ; toujours vivantes quand sont morts ceux qui la canalisaient, cette sève de l'eau est prête à toutes les naissances, à tous les recommencements. Un jour... Un peu d'espoir pour « moraliser » l'oeuvre ? Non. Max Rouquette n'est pas un moraliste de l'espoir. Dans toute sécheresse, il y a, quelque part, des sources. Elles sont consubstantielles au désert. Ça n'est pas de la littérature. C'est tout simplement comme ça. Entre 1993 et 2008, Pécout a participé à plusieurs événements publics consacrés à cette œuvre. Ainsi, en 1993, a-t-il présenté à l'Espace République, à Montpellier, l'exposition qu'il avait conçue autour de Max Rouquette, dans le cadre d’une série d’hommages rendus à l'écrivain par la Région Languedoc-Roussillon. Cette exposition réunit des textes de Rouquette ou d’autres écrivains en écho avec son œuvre et d'autres qui sont présentés comme un hommage. Elle est illustrée de dessins, peintures et photographies. Aucun catalogue n’a été réalisé à partir de cette exposition ; nous disposons d’un dépliant illustré réalisé à Montpellier conjointement par « Images d’oc » et « Yinyang » à la demande de la Région Languedoc - Roussillon. Les textes ont été choisis par Roland Pécout ou écrits par lui-même. Ce choix, s’il est tout à fait en phase avec l’œuvre de Rouquette, est tout autant révélateur de la vision du monde pécoutienne. Le dépliant s’ouvre ainsi : Selon l’image du Zen japonais, si on observe un brin d’herbe assez longtemps, on finit par y découvrir tout l’univers. Garrigues, Causses, villages de l’arrière-pays, et toute la mémoire de l’enfance : le paysage géographique et humain de Max Rouquette est enraciné, réel. Mais le regard a travaillé comme dans la légende Zen. Le territoire de l’écriture s’est élargi jusqu’à devenir le monde intérieur de chacun… et se poursuit sur trois volets, dont chacun met en valeur l’ambivalence des choses et du monde à travers un texte en deux versions, occitane et française. Nous donnerons ces deux versions, notamment parce que c’est de leur confrontation que naît le sens, Pécout refusant, une fois de plus, la traduction littérale (que nous donnerons si nécessaire entre crochets) :
Premier volet du dépliant : Le désert et l’oasis. / La secada e las fonts [La sécheresse et les sources]
Deuxième volet : La maison ventre ouvert. / L’ostal ventre badant.
Troisième volet : Le chant de la vie, le silence du monde / lo cant dau viure, lo silenci de las causas.
Les lecteurs de Max Rouquette pourront témoigner de la justesse de ces quelques notations qui rendent compte de façon synthétique d’une œuvre foisonnante. Le fait que Pécout lise cette œuvre à travers le prisme de sa quête universelle de l’ambivalence des valeurs, des êtres et des choses est une des clés les plus pertinentes pour ouvrir l’univers rouquettien. Le verso du dépliant se présente comme une carte de l’espace rouquettien, du Larzac à la Camargue, sur laquelle s’inscrivent des citations de l’œuvre, que complète une liste des inspirateurs et écrivains totems : Max Rouquette a fait son pain et son vin de quelques écrivains dont il se sentait frère ; ils font partie de la Genèse de son monde, comme le pays, comme l’enfance, comme le travail de l’imaginaire… Sont tour à tour convoqués Faulkner, Synge, Joyce ou O’Casey (écrivains irlandais), Dante ou Joseph d’Arbaud, à propos duquel on note ces propos : Sa Bestio dóu Vacarès est une quête du monde à jamais inachevée. La Camargue, pays de mirages, comme l’écriture, est un bout du monde. Les chemins de la terre y deviennent des chemins intérieurs. Pécout ajoute l’allusion aux explorateurs des mythologies universelles que sont Jung, Frazer et Eliade. La façon dont il présente leurs recherches en dit long sur une vision du monde partagée : C.G. Jung, J. Frazer, Mircea Eliade : l’exploration des mythes et de la psyché rapproche les cultures à travers leur infinie diversité. Au-delà des manipulations religieuses ou mondaines, les images mythiques sont communes à tous les hommes. Dans le cadre de l'exposition figuraient trois poèmes de Pécout, en vers libres, intitulés « Blason dei De Graille » [Blason des De Graille], « Cementèri eretge » [Cimetière hérétique], et « Lausas » (ce mot pouvant se traduire par « Dalles » ou « Lauzes »).
Les deux premiers sont suivis de l'indication : « La Covertoirada dau Larzac » [La Couvertoirade du Larzac]. Ils portent le souvenir de l’excursion - reportage pour le compte de la revue Connaissance du Pays d'oc. Dans ce reportage, Roland Pécout raconte comment Max Rouquette avait lui-même décrypté le blason des De Graille, qu'il présente comme ses ancêtres. Roland Pécout, quant à lui, intègre ce mythe fondateur dans sa mythologie personnelle : unité du monde cosmique, échos des cultures par-delà les espaces (les traductions sont de MJ Verny) :
Et la dernière strophe fait le lien avec la culture Maya, notamment le roi Pacal, de la cité de Palenque, dont Roland Pécout nous a dit que : dans le bas-relief qui le représente, il tombe dans l'inframonde, où l'attend le monstre de la terre pour se l'incorporer. Une fois devenu le maître des morts, assimilé aux forces de la terre, il pourra, non pas renaître, mais, comme Osiris, devenir les forces de la germination, les forces de la mort renaissance. Le poème s'achève ainsi :
Le deuxième poème présente une vision insolite du petit cimetière qui jouxte l'église de La Couvertoirade, mêlant notations du quotidien (la quête des champignons dont le roman L'Envòl de la tartana nous fournira un joli exemple à la page 14) :
et l'incursion des mythologies les plus diverses :
pour finir par une interprétation très personnelle des légendes qui entourent la mandragore, née du sperme des suppliciés :
Le troisième poème emprunte beaucoup à la forme de l'énigme, dont Pécout ne cesse d'explorer la puissance poétique. Il juxtapose ici plusieurs images : la lausaDésigne en occitan une pierre plate, qui peut être apposée sur un mur ou sur le sol et contenir des inscriptions commémoratives, et qui peut aussi servir de dallage ou d’élément de couverture du toit. Le français "lause" ou "lauze" a seulement retenu la dernière acception., le champ labouré et l'écriture, mêlant la justesse des associations visuelles : les toits de lauzes (vus des remparts de la Couvertoirade), les sillons (auxquels s'ajoute l'image de la lavanha pavée) et, plus symboliques, les lignes de l'écriture :
Dans un texte de 1993, où Roland Pécout évoque le site de Gardies, théâtre de quatre proses du Verd Paradís de Max Rouquette, apparaît aussi cette continuité de la vie que manifeste l'invasion des ruines par le végétal :
En 1996 Roland Pécout est un des auteurs de la revue Auteurs en scène, coéditée par le Théâtre des Treize Vents et le Centre Dramatique National Languedoc Roussillon Montpellier, publiée par Les Presses du Languedoc sous la direction de Marie Hélène Bonafé. Dans le premier numéro de cette revue, consacré à Max Rouquette, il publie une contribution intitulée « Un voyageur dans le siècle » (pp. 52 - 53)
Ce texte livre une facette peu connue de Max Rouquette. On sait la culture immense et éclectique de ce dernier, son refus de s'enfermer dans la littérature française, et ses affinités avec Faulkner, Synge ou Dante, son goût pour la Bible ou les tragiques grecs. On sait moins de choses, en revanche, des liens concrets qu'il a pu nouer avec les écrivains d'autres pays, des rencontres physiques qu'il a en pu faire, de ses prises de positions concrètes pour la liberté intellectuelle. C'est ce dont témoigne la contribution de Roland Pécout à cet ouvrage collectif.
Dans le synopsis rédigé par l’écrivain, que nous avons pu consulter, au hasard de ses notations synthétiques, on remarquera des notions qui font sens dans l'imaginaire pécoutien, le rôle du labyrinthe, le vide peuplé, l'opposition du désert suggéré par le mûrier mort et de l'oasis évoqué par le laquet, les puits, ou la source. Par ailleurs, Pécout participe au contenu du DVD, à travers un « regard sur l’œuvre de l’écrivain ». Dernier volet en date du travail de Roland Pécout sur Max Rouquette, une série de conférences données en 2008, année de la commémoration du centenaire de l’écrivain, à propos de la culture populaire occitane et de son empreinte dans l’œuvre de Max Rouquette. Ces quelques éléments sur l’intérêt porté par Roland Pécout à Max Rouquette et l’œuvre de celui-ci témoignent de la découverte, à travers cette œuvre, de la force poétique du regard de Rouquette sur le monde. Roland Pécout aime à employer le terme de « chaman» pour rendre compte de cette puissance visionnaire. Il conclut ainsi, avec humour, son reportage de 1981 : J’en connais qui sont allés au fond de l’Orient chercher la réalité des choses, chercher le fin mot ou le sens du silence. Par cet utile détour, ils ont compris la parabole des « montagnes et des rivières » et découvert ce qu’avant eux avait trouvé Jeyserling : « L’Orient est en nous. Il y a un Orient intérieur que connaissent bien le poète, l’enfant et la femme, et qui est l’autre nom d’une disponibilité, d’une puissance d’être et d’imaginer ». Je crois que l’on ne peut qu’être convaincu de la vérité de cette pensée, après avoir lu Vert Paradis : nul mieux que Max Rouquette n’a exprimé le profond Orient du monde… |