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Poèmas per tutejar - 1978

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1978 - Poèmas per tutejar
Poèmes pour / à tutoyer

Cette œuvre est d’abord parue sous forme d’un livret et d’une cassette-audio, édition bilingue de l’association Montjòia, Sonographe de Fontblanche, puis rééditée en CD en 2004.
À la fin des années 70, les éditions Mont-jòia eurent l’idée de faire enregistrer par des poètes leurs propres textes. Roland Pécout et Georges Reboul furent les premiers sollicités. De l’initiative naquirent deux cassettes audio accompagnées d’un livret des textes. L’association Mont-jòia continuait ainsi l’œuvre de vulgarisation intelligente de la nòva cançon par laquelle nombre d’occitanistes de cette époque étaient venus à la littérature occitane (Robert Lafont chanté par Broglia ou Jean Boudou par Mans de Breish…).

A ce propos voir le n° 67 de la revue Lengas consacré à la chanson occitane ainsi que l’ouvrage de Valérie Mazerolle, La Chanson occitane (1965-1997), PUB.

L'univers poétique de Roland Pécout, tel qu’il apparaît dans ces œuvres, est un monde d'images poétiques fascinantes. Cet univers est souvent considéré comme difficile d’accès. Peut-être, justement, parce qu’il s’agit d’un monde cohérent, et que des clés sont nécessaires pour y accéder. Peut-être faut-il d'abord oublier les bagages (Pécout parle de maletas escampadas) de notre vision du monde normée, et accepter la nudité du voyageur qui va à la rencontre de l'autre, modestement.
À chacun de se laisser porter par la voix de l'écrivain, de grappiller ça et là une image, une intonation. Peu à peu, se dessine un monde qui devient vite proche, même si, comme de toute expression artistique, on n'en épuise jamais le mystère. Il y a tellement de filtres installés entre nous-mêmes, notre raison raisonnante, nos lectures sécurisées, normées, balisées, tout ce savoir de pacotille, et le monde qui nous entoure.

Chanter la douleur

Pour exprimer la force et la fragilité de l'homme, qu'y a t-il de plus éloquent que ce « pas trantalhant segur », ce « pas hésitant sûr » que nous trouvons dans le premier poème ?

Pour évoquer la mort choisie par un ami et la douleur de l'absence, que dire de plus une fois qu'on a lu ces vers « que l'inutil a fach son / nis dedins teis uelhs »  - « que l’inutile a fait son nid / dans tes yeux ».

C’est pourquoi je conseillerais de commencer l’écoute du disque par la « Canta de l'aut silenci », cette complainte dédiée à l'ami « qui a traversé le soleil ». C'est un des rares textes où Roland Pécout se laisse aller à employer la première personne. D'habitude, par pudeur, mais aussi dans un désir de se placer en symbiose avec l’autre, il privilégie le tutoiement.

Le refrain, dans la « Canta… », est une façon de dire à la fois l'impossibilité d'effacer la douleur et l'acceptation, la sérénité qui revient régulièrement après les moments où affleure la souffrance :

Alors je m’en vais, je ne dis rien
par des chemins de pauvre temps
et c’est bien.

Alara me'n vau, dise ren
per de camins de paure temps
e aquò es ben.

Croix larzac Croix Larzac

Croix Larzac



Et pourtant elle est là, à fleur de conscience, la douleur, qui vide les carrefours, ces quatre-chemins d’ordinaire signes dans l'œuvre pécoutienne de la liberté infinie de la condition humaine. Et pourtant elle lui semble devenue vaine, la parole du poète :

à quoi servent donc tant les mots
dans le bleu des mains…

en-de-qué servon tant lei mòts
dins lo blu dei mans...

Et pourtant il est devenu « chaume » le « chant ».

Et pourtant elles sont « barrées » les « rues » et « au fond du vin » il ne reste plus que « doux silence », comme le dit la strophe 3 : « tan doç silenci au fons dau vin / tan vueges lei quatre-camins / e lei rires quand / carrieras bòrnias lei matins / dents sarradas dusc’a la fin / restoble es mon cant. »

Cheminer…

chemin chemin


Face à la douleur, il y a le cheminement, le nomadisme, qui n'est pas fuite, mais acceptation du flux de la vie. Il y a le parcours des « camins de paure temps ». Cheminer, malgré tout, « les dents serrées jusqu'à la fin », c'est résister humblement au néant, cheminer, malgré le « vide » des « carrefours », malgré l'apparence de « rues barrées » que prennent les « matins », malgré « l'espace trop petit » et malgré la solitude « contre le vent ».
Cheminer, aller vers l'ailleurs, c’est renoncer aux chemins déjà tracés, refuser de « suivre des traces préalables » (« seguir de peadas marcadas »).

 

chemin de fer chemin de fer




Le nomadisme est universel, c'est celui du locuteur et de ses compagnons, c'est aussi celui de la « vigne sauvage… enfuie du troupeau, réfractaire » / « lambrusca enfugida dau tropèu, reborsièra ». C'est encore celui de l'herbe qui a « pres la campanha » / « a pris le maquis ».

La « Lettre III » évoque la maison du narrateur dans une formule dont le caractère paradoxal est assez révélateur de ce besoin de nomadisme :

« Dins l'esparcet installe mon ostau de passatge » /« dans le sainfoin, j'installe mes maisons de fortune ».

C'est encore de nomadisme qu'il s'agit dans le texte sans titre qui suit la « lettre III » :

« Barrutle luenh dei familhas còsta lei batèus a l'estaca ambé meis intencions gabianas »  / « Je rôde loin des familles avec mes intentions-goélands »..

 

Éclairs et dispersions

éclairs éclairs

L’auteur a l’auteur a choisi de mettre en exergue le motif poétique de l’éclair à travers une citation de René Char, lue en trois langues, français, anglais et espagnol : « …Le seul maître qui nous soit propice c'est l'éclair qui tantôt nous illumine et tantôt nous pourfend. »

L'éclair, figure du mouvement imprévisible, de l'ambivalence de l'éblouissement, révélation issue d'une perte de conscience, occupe également une place centrale dans la dernière pièce du recueil, le long poème « Ixion and the new frontier ». C'est par le mouvement, la danse, et même l’errance qu'Ixion retourne le châtiment divin.

La dispersion du poème est le résultat de l'éclatement de la bouteille envoyée au hasard des vagues, et Pécout réécrit là, à sa façon, un motif littéraire dont nous connaissons plusieurs figures, du roman d'aventures où il constitue la possibilité hasardeuse d'un salut, jusqu'à la métaphore de la parole poétique que l'écrivain confie à une postérité aléatoire. L'écrivain renforce encore ce caractère aléatoire en imaginant la bouteille, une fois « rompu[es] ses amarres », éparpillée, éclatée dans les vagues, inconnue des hommes qu'elle recherche :

Cette bouteille a rompu ses amarres. Vous ne sauriez pas la reconnaître. Ses particules s'acheminent à travers la mer, seuls messages, seul naufrage...

Aquela botelha a romput seis ancoras, la coneisseriatz pas. Sei particulas s’encaminan a dicha de mar, sols messatges, solet naufragi...

Ixion lui-même apparaît dans un tournoiement infini qui lui dévoile un monde de dispersion et de fourmillements, d'étincelles et d'éclats. Dans cet univers toujours mouvant, Ixion rencontre la vraie poésie, sauvage, née à l'écart de toute rhétorique. C'est encore Ixion qui est cause de l'éclatement du monde, comme le disent les mots

« parpalejar », « s'espetar », « destimborlar », « s'escrancan », « escampilharetz », « s'escampilha »… (« clignotement », « s'écrouler », « débâcle », « se lézardent », « vous disperserez », « il disperse »)

La figure ultime de l'éclatement est celle du feu créateur :

feu feu

On a le monde entier pour le brûler
on a le monde brassée de sarments
pour faire une flambée .

Avèm lo mond entièr per lo cremar
avèm lo mond fais de gavèus
per faire una flambada,

et le monde peut renaître, une fois débarrassé de sa pesanteur, dans la légèreté de l'air et le mouvement du vent :

Qu'il brûle le pays, les maisons
et qu'on sente le souffle chaud
et la force du vent qui vente

Creme lo país, leis ostaus
que sentiguessiam lo bof caud
e la fòrça dau vent que venta

Danser

La danse est une des figures du mouvement, de la légèreté, de la fluidité, qui s'impose en contrepoint de l'ordre absolu et de la géométrie contraignante. Dans les Poèmas per tutejar, les allusions à la danse sont nombreuses, surtout dans la deuxième partie. Le titre commun des trois sonnets « Poèmas sus tres danças e mila camins » marque la relation entre la danse et le cheminement. Le poète proclame dans le troisième : « Aurem lo dançar per Nacion ». Le poème « Cançon de l'ora bòna dins la vila », souligne la légèreté de la danse :

je suis léger en danse
passant entre les pas
les platanes rient - intime équilibre -
la musique enlace
son rapide amant.

siáu leugièr en dança
entre pas passant
La platana ritz - intima balança -
la musica gansa
son rapid amant.

Le mythe d’Ixion lui-même est revu dans cette perspective jubilatoire. Ixion s'élance dans une danse cosmique qui fait éclater le monde. Comme le feu, il en fait naître un nouveau :

Ixion rencontre le petit joueur de flûte, et le petit  joueur de flûte joue, […]
De leurs pieds ils rythment le rythme
et la danse
fait entrer les tours en résonance
des continents se lézardent et des continents naissent.

Ixion rescòntra lo pichòt flaütaire, e l'autre jòga, e lei dos dançan[…]
Lors pès-descauç ritman lo ritme
e la dança
fai dintrar lei torres en resonància
de continents s'escrancan e de continents naisson

Entendre les mots

L'esprit de la danse, peut-être pourra-t-on le trouver dans un cheminement à travers ces poèmes, peut-être pourra-t-on entre voix écoutée et voix méditée, entendre les « mots » qui ne sont pas tirés du néant par une instance poétique transcendante. Humblement, le poète se présente comme celui qui recueille une matière verbale éparpillée, qui lui a été laissée par ses prédécesseurs, et qu'il s'incorpore, y compris physiquement :

Ces mots péchés à la dérive
leur pays c’est mon sang
c’est ton sang.

Aquelei mòts pescats a la descisa
lor país aquò's mon sang
aquò's ton sang…

Dorénavant, les mots font partie de l'homme dont la dignité, une fois encore, est affirmée :

Les mots errants vagabonds […]
on les a digérés inventés : faits fleurs de nerfs de sang
et de veines […]
Les mots se sont tus
les hommes parlent.

Lei mòts trevadís barrullaires […]
leis avem digerats inventats : fachs flors de nervis de sang
e de venas […]
lei mòts se son taisats
leis òmes parlan

La « letra II » l’affirme, la poésie est présente au cœur même de l'homme. C'est en lui qu'il doit la chercher, au lieu de se contenter d'une quête stérile et stérilisante de la rime : « non cerquetz pas rima, anem, vos es enclausa ».

Rencontres

La polysémie du mot occitan « mond » (qui désigne les gens et l’univers) est une des clés qui permet d'entrer dans la poésie de Pécout. Ce voyageur ne se contente pas de courir le monde, il sait aussi rencontrer les gens. Des marcheurs parcourent l'univers pécoutien, et le cheminement leur est occasion de rencontres et d’échanges.
Ce n'est pas par hasard qu’il y a trois « Lettres » dans le recueil, et que le titre contient la polysémie de l'occitan « per », assumée en français par la double traduction Poèmes pour / à tutoyer . Le monde parcouru est un monde habité, et les voyageurs, sont à l'écoute de ses bruits familiers. Les poèmes ne dessinent cependant que des silhouettes, toutes fugitives, perçues à travers un halo imprécis.
C’est surtout à travers leurs sensations que le lecteur a conscience de l’existence des êtres dont les poèmes ne tracent que des ébauches. Il en est ainsi de ces impressions notées dans la « ville étrangère » de la « lettre I », impressions familières, presque banales, qui tirent leur force expressive de cette banalité jamais dite :

L'aventure à cette heure, c'est l'air d'accordéon qui donne un rythme cool à ce que j'écris. Moi qui n'aimais pas l'accordéon, j'en bois la musique dans ma tasse. Le petit crème a le goût des oranges du marché qui se monte dehors, sur le quai. Vin blanc. Voix égales. Des travailleurs qui rient.

marché Bizerte marché Bizerte

Marché Bizerte

L'aventura d'aquesta ora es l'èr d'acordeon que dona un ritme benanant a çò qu'escrive. Ieu qu'amave pas l'acordeon lo beve dins ma taça, e lo cafè ambé de lach a lo gost deis iranges dau mercat que se monta defòra sus lo quèi. Vin blanc. De trabalhaires que rison. Votz planas.

Dans le poème liminaire, le voyageur ne recherche pas seulement le contact des éléments cosmiques, mais aussi celui des « rues bouillantes ». Il s’agit d’être au monde, pour s'y faire une place, avec les autres.
Être au monde, c'est aussi vivre au cœur des plus humbles choses, de la « graisse de machine », par exemple dans le poème liminaire ou des objets qui pour d'autres ne sont que rebuts. Ainsi, dans les Poèmas per tutejar, comme dans d'autres textes, y a-t-il place pour les ordures, considérées comme les traces d'une vie humaine dont la vie peut renaître :

Nous rencontrions des tessons de bouteilles
des boites de conserves rouillées au milieu
des plants de tomates qui poussent dans les ordures

Rescontraviam de morcèus de botelhas
de boitas rovilhadas entre lei plants
de pomas d'amor que grelhan deis escobilhas

Dans la « Passejada lòng dau riu après vendemiar », ce qui est détruit, ce qui est pourri, ne représente pas un achèvement, une dissolution, mais une transformation, une re-naissance, qu'il s'agisse des maisons détruites comparées aux bêtes malades dont se repaît le renard ou des légumes pourris dont les graines servent de nourriture aux mulots.

L'homme fort de sa misère

La force de l'homme pécoutien, c’est de toujours savoir tirer la vie de la douleur et de la mort. Nous le savions depuis le recueil Avèm decidit d'aver rason. Sa force lui vient d'une misère connue et assumée. Ces vers connus des occitanistes de l'après-68 nous reviennent en mémoire à la lecture du premier « poèma per tutejar » : « dins lo ventre de cada viatjaire » :

Dans le ventre de chaque esclave
il y a un homme qui se remue
et qui attend son heure
et qui voudrait que ce soit tout de suite.

Dins lo ventre de cada esclau
i a un òme que se bolega
e qu'espèra son ora
e que voudriá que siague l'ora d'ara

Comme dans Avèm decidit d'aver rason, de l'homme blessé, souffrant, dépouillé, naît l'homme nouveau, l'homme révolté, l'homme debout :

Nous n'avons que trop trébuché
avec des plaies aux genoux
et aux coudes
si nous sommes debout
c'est que nous l'avons gagné.

Avèm que tròp trabucat
ambé de plagas ai genolhs
e ai coides
se siam de pè
es que l'avèm ganhat.

L’affirmation têtue de la dignité de l'homme révolté, de celui qui serre son poing dans sa main, (« Dins lo ventre de cada man – i a un ponh sarrat – per fendasclar lo vent » / « dans le ventre de chaque main – il  y a un poing serré – pour fendre le vent. ») n'est pas due seulement aux circonstances militantes qui ont accompagné l'écriture du premier recueil, elle acquiert à l'évidence une dimension existentielle. Elle souligne le statut de l'homme libéré des pouvoirs oppresseurs, mais aussi la place de celui-ci au cœur du monde et des éléments, affrontant le vent dans une lutte amoureuse ou liant amitié avec les pierres qui font obstacle à son cheminement.

L’homme humble, fragile, et « fort de sa misère » des Poèmas per tutejar est aussi un homme de la présence charnelle au monde. Aucune séparation entre ce qui relève de l'abstraction et ce qui relève du contact sensuel avec l'univers. Ainsi abondent les expressions où la conjonction de l'abstrait et du concret fait naître l'image, comme  dans le poème « Lei mots » :

en faire pousser une lucidité
verte comme les pommiers
avec des raisins âpres…

Raisins Verts Raisins Verts

n'espigar una luciditat
verda coma la pomièra
ambé de rasims aspres...

Il ne faut pas voir là pur jeu rhétorique, ou simple parti-pris esthétisant. Le mot, la parole poétique elle-même, se fait chair, comme l'exprime le poème liminaire :

dans le ventre de chaque mot
il y a les sens de chaque chose
la restitution des couleurs imaginées
et la fusion des métaux…

dins lo ventre de cada mòt
i a lei sens de cada causa
la restitucion dei colors imaginadas
e la fusion dei metaus…

Sensualité et accord des contraires

L’œuvre réitère à chaque page la volonté têtue de ne pas dissocier l'homme de chair de l'homme raisonnable, et d'inscrire celui-ci au cœur de l'univers sensible.

Fraternité de l’ombre-tourterelle, joie des chants, chant des peaux par les tunnels du soleil.

ombre des oliviers ombre des oliviers

Frairetat de l'ombra tortora, jòia dei cants, cants dei pèus tras lei pertús dau solèu.

L'impossibilité de séparer le rêve poétique de la matérialité du monde est une des formes que prend dans l'œuvre le refus de séparer les contraires. Leur articulation se traduit souvent par une présentation binaire des phrases. Ainsi de cette reprise symétrique dans le poème limininaire :

« Amaviam de beure - e amaviam la set belèu » / « Et nous aimions boire, - et peut-être nous aimions la soif »

La soif et l'acte de boire sont deux faces de la même réalité, appréhendée par les sens toujours en éveil. Leur complémentarité rappelle le double motif du désert et de l'oasis que Pécout aime tant à décliner et qui apparaît dans le même poème :

 

Et toujours continuait un torrent à sec
mélange d'eau et de désert

torrent de Pareis torrent de Pareis

E totjorn contunhava un gaudre secat
desèrt e aiga mesclats

De même, le poème « Dins solèu asclat de luna » présente plusieurs occurrences de rythmes binaires exprimant des couples d'oppositions complémentaires :

de déchirer à recoudre
de la pierre au coup de vent

entre estrifar e sarcida
entre pèira e còp de vent

La déchirure, expression de la blessure ou de la mort, se lit dans son rapport à la réparation, à la vie ; l'extérieur est en correspondance avec l'intérieur ; l'élément aérien dans sa légèreté, son caractère impalpable et invisible, a pour corollaire la pierre, élément terrestre, sa matérialité et sa dureté.

Dans la « Letra I », c'est au temps que Roland Pécout applique ce désir d'articuler les contraires : « ai mila ans per viure, ai ren qu'un instant » / « J'ai mille ans pour vivre, et rien qu'un instant ». Ainsi se conclut le quatrième paragraphe de ce texte en prose.

Le point majeur où se joue cette articulation des contraires, c'est certainement la complémentarité de la vie et de la mort surtout présente dans la « Canta de l’aut silenci », comme le va-et-vient entre la douleur et l'apaisement. Présentés comme un jeu sur les parallélismes, les couples vie / mort ou douleur / douceur apparaissent parfois à travers des métaphores :

« la pena es sau la patz es mèu » / « la peine est sel  la paix est miel »,

mais aussi, chose rare dans ce poème tout de pudeur et de retenue, d'une façon plus explicite :

« lusís la flor lusís la mòrt » / « brille la mort brille la fleur »

Les Poèmes per tutejar, à travers leur grande variété formelle et thématique, donnent à lire la diversité du réel. Le monde, les hommes qui le peuplent, sont dessinés dans la multiplicité de leurs facettes et leur complémentarité réciproque. La plupart du temps, le divers est décrit à travers des figures binaires dont chacune, comme le Yin et le Yang des Chinois, dépend étroitement de l'autre.
Cette perception confère à l'univers poétique pécoutien une grande sérénité. Il ne s'agit pas d'un aveuglement devant la douleur, mais de l'acceptation de celle-ci comme un passage, un moment d'un processus vital en perpétuel inachèvement.