Soutenance de thèse

Le Mercredi, 7. décembre 2022 -
14:00 - 19:00
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M. Félix JOURDAN

Soutiendra mercredi 7 décembre 2022 à 14 h

Salle Auditorium du grand équipement documentaire (GED), Campus Condorcet (10 Cours des Humanités 93322 Aubervilliers)

une thèse de DOCTORAT

Discipline : Sociologie

Titre de la thèse : Rituels musulmans à l’épreuve de l’abattage humanitaire-industriel

Composition du jury :

  • M. Farid EL ASRI, Professeur, Université internationale de Rabat (Maroc)
  • M. Didier FASSIN, Professeur, Collège de France
  • M. Jean GARDIN, Maître de conférences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, codirecteur de thèse
  • Mme Isabelle GERNET, Maîtresse de conférences, Université Paris Cité
  • Mme Jocelyne PORCHER, Directrice de recherche, INRAE, directrice de thèse
  • Mme Catherine RÉMY, Chargée de recherche, CNRS
  • M. Charles STÉPANOFF, Directeur d’études, EHESS

Résumé de la thèse

La mise en lumière des grandes évolutions de la mise à mort des animaux d’élevage en Europe occidentale donne à voir la construction d’un modèle « humanitaire-industriel » d’abattage qui croise d’un côté des règles morales (abattre les animaux avec étourdissement pour réduire au maximum leur douleur), de l’autre des règles productives (abattre les animaux en série le plus efficacement possible). A rebours de l’idée que l’abattage contemporain serait sécularisé parce qu’industriel, ce travail part de l’hypothèse qu’une « raison humanitaire » en constitue le fondement moral voire religieux. Si les aspects productifs et sanitaires ont prévalu depuis l’industrialisation des abattoirs, la montée en puissance du bien-être animal et du militantisme animaliste contraint désormais les professionnels d’abattage à se justifier sur la moralité de leurs pratiques. Cette recherche doctorale soutient la thèse que les pratiques rituelles islamiques, en sapant les fondements moraux de l’abattage humanitaire-industriel, entravent son processus de relégitimation ; raison pour laquelle elles doivent impérativement être arrimées à la raison humanitaire pour perdurer. Pour mettre cette thèse à l’épreuve du terrain, une enquête a été conduite entre 2018 et 2021 dans 16 abattoirs et auprès d’une centaine de personnes impliquées dans les activités d’abattage (services d’inspection vétérinaire, professionnels d’abattage, sacrificateurs, agences de certification halal, théologiens musulmans…). Une attention a été portée plus spécifiquement aux effets produits par l’application du règlement européen de protection animale n°1099/2009, actuellement en vigueur en abattoir. Les résultats de l’enquête montrent que l’application des mesures de protection animale s’accompagne de tensions récurrentes entre industriels et services d’inspection vétérinaire sur la question de l’abattage rituel. Alors qu’il est exigé côté humanitaire que les animaux soient strictement inconscients lors de leur mise à mort – quitte à ce qu’ils soient tués par le procédé d’étourdissement –, il est exigé côté islamique qu’ils soient strictement vivants – quitte à ce que les animaux restent conscients durant leur agonie. Cette double injonction, qui rend complexe la normalisation des pratiques d’abattage et l’harmonisation des inspections vétérinaires, montre que l’application des mesures de protection animale conduit à faire de l’abattage rituel un problème industriel. Si ces tensions signalent plus largement l’existence d’un « conflit d’intolérables » entre deux manières de légitimer l’abattage, l’enquête montre que les conceptions humanitaires et islamiques ont aussi des points communs dans leur rapport à la mort des animaux. En l’espèce, elles sont toutes les deux caractérisées par un double réductionnisme – assimilation des animaux à leurs caractéristiques biologiques d’une part, ajustement des exigences morales aux contraintes productives d’autre part – principalement lié à la spécialisation et l’industrialisation des activités d’abattage. En bout de chaîne, que l’abattage soit avec ou sans étourdissement, la moralité de la mise à mort des animaux ne repose que sur le strict respect d’un geste technique sacralisé, par lequel sont en même temps légitimées les pratiques industrielles. Dès lors, si l’accroissement des contraintes productives en abattoir, consécutif à la densification des mesures de protection animale, pourrait amener l’abattage rituel musulman à s’humanitariser ces prochaines années, la mise à mort des animaux n’en deviendra pas moins industrielle. Ce travail doctoral montre que, finalement, le renvoi des préoccupations morales vers l’unique question de l’étourdissement des animaux (que ce soit du côté humanitaire ou islamique) occulte la critique des systèmes industriels d’abattage.

Dernière mise à jour : 23/11/2022