L'occitan, une histoire

Introduction

Voilà un sujet qui n'est pas vraiment évident. Il n'existe pas de territoire immédiatement identifiable sur une carte politique, historique ou géographique, portant le nom d'Occitanie, et il n'y en a jamais eu en dehors de celles produites par le militantisme occitaniste. Ce qui existe historiquement c'est deux choses :

  • une langue romane, l'occitan, parlée depuis en gros le VIIIe siècle par une population occupant un espace que l'on peut délimiter, entre Atlantique et plaine du Pô d'une part, entre Nord du Massif Central et Pyrénées d'autre part ;

  • et des territoires divers, provinces d'abord, régions ensuite, qui se partagent cet espace linguistique et connaissent au fil des siècles des évolutions, des histoires événementielles qui ne se réduisent pas forcément à un schéma unitaire : du simple point de vue de l'histoire politique, qu'y a-t-il de commun entre la Vallée d'Aspe, relevant jusqu'à la Révolution d'un Royaume de Navarre partageant depuis 1620 le destin du royaume de France, la Val d'Aran, pyrénéenne elle aussi, mais aujourd'hui en territoire espagnol, et la Val Stura, située pour sa part sur le versant italien des Alpes du Sud ? Fort peu de choses, on en conviendra. Le seul élément qui les unit sur le long terme, c'est le fait que la langue de leurs habitants est, dans chaque cas, une variante de l'occitan.

Il n'est donc pas question ici de parler d'une Occitanie au singulier, comme s'il s'agissait d'une entité dont l'existence irait de soi aux yeux de tout un chacun. Nous tenons d'autant plus à préciser cela que la tentation normale des acteurs de la renaissance d'oc telle qu'elle existe depuis le XIXe siècle a été de chercher à fabriquer un discours sur l'histoire occitane calqué sur le modèle des histoires nationales ordinaires (l'histoire de France par exemple... ), avec ses héros et ses martyrs, son tempérament national immuable de siècle en siècle, ses ennemis héréditaires, ses grands moments et ses moments de douleur.

La fabrication d'un tel légendaire national est possible lorsqu'une institution d'État en assure la diffusion en société, elle a peu de sens quand elle n'est portée que par une petite minorité dépourvue des moyens pratiques d'imposer son discours. Nous préférons centrer notre regard sur ceux qui parlent l'occitan - nous les appellerons les Occitans par commodité - à partir d'une question en apparence naïve : dans quelle mesure un espace linguistique est-il aussi un espace d'histoire ? Après tout, la langue est, entre autres choses, un outil de communication. On peut dès lors considérer que l'espace d'une langue donnée, quelles que soient la diversité des formes qu'elle prend localement, définit un espace de communication, et donc un réseau de liens et de solidarités qui ne prend pas forcément la dimension d'une entité politique mais peut fonctionner néanmoins, sur la longue durée.

Il ne faut donc pas s'attendre ici à une histoire « nationale », se déroulant au fil des siècles à l'ombre d'un État particulier, ou, à défaut, racontant les efforts d'un Peuple pour se doter, justement, de cet État dont il ressent l'impérieuse nécessité au nom du sentiment de son « identité ». On essaiera par contre de suivre trois pistes qui nous paraissent complémentaires :

  • Qu'est ce qui au-delà de la langue unit les diverses portions de l'espace que l'on a défini plus haut ? On tiendra donc compte ici de la longue durée, celle des usages agraires, des structures familiales, des courants migratoires internes et externes, de la sociabilité, des mentalités... Tout en tenant compte du fait que depuis la Révolution industrielle, c'est à la désintégration de ces caractères séculaires que l'on assiste, au rythme de l'unification du territoire national français.

  • Cet espace occitan, situé à la charnière de l'Europe du Sud, celle des péninsules, et de l'Europe du Nord, dont le Bassin Parisien constitue l'avancée la plus méridionale, situé aussi entre Atlantique et Méditerranée, constitue à la fois un espace de rencontre, un réceptacle d'influences contradictoires ou complémentaires, et un enjeu géopolitique, dont l'importance a été perçue très tôt. Le fait que la mise ait été remportée assez vite par une puissance bien particulière, l'État français, ne doit pas faire négliger que ce n'était pas joué d'avance, alors même que toute une tradition historiographique « nationale » invite à considérer que c'était justement le destin des pays d'oc de devenir ce qu'on appelle le « Midi », inséparable de son Nord. Et par ailleurs, que la majeure partie de ces pays et de leurs habitants soient effectivement intégrés à la France depuis longtemps et n'aient somme toute jamais remis en cause cette intégration ne signifie pas que leur participation à l'histoire de France ne présente pas parfois des caractères spécifiques.

  • La spécificité culturelle, linguistique, mentale de cet espace et des populations qui l'habitent est suffisamment forte pour avoir été perçue et explicitement signalée, de longue date, aussi bien par les intéressés eux-mêmes, à travers des formes culturelles particulières, littérature orale et écrite notamment, que par leurs voisins : on aura ainsi à tenir compte de la façon dont les observateurs du Nord ont pu décrire des populations « méridionales » perçues comme à la fois familières et étrangères.

C'est donc en tenant présentes à l'esprit ces trois dimensions que l'on va à présent tenter de résumer ce qui s'est passé en pays d'oc.

DébutSuivantSuivant
AccueilAccueilImprimerImprimerRéalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)