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Claude Marti - 1974

Marti

C’est surtout autour du répertoire de Marti, entre textes écrits et poèmes interprétés, que l’étude est articulée. L’analyse lucide accompagne la lecture intériorisée du parcours du chanteur. Roland Pécout se présente comme un acteur du mouvement qu’il analyse à travers l’itinéraire singulier et exemplaire de Marti. C’est comme acteur qu’il parle de sa propre rencontre avec l’occitanisme de 1968, qu’il s’agisse de l’enthousiasme de mai ou de l’amertume de l’automne qui suivit. Il conte les tentatives de rendre publique et visible la revendication occitane : la première fois que Marti apparut dans une réunion militante, ce fut pour y populariser l’usage de masse de l’affiche sérigraphiée, avant de choisir l'année suivante la chanson comme vecteur de cette revendication. Après un retour sur les années d’enfance et de formation du chanteur, le récit de l’itinéraire de celui-ci prend des allures d’épopée à travers grands meetings urbains et soirées plus intimes dans les villages.

Claude Marti, coll. Poésie et Chanson. Paris, éditions Seghers, 1974.

« affiches : collection CIRDOC ».

Ces spectacles sont voulus comme une reconstruction d’une histoire occitane confisquée et les évocations des tournées sont tissées d’allusions à la croisade des Albigeois, à la Commune de Narbonne ou aux manifestations de 1907.

affiche : collection CIRDOC.

C’est toujours de l’intérieur que Roland Pécout salue avec enthousiasme les solidarités construites par Marti avec les Basques, le Vietnam, le cœur de cuivre du Chili, les poings sanglants qui partout au monde déchirent les barbelés de l’ombre… (p. 52). Le récit de la fête organisée par le mouvement Lutte Occitane à Montségur en juin 1973 qui s’acheva par un concert de Marti est l’occasion de redire l’inscription du combat nationalitaire occitan dans un combat global : « Quand un peuple part de si bas, il a tout perdu, tout à inventer, le monde à changer et à bâtir depuis la racine ; dans cette tâche, ses succès ne sont pas que pour lui : ils lézardent les murs des citadelles. Solidarité planétaire, socialisme, lutte de libération : trois facettes d’une réalité une… » Pécout est aussi capable, de l’intérieur, d’un recul critique par rapport aux pratiques de la récente actualité : « C’était l’époque où l’affirmation occitane prenait des couleurs de tiers-monde ; le passage à une autre étape a marqué la fin d’un certain romantisme et le début d’une analyse plus lucide ». Autre aspect intéressant de l’ouvrage, la réflexion consacrée aux écrivains occitans dont Marti interprète les textes. Pécout salue cette forme de diffusion qui constitua une rupture par rapport à la confidentialité antérieure de l’écrit occitan. Parmi ces voix que révéla la nouvelle chanson, la plus essentielle, selon Pécout, est celle de Jean Boudou :

Les écrivains occitans d'aujourd'hui sont fascinés par la mort. Qu'elle soit solitude, absurdité d'un monde inhumain, naufrage de l'amour ou mort charnelle. Certains l'ont regardée en face, mais comme la Méduse, elle les a transformés en pierres du désert. D'autres la cultivent. Comme Manciet. Son Gojat de Novémer [Le Garçon de novembre] la courtise à mi-voix, mort du désir et désir de mort. Ou bien il pose, irritant, s'enfonce dans les apocalypses, salue la barbarie aseptisée, mitraille l'aube dans les ruines de la guerre ou les ruines du pays. Max Rouquette, lui, a capté la respiration subtile de la mort jusque dans les ombres douces du paradis perdu. Lafont, Yves Rouquette, et des dizaines d'autres assument la vie dans l'histoire qui se fait, mais la mort surgit, par à-coups, comme les ratés d'un moteur de moto (p. 59).

Pécout exprime alors la singularité du rapport à la mort de Boudou (p. 59):

Un seul l'a traversée, de son pas têtu et sans hâte, c’est Bodon. Il a passé de l’autre côté du miroir, il a franchi le tunnel, sans lampe, et nous tous sur son dos, avec sa langue simple, son ton retenu, il accomplit l’errance de tous les humiliés, les déracinés, les rejetés […] En parlant de lui, il est eux. Exorcisées, les formes de la mort qui marchent avec nous et dorment à nos côtés.

La lecture des grands romans de Bodon nous laisse dépouillés, poursuit Pécout en employant une image où se reconnaît son habitude de conférer forme et couleur, lumière et musique à l’abstrait, aux impressions diffuses comme au spirituel :

Quand on a lu Lo Libre dels grands jorns ou Lo Libre de Catòia, on n'a plus ni père ni mère, ni patrie ni sécurité ni rien. Mais la mort est morte d’avoir été nommée. C’est la terrible ambiguïté, le voyageur couvert de nuit qui ouvre la porte : il a encore sur lui des lambeaux d’ombre, mais il ouvre sur la lumière.