Pécout et Van Gogh Imprimer

L’œuvre de Van Gogh, de même que le personnage de l’artiste n’ont cessé de hanter Pécout depuis son enfance, comme il l'explique dans le film Van Gogh :

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En 1977, Pécout consacre au peintre un des premiers « agachs occitans » dans le n° 27 de la revue Connaissance du pays d'oc où il note : « Cerca pas lo realisme, mai una veritat darrièr leis aparéncias de l'anecdòta. » [Il ne recherche pas le réalisme, mais une vérité derrière les apparences de l’anecdote]. Il s'interroge sur le caractère occitan de la peinture provençale de Van Gogh et répond ainsi à cette fausse question :

Un Provençal qui a vu le cyprès de Van Gogh ne peut plus voir de la même manière, ensuite, les cyprès de son pays. Comme un Aixois ne peut plus voir de la même manière la Sainte Victoire après les tableaux de Cézanne […] Alors Van Gogh peintre occitan ? Pas dans le sens d’une annexion. Mais parce que, à travers la marque d’une personnalité, d’une société et d’un temps donnés, une œuvre a atteint à l’universel. (Traduction MJ Verny)

Un Provençau qu'a vist lo ciprès de Van Gogh pòt pas pus veire parièr, après, lei ciprès de son païs. Coma un Sestian pòt pus veire parièr lo Venturi après lei tablèus de Cézanne. [...] Alara Van Gogh pintre occitan ? Pas dins lo sens d'una anexion. Dins lo sens qu'a travers la marca d'una personalitat, d'una societat donada e d'un temps, una òbra a atench a l'universau.

En 1978, l’influence de Van Gogh est sensible dans ces vers de la « Canta de l’aut silenci » (Poèmas per tutejar) :

Quand les cyprès sentent le feu
Comme une flamme dans le fond
Des mains de la nuit...

Vincent van Gogh - La Nuit étoilée Vincent van Gogh - La Nuit étoilée

Quand lei ciprès senton lo fuòc
Coma una flamba dins lo fons
dei mans de la nuech…

Vincent van Gogh, la Nuit étoilée

En 1985, dans le n° 15 de la revue Dolines, figure une chronique intitulée « Histoires des Fenêtres ». Pécout y expose sa passion pour l'art, et la découverte de celui-ci dès l'enfance (monuments romains, souvenirs de Van Gogh à Saint-Paul de Mausole, Le Gréco, Van Gogh à Amsterdam, Carpaccio à Venise, les Primitifs de l'École Provençale à Avignon...). Les fenêtres, pour Pécout, ce sont, comme les phares pour Baudelaire, ces moments d'émotion artistique qui lui ont ouvert des portes nouvelles sur le monde, sur le rêve et le réel mêlés.

Vincent van Gogh, Café de nuit Vincent van Gogh, Café de nuit

La même année, il publie un ensemble de textes intitulé « Recòrd de Van Gogh » [Souvenir de Van Gogh], dans le n° 19 de la revue Amiras, ensemble sous-titré : « Sus quauquei tablèus dau periòde d'Arle e de Sant-Romieg ». L'auteur y analyse les tableaux qu'il intitule « Estiu de la Crau d'Arle » : « Retrach de Patience Escalier », « Sus la resurreccion de Lazare » e la seria pintrada d'après sei mèstres a l'asili de Sant Romieg », « Lo cafè de nuech », « La cambra de Vincent dins l'ostau jaune ».

Vincent van Gogh, La Chambre de Van Gogh en Arles Vincent van Gogh, La Chambre de Van Gogh en Arles
Vincent van Gogh, Café de nuit
Vincent van Gogh, La Chambre de Van Gogh en Arles.

Cependant il n'y a pas là simple description analytique, il y a aussi réflexion philosophique et rêverie sur l'acte créateur, sur la recréation du réel qu'il opère, et qu'il ne faut pas évidemment pas confondre avec le plat réalisme :

L’univers entier est contenu dans une pomme de Cézanne, dans une chaise jaune de Van Gogh. Mais ce n’est qu’un passage, une étape. Pour préparer l’œil à voir. Pour que la pomme de l’arbre et la pomme peinte soient aussi réelles, l’une comme pomme, l’autre comme tableau. Et à la suite, voir, voir, sans le secours de l’art suprême. Comme Rimbaud se fait Voyant pour travailler à voir sans le secours de l’art. C’est le Grand Midi où Nietzsche entre et s’éblouit.
Comme Tàpies réinvente la matière, pas la matière des philosophes ni celle des artisans ni celle des artistes mais la matière du monde dans son élémentaire nudité, lieu de l’endroit et de l’envers. Ses sables frottent et rongent l’écorce de nos paupières, ses murs de graffitis, ses sabbats, ses nœuds de corde, découpent des fenêtres et le réel en toi reconnaît sa patrie, et s’y installe.
(Traduction MJ Verny)

L'univers entier es contengut dins una poma de Cézanne, dins una cadièra jauna de Van Gogh. Mai es rèn qu'un passatge, una estirada. Pèr apreparar l'uelh a vèire. Que la poma de l'aubre o la poma pintrada siaguèsson aitant intensament realas, l'una coma poma, l'autra coma tablèu. E a la seguida, vèire, vèire, sèns lo secors de l'art suprem. Coma Rimbaud se fai Voyant per trabalhar a vèire sèns lo secors de l'art. Es lo Grand Miegjorn onte Nietzche dintra, e s'escaluga.
Coma Tàpies reinventa la matèria, pas la matèria dei filosòfs ni la dei mestieraus ni la deis artistas mai la matèria dau mond nusa e crusa, luòc de l'endrech e dau revers. Sei Sables fretan e rosegan la rusca de nòstrei parpèlas, sei murs de graffiti, sei sabats, sei nos de còrda, retalhan de fenèstras e lo reau dins tu reconeis sa patria, e s'i estala.

En 1987, Pécout publie une nouvelle intitulée « La femme de Barbe-Bleue » dans la revue Entailles n° spécial (26 - 27) intitulé « Visages de femmes ». Le personnage douloureux de Van Gogh apparaît pour la deuxième fois dans l'œuvre de fiction... Il s'agit d'un récit à deux voix : un journal fictif de Van Gogh, écrit à la première personne, et fortement inspiré de ses lettres à Théo, qui alterne avec un récit à la troisième personne, dont le personnage central est Rachel, la célèbre prostituée à laquelle Van Gogh fit don de son oreille coupée. Après le titre, se trouvent des sortes de didascalies ainsi présentées:

Vincent Van Gogh - Paul Gauguin - Gaby dite Rachel - Arles, hiver froid - Noël 1888.
Toute fidélité à des personnages ayant réellement existé, ne saurait se passer de l'imaginaire.


C'est bien en effet cet apport de création poétique qui émeut dans la nouvelle. Aux phrases directement empruntées aux lettres de Vincent à son frère Théo, Pécout ajoute sa propre sensibilité aux souffrances intimes de Van Gogh. Il traduit le désarroi de celui-ci devant l'amitié déçue avec Gauguin qu'il appelle « mon ami P. » :

J'ai décoré sa chambre avec des tournesols, dans la maison jaune. Et lui il a amené ses toiles qui ont un pouvoir, un regard de Genèse, comme si on voyait un monde naître en couleur après la pluie. Six mois à l'espérer, à s'écrire, avant qu'il prenne le train. [...] Et des projets d'atelier qui se défont sans qu'on se le dise. D'ailleurs on ne se dit plus rien. Ses yeux ont un mystère et une distance qui m'effraient. Et si c'était moi qui lui faisait peur ? Depuis deux jours on ne s'est plus parlé .

Mais c'est peut-être, par sa nouveauté, l'évocation du personnage de Rachel qui est la plus émouvante. Le récit écrit à la troisième personne fait une large place aux dialogues et utilise la focalisation interne. Nous voyons avec Rachel. Nous partageons l'attirance, inquiète et curieuse à la fois, de la jeune femme pour celui qui, du surnom de « Barbe-Rouge », va passer à celui de « Barbe-Bleue », parce que - mais est-ce bien la cause première ? - "il s'est peint en rouquin, mais avec du bleu dans la barbe".
Vincent van Gogh,  Autoportrait au chapeau de feutre Vincent van Gogh, Autoportrait au chapeau de feutre

Vincent van Gogh, Autoportrait au chapeau de feutre

Vincent van Gogh, Vue d'Arles Vincent van Gogh, Vue d'Arles

Vincent van Gogh, vue d'Arles
Avec ses mots simples et ses images concrètes - où on retrouve bien évidemment les motifs chers à Pécout -, Rachel parle de la peinture de Van Gogh comme d'une peinture qui fait boire, qui apaise la soif. Les tableaux de Van Gogh qu'elle a découverts dans la chambre de celui-ci lui renvoient ses rêves d'enfance et son désir d'évasion, même au prix de la mort :

Ce rêve la faisait boire et la faisait mourir. Alors elle mettait autour des images de sa vision un Léthé obscur, pour pas que les images la hantent, la noient. Mais parfois les images revenaient d'au-delà du fleuve. Et sur la toile ce vert très tendre, sur la toile ces vergers blancs, figuraient une image captée de son rêve. Un long trait de fraîcheur pour se désaltérer.

La découverte du sinistre paquet envoyé par Vincent provoque l'évanouissement de Rachel. Mais celui-ci est ainsi transfiguré par la plume de l'écrivain :

Alors à l'instant de perdre conscience, sa faiblesse se transforma en une immense douceur. Les éclaboussures rouges papillonnèrent et elle fut dans un grand ciel de flocons blancs, de vergers croulants et nacrés, elle but une neige d'avril qui la désaltérait comme une eau d'enfance.

Ce qui marque l'écriture de ce texte c'est la charge d'humanité que l'écrivain recrée à partir de l'œuvre du peintre. Celle-ci est évoquée de façon très discrète, mais les connaisseurs de Van Gogh la reconnaissent à ces notations qui en disent l'essence. Si Pécout met dans sa nouvelle la vérité biographique, s'il utilise la source des lettres de Van Gogh, à présent publiques, il ne s'en tient pas là : la nouvelle n'est pas un travail de critique d'art ou de biographe comme les chroniques ou l'ouvrage que Pécout a eu l'occasion de consacrer au peintre. La part d'imaginaire revendiquée à l'ouverture de la nouvelle est là, bien présente, à travers le personnage de Rachel.

En 1989, sur une idée de Michèle Baurin, Roland Pécout écrit le texte d'une dramatique-radio en vingt épisodes de 10 minutes, Le soleil qui brûlait Vincent, Radio-France (Atelier de création radiophonique Provence-Méditerranée). L'émission était réalisée par Claude Guerre. Le personnage de Van Gogh était interprété par l'acteur Bernard Meulien (connu notamment à propos de ses interprétations des textes du poète populaire du début du XXe siècle Gaston Couté). Outre des monologues du peintre sous forme de journal intime reprenant en grande partie ses « Lettres à Théo », le texte comprenait des dialogues avec des personnages rencontrés par Van Gogh en Provence, fictif ou réels, comme Gaby dite « Rachel », ou le facteur Roulin.

En 1990, un nouvel article est consacré à Van Gogh, sous le titre « Van Gogh, le rouge et le vert », dans le n° 3 de la revue Ulysses International. La nouveauté de cet essai sur Van Gogh est de se focaliser sur les couleurs utilisées par le peintre, et d'en donner les significations profondes, que ces significations aient été explicitement formulées par celui-ci ou découvertes par l'analyse en sympathie que Pécout opère une nouvelle fois de l’œuvre du peintre.

Vincent van Gogh, Le Café de nuit Vincent van Gogh, Le Café de nuit

L'article s'ouvre par une date : 1888, en gros caractères. C'est la date où Van Gogh peignit Le café de nuit, écrivant à Théo : J'ai voulu peindre avec le rouge et le vert les terribles passions humaines. Cette réflexion du peintre lui-même est révélatrice, pour Pécout, d'un sens profond accordé aux couleurs, bien loin du simple réalisme.

Vincent van Gogh, Le Café de nuit

Après cette entrée en matière, l'architecture du texte est chronologique, comme l'est celle des Itinéraires de Van Gogh en Provence - édité en 1995 mais commencé bien plus tôt, au milieu des années 1980 -. La palette de Van Gogh, son vocabulaire pictural exprimé avant tout par la couleur, Pécout l'explore en suivant la quête du peintre, cette nécessité intérieure profonde

Du noir des premiers tableaux hollandais, caractéristiques de la misère humaine que veut partager Van Gogh - qui, à ce moment-là, projetait de se faire pasteur -, on passe à un éclaircissement de la palette permis par la découverte des Impressionnistes à Paris. Et puis ce sera la Provence dont Vincent décrira les couleurs à Théo. Mais, ajoute Pécout, la couleur, ce n'est pas simplement pour Van Gogh la traduction d'impressions éprouvées devant les paysages, elle peut aussi exprimer les hommes, comme une radiographie de leur âme.
Vincent van Gogh, Les Mangeurs de pommes de terre Vincent van Gogh, Les Mangeurs de pommes de terre
Vincent van Gogh, Les Mangeurs de pommes de terre

Ce que la période d'Arles révèle de l'œuvre de Van Gogh, c'est la systématisation de choix auparavant intuitifs, ainsi de l'opposition entre deux couples de couleurs antagoniques : le rouge et le vert d'un côté, inquiétants, maléfiques parfois, le bleu et le jaune par ailleurs, apaisants, réunissant la douceur maternelle et la force du père idéalisé. Cette analyse est illustrée par de nombreuses allusions aux tableaux, qui l'éclairent et la concrétisent. Pour mettre en valeur le rôle essentiel de la couleur pour Van Gogh, l'article est accompagné de croquis pris parmi ceux que Vincent aimait dessiner en marge de ses lettres à Théo. Chacun de ces croquis est légendé et fait apparaître des indications précises de couleurs.

Itinéraires de Van Gogh en Provence Itinéraires de Van Gogh en Provence

En 1994, paraît le premier ouvrage de Roland Pécout consacré à Van Gogh, intitulé Itinéraires de Van Gogh en Provence, aux Editions de Paris, dans la collection « Itinéraires ». Cet ouvrage abondamment illustré constitue une sorte de synthèse des recherches de Roland Pécout sur Van Gogh. Après une introduction intitulée « Du plat pays au rêve parisien », qui résume la vie de Van Gogh avant son départ pour la Provence, la conception des chapitres consacrés au séjour provençal fait du livre tout à la fois un ouvrage d'histoire de l'art et un guide touristique. En effet les pages de gauche s'attachent à l'itinéraire du peintre, itinéraire biographique, géographique et pictural. La présentation en est chronologique. Les pages de droite, quant à elles, guident le visiteur sur les traces du peintre, présentent les lieux parcourus par ce dernier et donnent des suggestions d'excursion. Un épilogue est consacré à la fin de la vie de Van Gogh, encadrant, avec l'introduction, l'itinéraire provençal,  suivi de 8 pages intitulées : « ...Et pour clore ce livre, quatre facettes mal connues de Van Gogh ». Ces pages présentent d'abord le rôle des bougies dans la peinture de Van Gogh, non pas moyen d'éclairage comme on l'a cru, mais sujet même de sa peinture. Puis Pécout livre des réflexions sur la relation de Van Gogh aux langues, et reprend des propos tenus par le peintre sur le provençal entendu dans les rues d'Arles. Il revient ensuite sur l'analyse de la signification des couleurs dans la peinture de Van Gogh, notamment le rouge et le vert des Barques aux Saintes-Maries, et enfin sur le rapport de Van Gogh à l'exotisme.

En 1996, Roland Pécout publie un nouveau texte sur Van Gogh, intitulé « La pura color, son asuèlh, son azur » [La pure couleur, son horizon, son azur], dans l'ouvrage collectif Colors, publié par le lycée Camargue de Nîmes, sous la direction de Marie-Jeanne Verny pour le texte et Pascal Siéja pour l'illustration. Dans cet ouvrage auquel ont collaboré Jean Marie Auzias, Michel Cals, Jean Paul Creissac, Jean Claude Forêt, Philippe Gardy, Georges Gros, Jacques Landier, Georges Peladan, Max Rouquette, Florian Vernet, ainsi que des lycéens, Pécout, dont ce texte est le dernier en date qu'il a publié sur Van Gogh, reprend et condense les hypothèses formulées en 1990 dans la revue Ulysses International. Le texte a été écrit en occitan et il est présenté avec une traduction française.