Un an de francophonie active en Occitanie-est

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La Maison des francophonies, Montpellier-Via Domitia, a un an. L'occasion de faire un point, avec Maxime Del Fiol, sur sa place dans le paysage culturel et universitaire local et, plus largement, sur celle du français dans le monde.

Maxime Del Fiol est professeur des universités en littératures francophones, président du Conseil scientifique et membre du bureau du Comité de direction de la Maison des francophonies Montpellier-Via Domitia.

Pouvez-vous nous rappeler pourquoi la Maison des francophonies Montpellier-Via Domitia a été créée, et quelles sont ses missions ?

La Maison des francophonies Montpellier Via Domitia a été créée par une convention originale qui associe les universités Paul-Valéry Montpellier 3, Nîmes et Perpignan Via-Domitia à la MSH Sud et Montpellier Méditerranée Métropole. Elle vise à encourager l’étude et la valorisation de la francophonie dans toutes ses dimensions linguistiques, culturelles, historiques et politiques, et à promouvoir le partage international de la langue française et des langues régionales de France.

Témoigner du dynamisme et de la diversité des échanges multiculturels transnationaux en français

 

Maxime del fiol

Elle souhaite faire découvrir ainsi à l’ensemble des trois communautés universitaires, ainsi qu’à tous les habitants de la Métropole, et plus généralement de l’Occitanie Est, la richesse et la complexité de l’espace francophone au niveau mondial comme dans leur environnement proche.

Les actions et les événements qui seront organisés souhaitent témoigner du dynamisme et de la diversité des échanges multiculturels transnationaux en français.

La Maison des francophonies Montpellier Via Domitia a plus précisément trois objectifs principaux :

  1. Un objectif intellectuel et politique reposant sur une volonté de décentrement par rapport à la France et visant à se dégager du francocentrisme qui prédomine encore largement dans l’espace français pour valoriser les « autres en français », en mettant en avant la diversité et le polycentrisme de la mondialité francophone et en favorisant la création d’une « conscience francophone » transnationale et un sentiment du partage mondial du français.
  2. Un objectif scientifique : en faisant de la Maison des francophonies un élément structurant de la recherche en Occitanie Est qui donne la possibilité à tous les collègues intervenant dans le domaine de la francophonie de travailler ensemble, dans un cadre transversal et pluridisciplinaire.
  3. Un objectif culturel : qui privilégie une approche inclusive des langues et des cultures présentes sur les espaces francophones (en France mais aussi à l’étranger), en tant qu’éléments d’enrichissement mutuel.

Une première rencontre autour d'un auteur francophone a eu lieu fin novembre. D'autres rencontres ouvertes au grand public sont-elles prévues ?

La Rencontre d’automne est née de la volonté de créer un événement structurel supplémentaire - un événement « signature » - dans les activités annuelles de la Maison des francophonies. Elle constitue un nouveau temps fort de cette institution, avec le festival des « Rendez-vous des francophonies Montpellier Via Domitia » du mois de mars et la rencontre du Groupe des Ambassadeurs Francophones de France (GAFF) du printemps.

Le français est aujourd’hui la 5e langue la plus parlée dans le monde, la 2e langue étrangère la plus apprise, la 2e langue des organisations internationales, la 4e langue d’internet

 

La Rencontre d’automne, organisé en partenariat avec la Comédie du Livre – 10 jours en mai, souhaite mettre à l’honneur un écrivain francophone, qui n’est pas né et qui n’a pas été socialisé en France métropolitaine, dont la langue maternelle n’est pas le français ou n’est pas le français de France, qui est souvent bilingue, voire plurilingue, et dont le français est la langue de création littéraire, en alternance parfois avec d’autres langues. Cette année, le 30 novembre, dans l’espace Rabelais, nous avons reçu l’écrivaine franco-russe Polina Panassenko pour un entretien autour de son livre Tenir sa langue (Editions de l’Olivier, 2022), animé par Régis Penalva et moi-même.

En dehors de ce cadre, d’autres rencontres avec des écrivains et des écrivaines francophones sont régulièrement organisées à d’autres moments de l’année par la Maison des francophonies ou avec son soutien. Ce sera notamment le cas lors des prochains Rendez-vous des francophonies en mars 2023.

Dans un monde déstabilisé par les crises et les guerres, où en est la francophonie aujourd'hui et quel rôle peut-elle jouer dans le dialogue entre les peuples ?

C’est une vaste question… Il faut distinguer au moins trois aspects dans la francophonie : linguistique, littéraire, politique.

Au plan linguistique, la francophonie est en expansion quantitative, et le nombre de locuteurs francophones, qui est d’environ 321 millions aujourd’hui, pourrait atteindre 750 millions en 2050. Le français est aujourd’hui la 5e langue la plus parlée dans le monde, la 2e langue étrangère la plus apprise, la 2e langue de traduction, la 3e langue des affaires, la 2e langue des organisations internationales, la 4e langue d’internet. Mais ce développement est fragile et il cache de nombreuses faiblesses et disparités. Le nombre de personnes dont le français est la langue première, qui représentent environ un quart des locuteurs francophones, a tendance à stagner, voire à diminuer dans certaines régions du monde. Ce qui augmente, c’est le nombre de locuteurs bilingues ou plurilingues pour qui le français est une langue seconde, utilisée dans certaines circonstances de la vie quotidienne. Ces locuteurs se trouvent aujourd’hui majoritairement en Afrique, et leur nombre dépend étroitement des politiques linguistiques et éducatives adoptées par les pays africains, ainsi que de leur croissance démographique. Par ailleurs, la place du français tend à reculer dans les organisations internationales, au profit d’une hégémonie toujours plus grande de l’anglais. Cette situation un peu préoccupante a été évoquée dans les discussions du dernier sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) à Djerba en novembre.

Valoriser davantage le plurilinguisme et la diversité interne au français

 

Au plan littéraire, on ne peut que reconnaître en revanche le dynamisme de longue date des littératures francophones. La production littéraire de langue française excède très largement aujourd’hui la littérature française car de nombreux écrivains « venus d’ailleurs » (pour reprendre le titre de l’autobiographie de l’écrivain japonais de langue française Akira Mizubayashi, auquel l’université Paul-Valéry a attribué le doctorat honoris causa en 2017) en ont fait leur langue littéraire d’adoption, témoignant ainsi de la très forte attractivité du français et confirmant son statut de langue littéraire internationale de première importance. Ces écrivains bénéficient d’ailleurs d’une reconnaissance croissante par le marché du livre et les prix littéraires en France depuis les années 1990. On peut citer notamment l’attribution du prix Goncourt à l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr en 2021.

Au plan politique, qui concerne surtout l’OIF, il me semble qu’il faut rester humble. La charte de la Francophonie et la volonté de promouvoir les « valeurs universelles » (démocratie, droits de l’homme, État de droit, etc.) que la langue française aurait vocation à porter plus que d’autres langues n’ont eu, me semble-t-il, que des effets très limités dans les relations internationales ces dernières années, y compris entre pays membres de l’OIF... On note par ailleurs le rejet croissant dans certains pays francophones, en Afrique notamment, de la France et de sa politique étrangère. Mais les nouvelles orientations récentes de l’OIF, moins francocentrées, et qui entendent valoriser davantage le plurilinguisme et la diversité interne au français, vont à mon avis dans la bonne direction, en encourageant la diversité et l’égalité culturelles et linguistiques dans l’espace francophone et dans les relations de cet espace avec le reste du monde.

Dernière mise à jour : 16/12/2022