L'occitan, une histoire

Le pouvoir royal et la lingua de hoc, alias Occitania, alias Languedoc

Une première remarque : c'est l'irruption du pouvoir capétien loin au sud de son domaine originel qui entraîne la fabrication du nom des contrées qu'il intègre désormais à ce domaine. On ne peut plus les appeler « comté de Toulouse », ou « vicomté d'Albi, Béziers, Carcassonne », puisqu'il n'y a plus de vicomtes depuis feu Montfort, ni de comtes après la mort d'Alphonse en 1271. Il faut pourtant bien leur trouver une désignation claire, ce qui est fait dès la fin du XIIIe siècle. Ce sera donc la partie du domaine royal où l'on parle une langue qui n'est pas celle de l'autre partie, là-bas au nord : la langue d'oc, en latin Occitania. Ce qui peut englober, au hasard des conquêtes, d'autres zones où justement se parle la même langue...

Mais dans l'immédiat, la préoccupation majeure du nouveau maître des lieux est d'y installer son pouvoir. Il lui faut bien sûr composer avec d'autres, qui étaient là avant, et qui n'ont pas disparu dans la tourmente. Il y a l'Église qui poursuit sa chasse aux hérétiques, de plus en plus acculés. La chute de Montségur en 1244 n'est qu'une étape dans le processus implacable de l'éradication du catharisme, consommé définitivement aux débuts du XIVe siècle. C'est l'Église, et son inquisition, qui sont là à pied d'œuvre, le pouvoir royal fournissant le bras séculier, celui qui allume les bûchers. Mais il lui arrive parfois de mettre le holà au zèle des clercs, se posant ainsi en protecteur de ses sujets.

Il y a aussi les représentants des anciennes élites occitanes, nobles ou bourgeois. Une bonne partie de la haute aristocratie locale, on l'a dit, a été éliminée ou sérieusement réduite. Mais il ne s'ensuit pas une substitution de population : en dehors de quelques familles venues du nord, vite occitanisées d'ailleurs, comme les Lévis-Mirepoix, on n'assiste pas vraiment à une authentique colonisation : l'Occitanie du XIIIe n'est pas l'Angleterre remodelée par la conquête normande après 1066.

Si dans un premier temps c'est du nord que viennent les agents du roi, notamment ces sénéchaux de Beaucaire et de Carcassonne, rejoints après 1271 par celui de Toulouse, le pouvoir royal se garde bien de leur donner le titre qu'ils porteraient au nord, celui de baillis: il leur laisse celui de sénéchal, introduit précédemment par le comte de Toulouse. Et il commence dès les années 40 à recruter aux échelons inférieurs de son administration des agents issus soit de la petite aristocratie, soit des bourgeoisies urbaines : se noue alors une alliance appelée à durer plusieurs siècles entre ces élites locales et le roi qui leur ouvre des perspectives de carrière à son service.

Les remparts d'Aigues-MortesInformationsInformations[1]

Par contre, les bourgeoisies urbaines apprennent vite que le processus patient qui leur avait permis au siècle précédent de se doter de consulats aux prérogatives de plus en plus étendues n'est plus à l'ordre du jour : le roi n'entend pas laisser se développer de vrais contre-pouvoirs...

Quant aux classes populaires, elles ont subi de plein fouet le choc de la croisade et de ses ravages. Mais le pouvoir royal sait trouver les procédés qui permettent de corriger les effets les plus négatifs de la prise de possession de ses nouveaux territoires. À la veille de partir en croisade, Louis IX y lance ainsi une enquête sur le comportement de ses agents qui lui permet de se construire une image de souverain justicier bien utile pour s'attirer la loyauté des populations. Et bientôt les villages commencent à se doter, avec la bénédiction du pouvoir, de leurs propres consulats, comme les villes.

De fait, au fur et à mesure que le temps passe, l'intérêt bien compris des classes dominantes et la résignation des autres font oublier le traumatisme de la croisade, d'autant plus que, on l'a dit, le pouvoir royal, si pieux qui puisse être Louis IX, n'entend pas laisser trop de liberté au pouvoir de l'Église. Son petit-fils Philippe IV, dit le Bel, ira même fort loin dans ce domaine, jusqu'au conflit avec le Pape : c'en sera alors fini du projet théocratique d'Innocent III et de ses successeurs.

Du point de vue culturel, l'arrivée des nouveaux maîtres n'a pas dans l'immédiat de conséquences linguistiques, ne serait-ce que parce que la chancellerie royale elle-même n'en est pas encore à faire du français sa langue administrative. L'occitan peut donc poursuivre sa progression aux dépens du latin des clercs, comme langue des chartes, et des administrations municipales. Dans le domaine juridique, le Sud conserve aussi sa spécificité, avec ce droit romain réintroduit à partir du XIIe siècle, et qui poursuit au suivant sa progression sur une bonne partie de l'espace occitan. Les rois de France se garderont bien d'imposer le droit coutumier en vigueur au Nord.

Les Jeux Floraux présidés par leur fondatrice mythique Clémence Isaure, vus par un peintre du XIXeInformationsInformations[2]

Par contre, du point de vue littéraire, il est clair que l'âge d'or des troubadours est terminé. Les cours qui les faisaient vivre en pays d'oc ont disparu : les derniers bastions, Narbonne et Rodez, ne survivent pas à la fin du XIIIe. La lyrique courtoise peut survivre un temps à l'extérieur, en Catalogne ou en Italie - c'est même en Italie que sont copiées une bonne partie des anthologies manuscrites qui conservent pour la postérité cette lyrique - et les notices biographiques concernant les principaux troubadours.

C'est aussi hors des pays d'oc que sont rédigés les premiers manuels de grammaire et de rhétorique occitane, le Donat Proensal et les Razos de trobar ; mais dès la fin du XIIIe, en Italie comme en Espagne, ce sont les vulgaires locaux, galaïco-portugais, castillan, catalan, italien qui prennent le relais, même pour des auteurs familiers de l'héritage occitan comme Dante.

Et de toute façon, le contenu de la poésie d'oc ne peut plus être le même : la méfiance de l'Église face à la fin'amor est grande, et les nouvelles élites émergentes ne partagent plus les valeurs d'avant la croisade : ce qui va dominer dans la littérature d'oc à partir de ce moment, c'est soit une littérature à forte tonalité religieuse, d'édification bien sûr (la réflexion théologique ne peut se mener qu'en latin, et sous le contrôle étroit de l'Université ou de l'Inquisition), soit une littérature technique et scientifique, parfois narrative, mais sur des modèles - épique, arthurien - venus du nord. Car le pays d'oc n'est désormais plus en mesure d'être à l'initiative des innovations culturelles et littéraires.

De la même manière, c'est désormais à l'extérieur de leur espace que les Occitans vont chercher leurs modèles artistiques et architecturaux : le gothique se répand aux dépens du roman traditionnel, même s'il existe un gothique méridional présentant quelques traits particuliers.

Albi - Cathédrale Sainte CécileInformationsInformations[3]

Certes, toutes les terres d'oc ne sont pas passées sous la domination des rois de France : les comtés pyrénéens lui échappent. Mais ce n'est que partie remise. Et l'Aquitaine reste un enjeu considérable : en 1203, le roi de France en arrache une partie à l'Angleterre avant de la lui restituer en 1258 en échange d'une reconnaissance officielle de son statut de vassal. Là encore, c'est que partie remise.

La Provence, on l'a dit, est maintenant entre les mains d'une dynastie capétienne qui se soucie d'ailleurs moins de son nouveau domaine - une fois qu'elle a éliminé la résistance de quelques grands seigneurs ou de quelques villes - que d'en faire la base de départ d'opérations plus ou moins réussies en direction de la péninsule italienne. Les Angevins de Provence rencontrent là des Aragonais qui se tournent vers la Méditerranée après avoir renoncé, en 1258, à toute prétention sur ces contrées au nord des Pyrénées que leurs aïeux avaient tant convoitées. Mais de toute façon, ces comtes de Provence ne s'opposeront jamais à leurs cousins de France.

Au tout début du XIVe siècle, la situation semble donc bien plus tranquille que cent ans plus tôt. La question religieuse est réglée, nonobstant quelques traces de valdéisme ou de dissidence franciscaine. La paix royale règne sur le Sud, la conjoncture économique est relativement bonne, des villes comme Toulouse et Montpellier font figure de grandes villes européennes avec entre 30 000 et 40 000 habitants. Ce répit ne va pourtant pas durer.

  1. source : wikimedia Licence : Domaine Public

  2. Félix Saurines, Musée du Vieux-Toulouse ; source : wikimedia Licence : Domaine Public

  3. source : wikimedia Licence de documentation libre GNU

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