L'occitan, une langue

Graphie de l'occitan

Le Moyen Âge occitan a mis en circulation des conventions d'écriture autochtones, faisant émerger non pas une seule forme de langue écrite homogène, mais sans doute des normes régionales d'écriture, susceptibles d'être comprises assez largement et de circuler sur l'espace occitan ou au-delà dans l'espace roman. Dans l'ensemble, les textes médiévaux écrits en occitan prennent une certaine distance avec les réalisations orales, dialectales, sans doute considérées comme appartenant à un registre populaire afin de distinguer les registres, considérés comme nobles, que consigne la langue écrite (écrits officiels ou notariaux, traités scientifiques, poésie, etc.).

Les caractéristiques graphiques propres à l'occitan se sont toutefois progressivement perdues pour disparaître presque totalement au XVIe siècle. Dès lors vont apparaître diverses graphies que l'on qualifiera de phonétiques dans la mesure où elles se servent de la valeur phonétique des graphèmes du français pour transcrire les sons de l'occitan. Ces graphies phonétiques, contrairement à la graphie médiévale, tentent de reproduire le plus fidèlement possible les réalisations dialectales. Il faut attendre le XIXe siècle pour voir émerger à nouveau des systèmes graphiques largement reconnus dans l'espace occitan.

Joseph RoumanilleInformationsInformations[1]

En 1854, à sa création, l'association provençale du Félibrige adopte le système orthographique proposé par Joseph Roumanille. Cette notation prend appui sur le système graphique du français. C'est notamment grâce au succès de l'écrivain Frédéric Mistral qui a fini par se rallier au système préconisé par Roumanille, même s'il a été tenté dans un premier temps par la graphie d'Honnorat, d'inspiration classique (voir à ce sujet la correspondance entre Roumanille et Mistral). Cette graphie officielle du Félibrige est d'ailleurs restée sous le nom de "graphie mistralienne". Avec l'essor du Félibrige, elle s'est étendue dans l'ensemble de l'espace occitan et a été adaptée aux divers dialectes de l'occitan, mais a été peu à peu concurrencée par le développement de la graphie classique. Dans les années qui suivent la Seconde Guerre, l'usage de la graphie mistralienne s'est nettement réduit pour se limiter progressivement à l'espace dialectal provençal et vivaro-alpin. Si cette graphie reste aujourd'hui en usage en Provence pour des raisons historiques, elle coexiste aujourd'hui dans ce dialecte avec la graphie classique.

Graphie mistralienne

Graphie classique

" Es soulamen au cantoun de la carrièro que s'avisè per lo proumié cop de quaucarèn d'estrange : un cat que legissié 'no mapo. Un moumenet, Segne Dursley coumprenguè pas ce qu'avié vist, pièi virè la tèsto per tourna espincha : i avié un cat tigra que se tenié au cantoun de Privet Drive, mai ges de mapo en-liò. Mai que i' avié pouscu passa per la tèsto ?

Avié degu èstre un jo de la lus. Segne Dursley cluquè lis iue e fixè lou cat loungamen. Lou cat lou fixè tambèn. Dóu tèms que Segne Dursley viravo au cantoun e prenié la carrièro, mirè lou cat dins lou retrouvisour. Aqueste cop èro à legi lou panèu que disié Privet Drive - noun, à regarda lou panèu ; li cat podon pas legi li mapo nimai li panèu. Segne Dursley s'espóussè un pau e remandè lou cat de sa ment. Dóu tèms que menavo vèrs la ciéuta, pensavo à rèn, soun-qu'à uno coumando grosso de fouradouiro qu'esperavo d'agué aquéu jour. "

" Es solament au canton de la carrièra que s'avisèt per lo promier còp de quauqua ren d'estrange : un cat que legissiá una mapa. Un momenet, Sénher Dursley comprenguèt pas ce qu'aviá vist, puèi virèt la tèsta per tornar espinchar : i aviá un cat tigrat que se teniá au canton de Privet Drive, mai ges de mapa enluòc. Mai de qué li aviá poscut passar per la tèsta ?

Aviá degut èstre un jòc de la lutz. Sénher Dursley cluquèt leis uelhs e fixèt lo cat longament. Lo cat lo fixèt tanben. Dau temps que Sénher Dursley virava au canton e preniá la carrièra, mirèt lo cat dins lo retrovisor. Aqueste còp èra a legir lo panèu que disiá Privet Drive - non, a regardar lo panèu ; lei cats pòdon pas legir lei mapas ni mai lei panèus. Sénher Dursley s'espoussèt un pauc e remandèt lo cat de sa ment. Dau temps que menava vèrs la cieutat, pensava a ren, sonque a una comanda gròssa de foradoiras qu'esperava d'aguer aqueu jorn. "

D'après J. K. Rowlings, Harry Potter and the Philosopher's Stone

Au cours du XIXe siècle, le regain progressif d'intérêt pour l'occitan a favorisé, chez certains auteurs, la volonté de restaurer la graphie classique, autrement dit un système autonome d'écriture basé sur la graphie de l'occitan médiéval. C'est notamment le cas de Fabre d'Olivet et de Simon-Jude Honnorat.

Dictionnaire provençal - français par S.-J. HonnoratInformationsInformations[2]

Plusieurs systèmes d'écriture en graphie classique ont été proposés à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (Joseph Roux, Antonin Perbosc, Prosper Estieu, Jean-Baptiste Calvino), mais c'est véritablement la publication de la Gramatica occitana de Louis Alibert, en 1935, qui représente la mise en circulation d'une véritable norme classique qui connaît aujourd'hui un usage majoritaire dans l'espace occitan. Les travaux d'Alibert sont fortement inspirés par les travaux du catalan Pompeu Fabra qui sont à la base de la norme catalane actuelle.

Couverture de la Gramatica occitana de Louis Alibert, 1935

Condamné pour fait de collaboration, Alibert ne participera à la renaissance du mouvement occitaniste d'après-guerre, mais l'IEO (Institut d'Estudis Occitans) adoptera toutefois officiellement la graphie classique dès sa fondation en 1945. Adaptée au provençal par Robert Lafont et au gascon par Pierre Bec, la graphie classique s'est progressivement diffusée dans tous les dialectes et a acquis un usage majoritaire dans l'espace occitan, à tel point qu'elle représente aujourd'hui le seul système qui soit utilisable dans tous les dialectes. Dans les toutes dernières années du XXe siècle, le CLO (Conselh de la Lenga Occitana) a proposé des solutions techniques pour le réglage de la norme, mais en dépit de la parution de plusieurs ouvrages sur la question graphique en occitan*[3] et d'ouvrages de référence récents *[4] subsistent encore quelques hésitations pour les utilisateurs de la langue, faute d'outils adaptés à l'ensemble des variétés dialectales.

Malgré les querelles graphiques que l'on voit émerger encore périodiquement, on est aujourd'hui bien loin de la situation de deux normes concurrentes pour l'occitan. La norme classique même si elle peut encore susciter localement quelques débats est la graphie majoritaire des écrivains, enseignants et apprenants de la langue. En Provence, la graphie classique coexiste avec la graphie mistralienne où le prestige de Mistral a fortement ancré ce système.

  1. Source : Wikimedia Licence : Domaine Public

  2. Source : BnF Gallica Licence : Domaine Public

  3. Sumien 2007

    cf. Domergue Sumien, 2007, La standardisation pluricentrique de l'occitan. Nouvel enjeu sociolinguistique, développement du lexique et de la morphologie, Publications de l'Association Internationale d'Études Occitanes n°3, Brepols, ISBN 978-2-503-51989-0

  4. Ubaud 2011

    Josiana Ubaud, 2011, Diccionari ortografic, gramatical e morfologic de l'occitan segon los parlars lengadocians, Canet, Trabucaire

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