L'occitan, une langue

La première diglossie : une relative stabilité

Du XVIe siècle jusqu'à la Révolution, on peut considérer que la situation linguistique reste relativement stable puisque l'occitan se maintient comme langue de communication quotidienne dans l'ensemble de la population méridionale et que le français est encore senti comme inapproprié, peu naturel, voire ridicule dans les conversations. Les élites, même si elles apprennent peu à peu le français, ne peuvent faire l'économie de l'occitan pour les usages quotidiens. D'une certaine manière, la société d'Ancien Régime qui n'offre que peu de possibilités d'ascension sociale contribue à bloquer la progression du français. Dans une société fortement hiérarchisée, le passage au français des classes populaires représenterait d'ailleurs une transgression linguistique en même temps qu'une transgression de l'ordre social (Sauzet, 1988).

Pey de Garros
Pey de GarrosInformationsInformations[1]

La première diglossie se caractérise donc avant tout par la perte des registres écrits les plus hauts de l'occitan. Au XVIe siècle, le français devient langue administrative officielle écrite sur l'ensemble du territoire français. Devenu progressivement un des symboles identitaires du pays, notamment depuis la guerre de Cent Ans contre les Anglais, le français devient également une véritable institution au niveau littéraire. C'est au XVIe siècle que s'effectuent des choix linguistiques normatifs, que se fixe peu à peu l'orthographe, mais c'est aussi durant ce siècle que se manifestent les poètes de la Pléiade qui décident d'ériger le français au niveau des grandes langues de culture que représentent le grec et le latin.

Si l'occitan administratif finit par disparaître, l'occitan littéraire a de plus en plus de mal à survivre. C'est pourtant dans ce contexte peu favorable à la langue d'oc que l'on assiste dans le Midi à une tentative de renaissance littéraire occitane. Au-delà de la production littérature baroque occitane, on voit émerger une série de « manifestes linguistiques » (Courouau 2001[2]) qui tentent de fonder la dignité de la langue occitane à l'écrit en prenant « l'écriture littéraire et, singulièrement poétique, comme lieu de cette fondation, sur le modèle de ce qui s'est déjà passé en Europe pour d'autres parlers, le français ou l'italien. » (Gardy 2001[3])

Cobèrta de l'edicion de 1647 del Ramelet Moundi de Pèire Godolin
Cobèrta de l'edicion de 1647 del Ramelet Moundi de Pèire GodolinInformationsInformations[4]

Ce mouvement de renaissance de la littérature occitane aura bien du mal à se faire entendre face à une littérature française qui bénéficie non seulement d'un soutien institutionnel, mais aussi des techniques modernes de diffusion dont l'imprimerie alors que la production littéraire occitane circule encore bien souvent sous forme manuscrite. Cette production littéraire occitane, si elle ne s'interrompt jamais vraiment jusqu'à nos jours, devient marginale. Plus grave encore, les écrivains occitans ont perdu la conscience qu'il existe un territoire linguistique vaste dans lequel on parle la langue d'oc. Le modèle prestigieux médiéval étant définitivement oublié, les écrivains n'ont plus le choix que de recourir à leur dialecte pour défendre la langue.

Cette Épître de Pey de Garros apparaît comme un véritable manifeste linguistique pour la défense de la langue occitane. C'est en reprenant l'argumentation de la Pléiade et en retournant contre le français les arguments qu'utilisent les poètes de la Pléiade pour défendre le français que Pey De Garros invite à défendre et à illustrer le gascon par l'écriture poétique.

Epître de Pey de Garros (1567)

" Pux doncas qe plazut vos a

Rhythmes en gascon compauzá,

De my vos n'eratz pas estat

En vaganau sollicitat

A prene la causa damnada

De nosta lenga mesprezada ;

Damnada la podétz entene.

Si degun no la vo dehene

Cadun la leixa e desempara,

Tot lo mond l'apera barbara,

E, q'es causa mes plañedera,

Nosautz medix nos trupham dera.

O praube liatge abuzat,

Digne d'este despaïzat,

Qui leixas per ingratitud

La lenga de ta noyritud

Per qant tot serè pla condat.

Aprene un lengatge hardat,

E no ges conde de l'ajuda

Au pays naturau deguda.

Aqo be's, a pla tot pensá,

Son pays mau recompensá

Més, de ma part, jo'bz asseguri

E religiosament vos juri

Que jo scriuré dam vehementia,

No'm cararé. n'auré patientia.

Deqia qe siam totz acordatz

E d'ua conspiration bandatz.

Per l'hono deu pays sostengue

E per sa dignitat mantengue.

No pas d'espazas aguzadas,

Ny lansas de sang ahamadas,

Om sap prou que l'arnes luzent

Nos es de natura plazent

E qe's sabem plan maejá,

Qui nos ven tarrabusteja ;

Més au loc de lansas pontxudas.

Armem-nos de plumas agudas

Per ornà lo gascon lengatge.

Verge om preziqe d'atge en atge

La gent, la bera parladora,

Com en armas es vencedora [...] "

" Puisqu'il vous a plu

de composer des vers en gascon,

vous n'aurez pas été par moi

sollicité en vain

de prendre la cause perdue

de notre langue méprisée .

Vous pouvez la considérer comme condamnée,

puisque nul ne veut la défendre

et que chacun l'abandonne et la maltraite,

que tout le monde l'appelle barbare

et, chose bien plus déplorable,

que nous-mêmes nous nous moquons d'elle.

Oh! toi, pauvre génération abusée,

digne d'être chassée de son pays,

qui avec ingratitude laisses

la langue de ta nourrice

pour apprendre, en fin de compte,

un langage fardé,

et ne te soucies en rien de l'aide

due au pays d'origine !

Que voilà bien, à y réfléchir,

son pays mal récompensé

Mais, pour ma part, je vous assure

et vous jure en conscience

que j'écrirai avec véhémence,

que je ne me tairai pas et que je n'aurai de repos

que nous ne soyons tous unis

et rassemblés dans une résolution commune

pour soutenir l'honneur de pays

et pour maintenir sa dignité.

Non pas avec des épées aiguisées,

ni avec des lances avides de sang,

car on sait bien que le harnais luisant

n'a rien de naturellement agréable,

quoique nous sachions le manier comme il faut

contre qui vient nous tarabuster.

Mais au lieu de lances pointues,

armons-nous de plumes bien taillées

Pour orner le langage gascon,

afin que d'âge et âge on vante

cette race et son si beau parler

qui vaincra comme par les armes [...] "

À partir du XVIIe siècle, la littérature occitane n'est déjà plus associée qu'à des genres mineurs (théâtre populaire, satires, parodies, pastorales... ). Si l'occitan domine dans les genres burlesques et carnavalesques, c'est précisément parce que c'est encore la seule langue susceptible de toucher un public populaire qui ne connaît pas d'autre langue.

Cette première phase diglossique peut sembler relativement stable. Le français occupe désormais les registres socialement valorisés (l'écrit officiel, administratif, littéraire, etc.) tandis que l'occitan se maintient à l'oral au sein d'une population méridionale majoritairement analphabète. Mais cette stabilité diglossique entérine un état de fait : l'occitan n'est plus considéré que comme une langue basse, d'un statut bien inférieur à la langue française. On ne parle d'ailleurs déjà plus de langue, mais simplement de dialectes que l'on a de plus en plus de mal à relier entre eux. Le terme dépréciatif de « patois » commencera bientôt à se répandre pour qualifier la langue et le siècle des Lumières ne fera qu'associer plus encore le français au progrès de la raison et des sciences, tandis que l'occitan sera de plus en plus associé à une mode de vie rétrograde, archaïque.

  1. Source : Wikipédia Licence : Domaine Public

  2. Courouau 2001

    Courouau Jean-François, 2001, Premiers combats pour la langue occitane. Manifestes linguistiques. XVIe-XVIIe siècles, Anglet, Atlantica.

  3. Gardy 2001

    Gardy Philippe, 2001, « XVIe-XVIIIe siècle : la littérature comme réaction à la situation sociolinguistique », Dix siècles d'usages et d'images de l'occitan, L'Harmattan, 2001, Paris.

  4. Source : Wikimédia Creative Commons Zéro

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