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Un nouveau langage typographique

Fig.1 - Rabelais, Pantagruel, Lyon, François Juste, 1537
Source : BnF/Gallica

La volonté de clarification et de hiérarchisation de la page et du texte est sans doute un des phénomènes les plus importants expliquant les mutations que connaît l'objet-livre. Les choix typographiques jouent à ce titre un rôle essentiel.

Fig.2 - Rabelais, Pantagruel, Lyon, François Juste, 1537
Source : BnF/Gallica

Le caractère gothique reste utilisé pour les textes religieux, juridiques ou en langue vernaculaire. Mais l'on observe l'apparition et le développement du caractère romain, dont la progressive généralisation témoigne de la volonté des imprimeurs de rendre les textes plus lisibles, qu'attestent également la mise en paragraphe et l'introduction d'illustrations qui aèrent la page (fig. 1 et 2).

Fig.3 – Livret des emblemes de maistre Alciat, Paris, Chrestien Wechel, 1536
Source : BnF/Gallica

La romaine, sous ses différentes formes, autorise le maniement d'une double typographie qui permettra une plus claire distinction entre des énoncés de statuts différents à l'intérieur d'un même texte. Plus généralement, les imprimeurs jouent du contraste entre les différents types et tailles de caractères pour des questions aussi bien de lisibilité et d'esthétique que pour des questions sémantiques. Ainsi, l'édition des Emblèmes d'Alciat de 1536 présente le texte original latin en italique tandis que la traduction française est habillée en bâtarde (fig.3).

Fig.4 - La Métamorphose d’Ovide figurée, Lyon, Jean de Tournes, 1557
Source : BnF/Gallica

L'italique, introduite par l'imprimeur vénitien Alde Manuce en 1501 et adoptée en France quelques années plus tard, se spécialise peu à peu dans l'édition de texte en vers si bien qu'elle finit par « tradui[re] typographiquement l'écart du langage poétique par rapport à la prose » . Le grand imprimeur lyonnais Jean de Tournes en fera un usage particulièrement marqué dans ses éditions d'ouvrages poétiques illustrés, telles que celle des Métamorphoses d'Ovide figurées parue en 1557 (fig.4), où l'élégance de l'italique se marie avec la qualité esthétique des gravures de Bernard Salomon et les cadres ornés qui entourent le texte.

Un homme joue un rôle capital dans cette révolution typographique : il s'agit de Geofroy Tory (1480-1533), une des grandes figures de la première Renaissance et de l'humanisme français, tant grammairien, philosophe et traducteur qu'éditeur, graveur et typographe. Son œuvre majeure, le Champfleury, publié en 1529, marque un tournant important dans l'histoire de la typographie et en particulier de la lettre romaine, enracinée dans les spéculations intellectuelles de l'époque qui visent à identifier les lois idéales de la proportion, de la lettre alphabétique comme du corps humain. Le Champfleury, vaste rêverie sur la lettre, s'offre comme un manuel de construction, mais aussi d'interprétation des lettres capitales puisqu'il en livre la signification secrète, la signification morale et la valeur symbolique.

Fig.5 - Geofroy Tory, Le Champfleury, 1529 : le tracé de la lettre A
Source : BnF/Gallica

Tory fait dépendre le tracé des lettres de la géométrie et de l'architecture, disciplines qui sont des arts de la figure, où le mot ne signifie plus simplement le tracé de l'objet, mais l'image mentale de ce que doit être cet objet, le concept formé par l'esprit. Ainsi, le tracé de la lettre devra reproduire la forme parfaite de la lettre telle que le géomètre et l'architecte peuvent la concevoir. L'objet de Tory est donc de fixer le dessin universel de la lettre, d'édicter un canon absolu en la matière. Or ce dessin se fonde sur la théorie de la proportion, élaboré par Vitruve et reprise par Alberti. Plus précisément la quête d'une norme typographique s'inspire des recherches sur la « divine proportion » (fig.5).

 

Structurer la page

Le renouvellement des caractères typographiques répond ainsi, en partie, à un souci de clarification de l'espace visuel du livre, rendu moins dense et moins compact - et donc plus lisible - que ne l'était l'espace du manuscrit. À cet égard, il participe d'un ensemble de procédés matériels et textuels permettant la mise en place d'une nouvelle rationalité du texte. L'identification générique de ce dernier passe par exemple par des indices spécifiques, comme le format chez un imprimeur comme Simon de Colines, le premier à différencier ses éditions par le format, réservant l'in-folio aux sciences et à la médecine, l'in-octavo aux classiques latins et à la pédagogie, l'in-seize à une collection d'auteurs latins pour laquelle il préfère l'italique.

La typographie intègre plus largement tout un dispositif matériel et visuel qui transforme en profondeur l'objet-livre pour en modifier les modalités de lecture.

 


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