La littérature d'oc

Des œuvres et des genres nouveaux

La littérature occitane du XXe siècle conquiert en dépassant les vieilles inhibitions des registres d'écriture inédits.

La prose. Max Roqueta (Rouquette), Joan Bodon (Jean Boudou), Robert Lafont, Bernard Manciet

Quatre grandes œuvres romanesques naissent dans les années 50 de ce défi de dire avec la langue héritée, qui est aussi la langue perdue, ou menacée, l'univers de cette langue, mais de le dire au présent.

C'est ainsi que les romans de Bernard Manciet, Jean Boudou, Robert Lafont, si fortement ancrés qu'ils puissent être dans le pays natal, Landes, Rouergue, Gard rhodanien, parce qu'ils sont des romans du déracinement et de l'exil du sujet, de la rupture historique vécue, ne sauraient être assimilés à des romans régionalistes de l'identité. Pas davantage la prose de Max Rouquette, qui est une exploration savante des chemins de l'écriture tout autant qu'un parcours du Verd Paradís de l'enfance.

Max Rouquette - Secret de l'èrba

La poésie

Elle se dégage de la rhétorique félibréenne, à travers la voix d'une Louisa Paulin qui produisit entre les deux guerres une œuvre émouvante, éditée, ainsi que sa correspondance, par Vent Terral.

Elle se caractérise par la quête éluardienne de la pureté d'énonciation, qui caractérise les jeunes poètes occitans émules du catalan roussillonnais Joseph Sébastien Pons, de Max Rouquette à René Nelli.

On parlera d'un « ton ponsien » commun aux recueils de la collection « Messatges », signés de Serge Bec, Bernard Lesfargues, Henri Espieux, Jean Mouzat, ou encore Yves Rouquette (Photo Georges Souche) ou Jean Larzac.

On trouvera une série de portraits sur le site Cardabelle.

Louisa Paulin
Louisa PaulinInformationsInformations[1]
Max Rouquette - fin de "Lac Megé"
Max Rouquette - Lo silenci
Lesfargas - La patz del ser
Yves Rouquette - Quand parli ...
Joan Larzac - Aquel pòema l'esperavas

Quels échos dans la société ?

Dans les années 70 la revendication occitane, portée

  • par la chanson (Marti, Patric, Mans de Breish, Marie Rouanet...)

  • et par le théâtre (Claude Alranq et le « Teatre de la Carriera », André Benedetto et le théâtre des Carmes , André Neyton et le Centre Dramatique de Provence) qui trouve un certain écho dans la société française, à l'époque du débat sur la désaliénation culturelle, lié à la décolonisation.

Mais la pensée d'un véritable régionalisme culturel, inspiré des situations espagnole et italienne, se heurte en France à la force du centralisme historique, qui marque même les politiques de décentralisation. Dans ces conditions la littérature occitane apparaît à certains marquée du sceau de la protestation, voire de l'hérésie. Ainsi Félix Castan lui assigne-t-il la fonction de « libérer une culture contemporaine prisonnière de ses dogmes ».

Perspectives contemporaines

Le nouvel élan du XXIe siècle

La production occitane connaît depuis quelque dix ans un nouvel élan, dans les domaines croisés de la critique et de la création, semblant toujours puiser dans les obstacles qu'elle rencontre une liberté et une capacité de renouvellement à la mesure du défi que représente son existence même.

À côté des auteurs confirmés publiés par Jorn , Trabucaire , Fédérop  ou Letras d'Oc  (Jean-Marie Petit, Yves et Max Rouquette , Jean Larzac, Serge et Pierre Bec, Philippe Gardy, Jean-Yves Casanova, Roland Pécout , Jean-Yves Royer, Bernard Lesfargues, Jean-Luc Sauvaigo, etc.), de nouveaux auteurs de poésie continuent à émerger, dont les âges varient. Si nous nous en tenons à ceux dont des œuvres ont été publiées en recueil, certains nouveaux auteurs sont nés autour de 1960, comme Jean-François Mariot, qui excelle dans la déclamation de sa poésie (éditions Letras d'òc) ou Serge Javaloyès (éditions Reclams) avec son épopée Sorrom Borrom [Le rêve du gave]. D'autres sont nés dans les années 1980-90, comme Aubin Bonnet (Jorn), Aurélia Lassaque (Letras d'oc), ou encore Estève Salendres (Jorn) .

Joan-Maria Petit - Arbre del matin
Felip Gardy - Driada
Joan-Ives Roìer - lo rainard vai bensai ...
Roland Pécout - Letra

Quelques figures majeures

  • Max Rouquette (1908-2005), prosateur, poète e dramaturge, a fondé son œuvre sur la splendeur solaire des garrigues montpelliéraines et sur la conscience obsédante du temps et du néant. Cette attitude paradoxale est faite d'éblouissement devant la beauté du monde et du sentiment douloureux d'en être exilé. Reflet certainement du rapport de l'écrivain à sa propre langue dont il éprouvait à la fois la noblesse et la fragilité. Sa tâche d'écrivain était d'exprimer au plus près ce paradis et cette douleur secrète. L'univers de Max Rouquette est profondément tragique et serein. À l'écoute des voix multiples de la nature, sa prose et sa poésie essaient de dire la vie humble et sauvage qui la peuple. L'agonie d'un renard ou d'un vagabond, d'un sanglier ou d'un chasseur revêt la même dignité tragique dans la splendeur indifférente de la nature.

  • Joan Bodon (1920-1970) est né dans une famille de paysans rouergats avant de devenir instituteur dans son pays, puis en Algérie. C'est surtout un romancier, auteur de contes, mais il a aussi écrit des poèmes de facture classique et d'une grande émotion dans leur sobriété Son œuvre évoque son pays, le Rouergue, vu et vécu du côté des pauvres, des faibles, des humiliés et des exclus. Il décrit de l'intérieur, avec précision et justesse un monde rural très peu arcadique, mais qu'il aime, malgré les préjugés de ce monde, sa mentalité étroite et peu amène envers les faibles ou les non-conformes, où la femme est la première victime. L'issue n'est souvent que dans la mort, la folie, le vin, la fuite ou la révolte sans espoir. Ses récits, parfois fantastiques, font souvent allusion aux conflits religieux (Protestants, secte des Enfarinés..). Ils sont d'un pessimisme profond mais d'une grande tendresse.

  • Bernat Manciet (1923-2005) est des Landes de Gascogne.

    Lui aussi a essayé tous les genres, dans une langue dont il a cultivé l'épaisseur dialectale jusqu'à l'opacité, mais dans une écriture d'un modernisme toujours renouvelé. Comme poète, il a dit les ruines de la guerre et la déchirure de l'homme moderne (Accidents). Ses Odes sont un tourbillon d'images proliférantes. Il a célébré dans une longue liturgie funèbre l'enterrement d'une vieille femme en reconstituant le pays où elle s'engloutit et qui disparaît avec elle (L'Enterrament a Sabres). Ses romans (Lo Gojat de Novémer, La Pluja, Lo Camin de tèrra, Elena) évoquent les Landes noyées de pluie ou brûlées de soleil, hantées par des protagonistes énigmatiques et douloureux, toujours sur le point de s'évanouir dans la brume ou les marais.

  • Marcèla Delpastre (1925-1998) est une écrivaine limousine, qui passa sa vie dans sa ferme de Germont, à travailler comme paysanne, après un baccalauréat et quelques études d'arts appliqués. Surtout poète, elle a aussi collecté les traditions populaires, elle a célébré la terre où elle demeurait et qui la faisait vivre (Saumes pagans, Paraulas per 'questa tèrra, 5 volumes). Comme M. Roquette et B. Manciet, elle a bâti une cosmogonie, un inventaire lyrique et passionné des plantes et des bêtes qui formaient son univers. Elle exalte sa présence au monde dans des phrases amples, qui sont comme des versets de psaumes et qui composent des actions de grâces ou des complaintes douloureuses. Elle a aussi écrit des souvenirs autobiographiques où elle tente, une fois de plus, sans ingénuité ni passéisme, de reconstituer son enfance dans une civilisation paysanne disparue.

  • Robert Lafont est né le 16 mars 1923 à Nîmes où il étudie puis enseigne les lettres françaises. Très tôt il nourrit une passion pour la langue et les lettres d'oc auxquelles il consacrera sa vie d'écrivain, de chercheur et d'enseignant. A partir de 1964, après une double thèse aux perspectives fondatrices La Phrase occitane et Renaissance du Sud, essai sur la littérature occitane au temps d'Henri IV, respectivement publiées en 1967 aux P.U.F. et 1970 chez Gallimard), il entre à la faculté des Lettres de Montpellier où il rejoint son maître Charles Camproux, devient en 1972 titulaire de la chaire de Langue et littérature occitanes de l'Université Paul Valéry où il exerce jusqu'en 1984, fondant trois équipes de recherche (le Centre d'estudis occitans, une équipe de sociolinguistique et un groupe d'études praxématiques) et créant une section propre d'enseignement de l'occitan.

    Ayant fondé, dès 1942, les Joventuts occitanas (Jeunesses occitanes), il prend part en 1945 à la fondation de l'Institut d'études occitanes dont il devient secrétaire général, directeur scientifique, puis président de 1958 à 1962 ; il en élargit l'action jusqu'au terrain économico-politique, fonde le Comité occitan d'études et d'action qu'en 1972 il transforme en Lutte occitane et, à ce titre, devient en 1974 candidat des « minorités nationales » à la présidence de la République ; cette candidature est invalidée par le Conseil constitutionnel et ses comités de soutien se transforment alors en un mouvement autonome Volèm viure al païs.

    Collaborateur des revues Oc, Cahiers du Sud, Les Lettres françaises et Europe, fondateur ou animateur de nombreuses autres revues, parmi lesquelles on ne citera que Lengas, devenue une revue de référence en sociolinguistque. Robert Lafont fut à l'initiative de plusieurs manifestes et campagnes d'opinion.

    Il est l'homme d'un espace, l'espace occitan. Il le fait connaître et l'inscrit dans une pensée dialectique de l'histoire qui refuse les identités figées. Porteur de la revendication régionaliste, Robert Lafont a acquis une stature d'humaniste européen. Ses voyages, les nombreux échanges intellectuels, le réseau important de relations qu'il a constitué en Catalogne, en Italie, en Allemagne, en Autriche en témoignent , c'est l'Europe des langues et des peuples qui constitue l'horizon de sa réflexion, des Troubadours aux grands débats actuels.

    D'une culture immense et plurielle, d'une force de travail hors du commun, Robert Lafont n'a cessé, depuis 1943, de mener sur tous les fronts une œuvre de création profondément originale, abordant tous les genres et les travaux de recherche scientifique et de critique (histoire littéraire médiévale et moderne, linguistique, sociolinguistique, praxématique), la littérature (prose, poésie, théâtre), auxquels s'ajoutent, à partir des années 60, des essais historiques et politiques. Dans tous ces domaines, il modifia les perspectives, ouvrit des voies et des horizons nouveaux. Il a conquis à la littérature d'oc des champs nouveaux et ouvert la voie d'une écriture scientifique ou politique efficace dans cette langue. Sa bibliographie, comptant plus de cent livres et un millier d'articles, témoigne d'une activité intellectuelle exceptionnelle et d'une présence ininterrompue dans la presse d'opinion.

Complément

Sur Canal-U, consulter : Robert Lafont parle du Grand voyage d'Ulysse d'Ithaque.

Sur le site des Archives Audiovisuelles de la Recherche, est disponible une vidéo d'entretiens avec l'auteur.

  1. Avec l'aimable autorisation de l'association "Les amis de Louisa Paulin"

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