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La lecture et ses supports

Icône de l'outil pédagogique La lecture et ses supports

Le maniement des livres, dans la diversité de leurs formes, suppose un ensemble de positionnements à l'égard de l'écrit, comme activité manuelle mais aussi comme produit et effet de cette activité. L'attitude physique du lecteur et ses gestes sont consubstantiels à l'acte de lire - tout ce qui appartient à l'effort musculaire de la lecture à haute voix - et les gestes qui accompagnent la lecture en fonction de la forme matérielle du support : maniement du volumen puis du codex, mouvements de va-et-vient du regard sur la page... Importance de l'ergonomie, de la position du corps et de la manipulation de l'écrit. Lire un rouleau de papyrus, c'est-à-dire un support végétal, nécessitait qu'on place ses deux mains de part et d'autre du rouleau qui se réenroulait aussitôt si on lâchait l'une des extrémités.

Dans ce cadre, lire plusieurs textes simultanément présupposait qu'on ait de véritables pupitres vivants autour de soi, c'est-à-dire des esclaves.

 

Types de lecture

Dans l'Antiquité et pendant une partie du Moyen Âge, on lisait généralement à voix haute et on écoutait la lecture pour comprendre le texte. Se pose cependant la question des modalités de cette lecture à voix haute qui était la pratique la plus répandue. On a fait valoir qu'elle avait pour but de rendre compréhensible au lecteur le sens d'une scriptio continua, écriture continue c'est-à-dire sans séparation des mots, qui resterait inintelligible et inerte sans énonciation à voix haute. Mais nous avons malgré tout des preuves d'une pratique de la lecture silencieuse à date ancienne : le poète Horace, dans une de ses Satires (II, 5) met en scène Tirésias qui donne à Ulysse des conseils pour capter des héritages :

« Toutes les fois qu'on viendra te donner à lire un testament, ne manque pas de t'y refuser, de repousser l'acte loin de toi, de manière cependant à saisir d'un regard furtif, jeté sur le commencement, ce que dit la seconde ligne, si tu hérites seul, si on te donne plusieurs cohéritiers : que ton œil curieux s'en assure à la hâte... ».

Plus sérieusement, Augustin s'émerveille de voir Ambroise (en 384) lire tacite, « en silence » (Conf. VI, 3), si bien que certains ont accordé une importance excessive à la différence entre la lecture à haute voix qui serait propre au monde antique et la lecture silencieuse qu'aurait inventée le Moyen Âge ou du moins les chrétiens. En fait, dans les monastères, il existait plusieurs types de lecture - silencieuse, à voix basse, à voix haute - et, précise A. Petrucci, « chacune de ces techniques correspondait [...] à une fonction précise et se pratiquait dans des circonstances et des milieux bien déterminés : la première et probablement la seconde se déroulaient dans la solitude de la cellule ; la troisième en public, en présence de la communauté. Dans le monde de la culture chrétienne, elles subissaient largement l'influence des techniques et des pratiques de la liturgie et de la prière ».

 

Formes du livre

Cela oblige à se demander, d'une part, jusqu'à quel point ces formes de lecture n'ont pas été associées à la scriptio continua à l'écriture continue, et, d'autre part, si elles n'ont pas toujours été pratiquées ensemble et ne dépendaient pas seulement de la situation du lecteur, de son type de lecture, mais aussi de la forme du livre. Or celui-ci évolue : entre le XIIe et le XIIIe siècles, se produit une transformation radicale des techniques et, par suite, des conditions de lecture. Le livre est en général de grand format, donc lourd et peu maniable, difficilement transportable. Il a besoin de supports solides pour rester ouvert pendant la lecture. Sur la page, le texte est distribué sur deux colonnes, ce qui permet d'embrasser un volume textuel susceptible d'être saisi et compris d'un coup d'œil ; en outre, l'articulation du texte est mise en valeur par les rubriques, les marques de paragraphes, les initiales et les majuscules de taille différente, etc. « La lecture », conclut A. Petrucci, « grâce aux nombreuses abréviations, devient incomparablement plus rapide qu'auparavant et se transforme souvent en une pratique, la consultation, qui est le propre du chercheur professionnel ».

Les manières différentes de saisir le texte conditionnent donc la présentation de la page, et l'appréhension des textes varie suivant les communautés de lecteurs : les juristes, les médecins, les clercs et les étudiants ont des modes de perception et de lecture des textes tout à fait différents et ils n'auraient peut-être pas pu lire facilement les livres les uns des autres. Dans cette relation entre les dispositifs visuels, la mise en page graphique et le lecteur, il y a aussi une médiation qui est celle des communautés d'apprentissage, de pratiques et peut-être de situations, qui peuvent être celles de l'enseignement ou de corporations professionnelles ou textuelles.

Le texte est un dispositif de transmission d'un savoir, d'une forme littéraire et, en même temps, un dispositif contraignant qui impose un certain type d'usage, de réception, de déchiffrement et de compréhension. Dans ce modèle de lecture, il faut également intégrer les formes d'écriture liées à la pratique même de la lecture, c'est-à-dire la prise de notes, le surlignage, le balisage du texte par des croix ou des traits en marge, la mise en évidence de citations ou de mots.


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