Gestions des plurilinguismes
Cours

La planification linguistique : un déficit de sociolinguistique en amont

Lors des premières années d'application de la loi de politique linguistique et jusqu'en 2005, le groupe politique chargé de la mettre en pratique s'est caractérisé par des prises de position plutôt modérées en la matière (voire parfois contradictoires). La politique linguistique a eu alors comme moteurs la pression exercée par certains « galéguistes historiques » (Monteagudo 2000 : 137), mais aussi par les processus de normalisation qui se développaient avec force au Pays Basque et surtout en Catalogne.

La politique de M. Fraga Iribarne à la tête du gouvernement autonome galicien de 1989 à 2005 est dominée par l'objectif de développer « un système harmonique de cohabitation » des deux langues présentes en Galice. M. Regueiro (philosophe, directeur général de politique linguistique de 1989 à 2000) considérait que l'époque où « il était nécessaire de défendre la langue galicienne » était « heureusement » « révolue » et que " le soutien institutionnel se révél [ait] suffisant pour que l'utilisation de notre langue [le galicien] soit une réalité patente dans tous les domaines, en coexistence harmonique avec le castillan ».

La forte personnalité de M. Fraga a dégagé un sentiment de galéguité symbolique et patrimonial qui porte en partie ses fruits et qui conforte aussi bien une partie importante des galégophones ruraux et âgés que des castillanophones de droite (car en réalité il ne mettait pas en question la hiérarchie des langues), mais qui provoque le refus de la part du nationalisme galicien (radical ou modéré).

Les résultats de l'Atlas sociolinguistique de la Galice livrés durant les années quatre-vingt-dix sont interprétés par les pouvoirs publics comme un encouragement au développement du modèle « bilinguiste ». Mais certains sociolinguistes commencent à se poser des questions, notamment en ce qui concerne les attitudes linguistiques très favorables exprimées dans les réponses, qui contrastent avec la perte de plus en plus importante de locuteurs de galicien. Dans les années deux mille des études qualitatives mettent alors en évidence des représentations très négatives qui persistent dans la population galicienne, aussi bien galégophone que castillanophone.

Un arsenal de décrets et de dispositions diverses est élaboré : il va permettre la conquête pour le galicien de nouveaux domaines d'usage (enseignement, administration, TV et radio...), mais une partie de plus en plus importante des acteurs de la normalisation regrette déjà le manque d'efficacité réelle des mesures prises et demande une planification plus globale. L'utilisation du galicien dans beaucoup de secteurs n'est que symbolique, il s'agit pour certains d'un usage rituel de la langue.

A la suite à cette constatation, en septembre 2004, le Parlement galicien approuve à l'unanimité le Plan Xeral de Normalización da Lingua Galega élaboré par une équipe de professionnels représentatifs de tous les secteurs sociaux. Ce Plan, qui établit des objectifs de caractère général et par secteurs, ainsi que plus de quatre cents mesures concrètes pour les atteindre, est sans doute le texte le plus important pour le galicien depuis la Loi de Normalisation Linguistique de 1983.

En ce qui concerne les groupes nationalistes et notamment le Bloque Nacionalista Galego, il faut différencier deux positions politiques consécutives. Dans un premier temps, le Bloque maintient une position de rejet frontal face au processus politique qui est en train de se produire en Galice considérant que « l'autonomie était une simple décentralisation administrative qui cachait une "manœuvre" ou une "imposition" coloniale dont l'intention n'était que perpétuer l'oppression de la nation galicienne et des ses classes populaires » (Quintana Garrido 2009 : 175, c'est moi qui traduis). À partir de 1985 et à la suite de très mauvais résultats électoraux le Bloque affichera des positions plus modérées, entrera dans le jeu démocratique et manifestera son opposition au sein des institutions.

En l'absence d'une analyse profonde de la situation sociolinguistique galicienne et avec un nombre très réduit de fonctionnaires travaillant à la Direction générale de la politique linguistique qui n'étaient pas formés à la planification linguistique (Monteagudo 2000), la politique linguistique fut appliquée durant des années de façon plus ou moins intuitive, sans planification d'ensemble, par une classe politique peu ou pas convaincue de son importance (et /ou de son besoin). Une perception partielle de la situation sociolinguistique de la Galice dans les années quatre-vingt faisait apparaître le galicien comme une langue majoritaire dans les usages oraux parmi la population. Cela a conduit à une action plus centrée sur les usages écrits et la diffusion de la norme récemment officialisée que sur les pratiques orales et sur les représentations sociolinguistiques (Bouzada et Lorenzo 1997 : 135-136), en considérant que la diffusion d'un modèle normé de la langue (promue langue de l'enseignement, de l'administration, de la TV) pourrait suffire pour changer les représentations négatives en vigueur.

Depuis ses débuts, une méfiance semble s'instaurer entre les rares sociolinguistes galiciens (certains appartenant à la mouvance nationaliste) et les classes dirigeantes * . Les responsables en politique linguistique en Galice ont été le plus souvent des gens rattachés à l'enseignement secondaire * (ce qui n'est pas étonnant si l'on tient compte du fait que la Direction générale de politique linguistique était dépendante de la Consellería de Educación jusqu'à 2005 et que l'enseignement a été (cause ou conséquence) le secteur prioritaire). Ce fait, associé au manque de moyens matériels et surtout d'un personnel peu formé en questions de sociolinguistique et plus particulièrement de planification linguistique peuvent sans doute expliquer (du moins en partie et durant les premières années) une application inefficace des dispositions et un manque de prévision important en matière de politique linguistique * .

Un changement de tendance se produit en 2005 : la droite perd (de justesse) la majorité et les socialistes prennent le pouvoir durant 4 ans en coalition avec la gauche nationaliste: ce sera à eux de mettre en pratique le Plan de normalisation linguistique qui avait été élaboré durant la période précédente. Cette période se caractérise par le désaccord en matière de politique linguistique entre les groupes au pouvoir : entre la modération (tendance « bilinguiste ») du groupe (socialiste) majoritaire et le radicalisme (tendance « monolinguiste » en galicien) des nationalistes. Ce conflit au sein du pouvoir ainsi que des mesures mal expliquées et mal comprises provoque de fortes réactions de refus d'une partie de la population, dont la droite la plus espagnoliste et antigaleguiste cherche à tirer un profit politique.

La politique linguistique, qui avait été reléguée à un deuxième plan, redevient d'actualité durant les quatre ans de gouvernement de gauche (socialiste et nationaliste). Mais malgré quelques mesures qui ont fait la une dans la presse, elle s'est caractérisée, comme celle de ses prédécesseurs, par le manque de prévision et par la non-prise en compte de la configuration sociolinguistique de la société galicienne. Bien que les responsables de l'application de la politique linguistique (du groupe majoritaire socialiste) aient adopté la même position « bilinguiste » que le gouvernement précédent (cherchant à ne pas provoquer des conflits sociaux), la gauche nationaliste au pouvoir et l'association civile de défense de la langue galicienne la plus importante (de la même mouvance politique) voient l'occasion d'accélérer le processus de normalisation. Ils ne manquent pas de proposer et d'imposer des nouveautés depuis les départements qu'ils contrôlent, provoquant des conflits politiques et sociaux qui ont interféré dans le développement d'une politique linguistique plus planifiée et plus cohérente au sein des instances responsables en la matière.

L'une des mesures qui ont eu le plus de répercussions dans la presse est celle de l'ouverture des Galescolas, crèches pratiquant l'immersion en galicien, mises en place depuis la Secretaría Xeral de igualdade. Ce qui aurait pu être une mesure exempte de polémiques, si elle avait été intégrée dans un plan d'action préétabli et consensuel, est apparu dans la presse comme une absurdité et un abus de pouvoir. Une presse qui ne perd pas une occasion de dénoncer (et de ridiculiser) le projet nationaliste (à partir fondamentalement des affirmations du leader nationaliste selon lesquelles les enfants de trois ans doivent apprendre l'hymne galicien pendant leur séjour à la Galescola, ou la décision d'habiller les enfants avec des uniformes marqués du logo de ces centres d'enseignement).

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