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Constitution des collections

Icône de l'outil pédagogique Constitution des collections

La mise en place des premières bibliothèques publiques imposa tout d'abord de constituer des collections. Si l'on ne dispose d'aucune information sur la manière de procéder choisie par Asinius Pollion, on sait qu'Octave confia à Gnaeus Pompeius Macer - le fils d'un lettré grec proche de Pompée - le soin de composer la collection destinée à la bibliothèque Palatine, d'acquérir les ouvrages, puis de les organiser. Celle du portique d'Octavie fut confiée à Gaius Maecenas Melissus, un lettré affranchi par Mécène. On ignore certes quelle fut la méthodologie qu'ils adoptèrent, mais l'on peut supposer que les collections furent matériellement constituées au moyen de copies directes effectuées dans les bibliothèques privées plutôt que par des achats auprès des libraires (qui n'étaient eux-mêmes que des ateliers privés de copistes).

Une fois les premières collections constituées, restait à nommer un personnel compétent à la tête de ces structures - et de celles qui seraient créées par la suite. Suétone nous apprend que la bibliothèque du Palatin fut confiée aux soins d'Hygin (Caius Iulius Hyginus), un affranchi une fois encore, et surtout un polygraphe de talent en même temps qu'un enseignant renommé. Les empereurs suivants désignèrent un administrateur des bibliothèques (procurator bibliothecarum) chargé de la gestion financière de l'ensemble des établissements. Ils les choisirent tout d'abord parmi leurs propres affranchis, puis, à partir de Trajan, dans l'ordre équestre. Ces postes de gestion, d'organisation et de contrôle étaient d'une importance telle que ces procuratores se trouvaient de fait en haut de la hiérarchie administrative impériale.

 

Bibliothèques publiques et pouvoir impérial

Car la bibliothèque publique est avant tout celle du Prince. Parce qu'elle donne accès aux archives publiques, à des œuvres littéraires ou historiques, la bibliothèque représente un véritable instrument politique permettant le contrôle de la diffusion des textes. Macer, Melissus et les procuratores après eux ne furent pas libres d'établir leurs catalogues comme bon leur semblait. S'il est impossible de savoir quels ouvrages se trouvaient dans les bibliothèques romaines, on a conservé les titres de quelques ouvrages qui en avaient été exclus. Suétone rappelle ainsi qu'Auguste avait interdit à Macer de faire figurer dans la bibliothèque Palatine les œuvres de jeunesse de César, trop légères à son goût, et susceptibles d'affaiblir l'image de la dynastie qui se mettait en place :

On cite même quelques essais de sa prime jeunesse, par exemple un Éloge d'Hercule, une tragédie d'Œdipe, un Recueil de bons mots. Mais Auguste défendit de publier aucun de ces écrits, par une lettre, aussi courte que simple, adressée à Pompeius Macer, à qui il avait confié le soin de ses bibliothèques.
(Suétone, Vie de César 56, 9)

Ovide, exilé en 8 pour des raisons encore obscures, mais qui tiennent à la politique de moralisation menée par Auguste, vit ses ouvrages bannis des bibliothèques publiques, comme il s'en plaint lui-même dans ses poèmes d'exil en donnant la parole à l'un de ses livres qui, envoyé comme émissaire à Rome, visite successivement la bibliothèque du Palatin et celle du portique d'Octavie :

Nous poursuivons notre route, et mon guide me conduit, par de magnifiques degrés, au temple en marbre blanc élevé au dieu dont la chevelure est toujours intacte. C'est là qu'on voit les statues des Danaïdes et celle de leur barbare père, l'épée à la main, placées contre des colonnes qu'on tira des carrières étrangères. Là, toutes les créations des génies anciens et modernes sont mises à la disposition des lecteurs ; j'y cherchais mes frères, excepté ceux dont notre père déplore la naissance ; et, pendant que je les cherchais en vain, le gardien de ces lieux sacrés m'ordonna d'en sortir. Je me dirige vers un autre temple, situé près d'un théâtre voisin ; il me fut aussi défendu d'y entrer. Ce premier asile des belles lettres, la Liberté, qui y préside, ne me permit pas d'en fouler le vestibule. Ainsi tombe le malheur d'un père sur sa postérité, et nous, ses enfants, nous sommes exilés aussi bien que lui.
(Ovide, Tristes III, 1, 59 sq.)

Si la production d'Ovide a été intégralement exclue des deux bibliothèques impériales de l'époque, le témoignage du poète nous laisse entrevoir que les collections regroupaient à la fois des œuvres du passé et des productions contemporaines. De la même manière, le projet qu'avait conçu Caligula d'expurger les bibliothèques des œuvres qu'il n'appréciait pas montre non seulement le pouvoir dont disposait le Prince sur la constitution des collections - et cela même si le projet a avorté -, mais également la présence de « classiques » dans les bibliothèques, classiques dont Gaius entendait précisément se débarrasser :

Il conçut aussi la pensée d'anéantir les poèmes d'Homère. « Pourquoi, disait-il, n'userais-je point du même droit que Platon qui le bannit de sa république? » Peu s'en fallut qu'il n'enlevât de toutes les bibliothèques les écrits et les portraits de Virgile et de Tite-Live. Il trouvait l'un sans génie et sans science, et l'autre un historien verbeux et inexact.
(Suétone, Vie de Caligula 34, 3)

Le cas inverse d'un Prince souhaitant que ses auteurs de prédilection soient représentés dans les collections s'est également trouvé, Tibère faisant placer dans les bibliothèques publiques les portraits et les ouvrages des poètes hellénistiques des IIIe et du Ier siècles qu'il affectionnait :

Dans ses poésies grecques il imita Euphorion, Rhianus et Parthenius. Ces poètes faisaient ses délices. Il fit placer leurs ouvrages et leurs portraits dans les bibliothèques publiques parmi les plus illustres auteurs anciens ; ce qui fut cause que beaucoup de savants lui adressèrent des commentaires sur ces trois écrivains.
(Suétone, Vie de Tibère 70, 4)

L'empereur pouvait ainsi mettre au rang de classiques les ouvrages qu'il souhaitait, du moins pour la durée de son règne, et orienter de surcroît une partie de la production intellectuelle.

 

La puissance de stockage des bibliothèques

Au-delà de son impact politique et culturel, la sélection des ouvrages méritant d'être conservés relevait également de considérations qui tenaient aux capacités de stockage des institutions. Ainsi, comparée à la bibliothèque d'Alexandrie et ses 490 000 volumes, ou à celle de Pergame et ses 200 000 volumes, une bibliothèque romaine présentait des collections nettement plus limitées. La bibliothèque Ulpienne contenait apparemment un maximum de 20 000 rouleaux (10 000 pour chaque section grecque et latine) et l'on sait que la bibliothèque du Palatin devait en contenir deux fois moins. Ainsi, concernant la littérature grecque, les collections romaines ne pouvaient être que sélectives. Les collections latines, moins fournies puisque de tradition plus récente, ne se heurtaient évidemment pas aux mêmes limitations. Pourtant, comme pour les collections grecques, les collections latines devaient nécessairement grossir au cours du temps. La manière dont les bibliothèques romaines parvenaient à concilier l'accroissement du nombre de volumes et l'exiguïté de l'espace disponible est mal connue. La construction de nouvelles bibliothèques par les Princes successifs apportait peut-être une solution au problème. Mais une telle organisation impliquerait alors sans doute une spécialisation progressive des différents espaces. Comme le remarque L. Casson, la répartition géographique des différentes bibliothèques pourrait laisser penser que c'est bien cette solution qui avait été choisie. Des bibliothèques aussi proches que la bibliothèque Palatine et celle du temple d'Auguste, ou encore les quatre bibliothèques situées aux alentours du Forum n'avaient aucune raison d'offrir des collections identiques - classiques et ouvrages de référence généraux mis à part. L. Casson rappelle ainsi le témoignage d'Aulu-Gelle. En évoquant ses recherches qui l'ont mené d'une bibliothèque à l'autre, l'antiquaire laisse entendre que les différentes institutions ne conservaient pas toutes les mêmes ouvrages :

Lorsque je commençai l'étude de la dialectique, avec dessein d'acquérir des connaissances étendues dans cette science, il me fallut d'abord m'appliquer à connaître ce que les dialecticiens appellent prolégomènes. Or, comme je devais commencer par m'instruire des premières propositions, que M. Varron désigne tantôt sous le nom d'axiomes, tantôt sous celui d'aphorismes, j'avisai promptement aux moyens de me procurer les commentaires sur les aphorismes de L. Aelius, savant distingué, qui avait été lui-même le maître de Varron. Je trouvai cet ouvrage à la bibliothèque du Temple de la Paix où j'en fis la lecture.
(Aulu-Gelle, Noctes Atticae, XVI, 8, 2)


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