La littérature d'oc

Le Félibrige

Un mouvement littéraire ambitieux, plus concerté, succède, en 1854, à cette effervescence. Mistral, Roumanille, Aubanel (et quatre de leurs amis, selon la “légende dorée”) fondent le Félibrige, sur le modèle de la Pléiade française. Leur programme est patriotique, linguistique et littéraire. C'est la première renaissance organisée en pays d'oc, qui veut se donner les moyens de son ambition.

  • Frédéric Mistral Frédéric Mistral

  • Théodore Aubanel Théodore Aubanel

  • Joseph RoumanilleJoseph Roumanille

Frédéric Mistral

Consacré poète épique par Lamartine à la parution de Mirèio (1858). Couronné par le Prix Nobel en 1904 pour son œuvre de poète et de lexicographe (Lou Tresor dóu Felibrige), il meurt en pleine gloire en 1914. Par ses engagements idéologiques (il évolue du républicanisme au conservatisme) et par le modèle littéraire qu'il représente, il suscitera de grandes vocations et pèsera sur l'évolution du mouvement félibréen. De son œuvre littéraire immense nous retiendrons deux chefs-d'œuvre :

  • Mirèio est l'œuvre fondatrice de la renaissance félibréenne. Poème épique et national, c'est plutôt une géorgique, plus proche d'Hésiode que d'Homère ; mais Mistral lui-même l'a un jour qualifié de « roman ». Mirèio

  • Lou Pouèmo dóu Ròse / Le Poème du Rhône est la célébration du grand fleuve et de son antique batellerie. Lou Pouèmo dóu Ròse

Mirèio, l'héroïne inaugurale, meurt d'insolation en Camargue ; et le couple d'amoureux du Pouèmo, Guilhem et l'Angloro, se noient dans le fleuve avec le dernier bateau à traction animale. Deux morts, deux échecs. Les héroïnes, allégories possibles de la langue d'oc, sont promises à la mort. C'est là que réside, peut-être, une part de la beauté de ces deux œuvres, la première solaire, la seconde crépusculaire. Elles nous apprennent, avant Paul Valéry, que « Nous les civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »

Théodore Aubanel (1829-1886) a le même âge que Mistral avec qui il a fondé le Félibrige.

Il appartient à la bourgeoisie avignonnaise, catholique et austère. Les Aubanel sont imprimeurs libraires à Avignon depuis le XVIIIe siècle, et Théodore travaille dans l'entreprise familiale. Aubanel n'a pas la stature de Mistral. Il a un tempérament de poète lyrique, une nature sensible, nerveuse. On l'a comparé à Musset. I1 devra toute sa vie affronter l'hostilité et la censure de son milieu, ne trouvant de compréhension et de réconfort que dans la poésie, dans les milieux artistes parisiens (amitiés littéraires : Mallarmé, Gautier, Paul Arène, Des Essarts, Banville ...), chez Mistral et chez certains félibres.

Il publie en 1860 (un an après Mirèio) La Miougrano entredubèrto, recueil lyrique au titre symbolique : Aubanel est de ces poètes qui mettent leur vie dans leur poésie. La grenade est l'image du « cœur mis à nu », du cœur saignant comme le fruit mûr... Mistral dans sa préface souligne la beauté de la sublimation en poésie de la douleur intime « Quau canto soun mal encanto ! ». Poésie de jeunesse, dont le thème est l'amour déçu pour Jeanne-Marie Manivet, dite Jenny, qu'il appelle en provençal Zani.

Ce recueil est vivement attaqué dans les organes de presse de l'église pour son immoralité, ce qui n'est pas sans rappeler les procès intentés à la même époque à Flaubert et Baudelaire : « l'ordre moral » sévit partout au début du 2nd Empire !

Le second recueil Li Fiho d'Avignoun, rassemblant les poèmes de la maturité (en particulier La Vénus d'Arles), publié en 1885, et diffusé en souscription privée uniquement, est condamné par l'archevêché, avec ordre d'arrêter la diffusion déjà commencée et de brûler les exemplaires saisis. Aubanel ne se remet pas de cette dernière cabale.

Li Fiho d'Avignoun - Teodor Aubanel

Le Félibrige connaît, à la fin du XIXe siècle, une extension remarquable. Sur le modèle de « L'école d'Avignon » se créent de multiples foyers ou « écoles » régionales, de sensibilités et de talents très divers. Que le mouvement en se généralisant tende à s'enliser dans un certain provincialisme, comme on l'a beaucoup dit, n'est pas faux. La célébration de la terre et du terroir, l'amour de la langue et de la tradition illustrent à la fin du siècle des stratégies plus défensives que renaissantistes.

Mais des personnalités d'artistes se dégagent. Citons :

  • le Marseillais Valère Bernard, peintre et graveur, qui fait un parcours littéraire étonnant, depuis le roman réaliste Bagatóuni (1894) jusqu'au drame symboliste Esclarmonda (1936), passant du Félibrige au catalanisme puis à l'occitanisme,

  •  le Béarnais Michel Camelat, auteur de Belina (1899), la Mirèio pyrénéenne.

    Belina

  • Joseph d'Arbaud, poète de la Camargue dans ses ouvrages Lo lausié d'Arle et la Bestio dóu Vacarés .

    Lo lausié d'Arles la Bestio dóu Vacarés

    La bèstia dau Vacarés est le roman fondateur de la prose occitane moderne. Dans une Camargue sauvage, meurt le monstre-satyre qui représente le dieu Pan et la nature entière, et qui représente aussi la Provence et sa langue, dont la Camargue est le conservatoire désert, l'ultime bastion.

Joseph D'Arbaud - La preguiero dóu gardo-bèstio

Omniprésence symbolique de la mort dans les plus grandes des œuvres littéraires produites par le Félibrige, renvoyant sans doute en partie à la psyché des auteurs, mais qui apparaît en contraste avec le discours public optimiste et conquérant. Ce contraste témoigne d'une prise de conscience angoissée : malgré les réussites littéraires, la langue reculait d'une manière inexorable et ces mêmes réussites servaient plus à cacher cette réalité qu'à l'arrêter. Exil des origines et angoisse de la fin, voilà ce qui caractérise la mentalité d'oc depuis deux cents ans, et que nous pourrions appeler la « saudade occitana ».

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