La littérature d'oc

La renaissance baroque

L'expression est empruntée à Robert Lafont dont les travaux pionniers ont ouvert bien des perspectives en ce domaine, depuis son ouvrage Renaissance du Sud (1970, Gallimard) ou son anthologie Baroques occitans, parue d'abord chez Aubanel en 1974 et rééditée aux PULM en 2003, dont le classement thématique demeure d'une grande efficacité pédagogique.

"Baroques occitans — Anthologie de la poésie en langue d'oc 1560-1660", Robert Lafont, coll. Lo Gat Ros, 2003, Presses universitaires de la Méditerranée

Au milieu du XVIe siècle, l'espace occitan s'inscrit presque entièrement dans le royaume de France. Le français, établi dans l'usage administratif et juridique par l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), s'impose comme langue littéraire moderne, alors que l'occitan, dans ses divers dialectes, reste parlé massivement. Cette situation de divorce dit « diglossique » entre l'écrit et l'oral, entre l'officiel et le familier, la langue de culture et la langue de nature, compose pour quatre siècles la toile de fond de la production occitane.

La première renaissance se déroule en trois moments successifs sur cent ans, du début des Guerres de Religion à l'avènement de Louis XIV. Ces trois moments s'ignorent ou sont en décalage temporel

UNE RENAISSANCE D'ABORD GASCONNE

Pey de Garros, Poesias gasconas
Pey de Garros, Poesias gasconasInformationsInformations[1]

La renaissance est d'abord gasconne avec Pèir de Garròs. Né à Lectoure (Gers), il rêve d'une Gascogne unifiée sous la couronne de Navarre. Après avoir traduit en 1565 les Psaumes, comme Marot, il adapte Virgile en langue vulgaire dans ses Églogues, appliquant à la langue dominée les principes de la Pléiade française. Les Églogues sont tirées du recueil Poësias gasconas qui contient :

  • des vers héroïques en forme de leçon de morale chrétienne par la voix de héros de l'Antiquité : Hercule, Alexandre le Grand, Hannibal, Silla, Jules César)

  • huit églogues qui mettent en scène les malheurs du temps dans des dialogues de paysans ou des monologues d'arlòts. Les arlòts sont ces paysans engagés comme soldats mercenaires pendant les troubles religieux, qui vivent de pillage et que la paix civile réduit à la misère.

Eloquence sans enflure des vers héroïques, langue populaire riche, vigoureuse et naturelle des églogues, Pèir de Garròs est un poète d'un goût sûr et d'une puissance inégalée. Non seulement il refuse d'écrire en français, « lengatge hardat » (langage fardé) pour adopter « la lenga de la noiritut » (langue de la nourrice), opposant ainsi le naturel à l'artifice, mais, par son choix des genres poétiques, il se distingue volontairement de la Pléiade française.

Le but de Pèir de Garròs est de rendre sa dignité à la langue gasconne, lien d'une nation encore à naître, comme le disent ces vers significatifs :

«« ...prene la causa damnada »

« de nòsta lenga mespresada... »

« Per l'onor del païs sosténguer »

« e per sa dignitat manténguer... »

« Mès au luòc de lanças ponchudas, »

« armem-nos de plumas agudas. » »

Prendre la cause damnée 

de notre langue méprisée...

Pour soutenir l'honneur du pays

et maintenir sa dignité...

Mais au lieu de lances pointues 

armons-nous de plumes aiguës

Peìr de Garròs - Epistòla a un jove poeta

Trois cents ans après lui, Mistral retrouve sa formule dans la seconde strophe de Mirèio : « Vole qu'en glòri fugue aussado / per nosto lengo mespresado » .

LE FOYER PROVENCAL

Le second temps baroque est à l'autre extrême géographique et religieux, en Provence, à la cour d'Henri d'Angoulême, dans un milieu catholique et ligueur. Il ne refuse pas l'influence de la Pléiade française et reçoit celle d'Italie. Sans projet explicite de renaissance, il ne se pose pas de problèmes linguistiques comme un Pey de Garros. Dans une atmosphère morale moins sévère, il se consacre volontiers à la poésie érotique et au théâtre carnavalesque.

Le premier grand poète provençal moderne est Louis Bellaud de la Bellaudière, né à Grasse en 1543. Sa vocation poétique s'affirme en prison, à Moulins, où il est enfermé plusieurs mois pour des raisons qui restent mystérieuses.

Cela nous vaut Obros et Rimos, journal de détention de 164 sonnets et d'une grande variété de ton : espoir et désespoir, ennui, tentation du suicide, impatience et nostalgie, mais aussi distance humoristique, amour de la vie, plaisir de table et plaisirs amoureux, imagination, fantaisie, légèreté du ton, invention langagière.

Son troisième recueil los Passatemps, composé de 151 sonnets, est une chronique de sa vie à Aix, épicurienne et hédoniste entre les « Arquins », ses compagnons et les destinataires de ses poèmes Mais Bellaud s'empare aussi des thèmes poétiques de son temps, pétrarquistes par exemple, qu'il traite avec liberté et fantaisie, souvent d'une façon parodique.

L'œuvre de Louis Bellaud de la Bellaudière, et celle de ses disciples Pierre Paul et Robert Ruffi, inaugurent les thèmes de la provençalité littéraire : célébration lumineuse du pays en une poésie sensuelle teintée d'ironie.

Louis Bellaud de la Bellaudière
Bellaud de la Bellaudièra - Bon an, bon mes...

LA RENAISSANCE TOULOUSAINE

Le troisième temps de la renaissance baroque est centré à Toulouse, à partir de la première décennie du XVIIe siècle. Trois poètes s'en détachent.

Les deux premiers sont gascons.

La Margalide gascoue, Bertrand Larade
  • Bertrand Larade, né à Montrejau en 1581, est surtout l'auteur de la Margalida gascoa. C'est le récit, en 94 sonnets d'une histoire d'amour vécue, la passion juvénile et malheureuse du poète pour une jeune fille. Cette chronique d'un amour malheureux rappelle le Canzoniere de Petrarque et les Livres des Amours de Ronsard. Mais le résultat est original par son harmonie et son étrangeté et pour le défi que se lance Larade : vingt ans après la mort de Ronsard, il prétend le surpasser sur son propre terrain, le livre des amours, en langue gasconne. Il invoque Icare, qui se brûla les ailes à vouloir monter trop haut. C'est bien ce qui se passa. Faute de public, la gloire poétique espérée ne vint pas. Après la déception amoureuse, ce fut la déception créatrice de ne pas pouvoir transformer l'échec sentimental en reconnaissance littéraire.

  • L'autre Gascon, Guilhèm Ader, était médecin. Son Gentilòme gascon célèbre en 2700 vers et quatre chants un cavalier d'abord anonyme, désigné comme « le Gascon » où se reconnaît assez vite Henri de Navarre, futur roi de France.

Il incarne sur le mode épique le personnage du Gascon batailleur, le héros superbe et flamboyant. Le texte résonne de bruits de bataille, dans une guerre non nommée dont le poète tait les enjeux politiques et religieux, comme si c'était une guerre simplement gasconne, comme si la conscience gasconne était omniprésente dans la société décrite et Henri de Navarre, devenu roi de France, son champion exclusif. Le souffle épique nous emporte dans un tourbillon : exclamations, énumérations et onomatopées. Mais le Gentilòme gascon paraît au pire moment, en 1611, après la mort d'Henri IV, quand la cour royale commence à se “dégasconiser” et qu'apparaît l'ethnotype du Gascon ridicule, vantard et peureux. L'œuvre d'Ader était condamnée au berceau par la moquerie française. Ce n'est qu'au XIXe siècle que le personnage du Gascon héroïque sera réhabilité par le romantisme français dans les romans historiques de cape et d'épée.

  • Le troisième poète de ce moment est toulousain, c'est Pèire Goudoulin (Goudelin ou Godolin) avec son Ramelet Moundi, publié de 1617 à 1647, qui domine toute la poésie baroque du XVIIe siècle.

À la différence des précédents, il connut un vrai succès populaire, qui se maintint jusqu'au XIXe siècle. Ses poèmes sont d'une grande diversité d'inspiration : poésie bachique et épicurienne, poésie amoureuse, fatrasie, poèmes carnavalesques, poèmes mondains de circonstance, poésie religieuse. Godolin est le poète d'une civilisation urbaine.

Cobèrta de l'edicion de 1647 del Ramelet Moundi de Pèire Godolin
Cobèrta de l'edicion de 1647 del Ramelet Moundi de Pèire GodolinInformationsInformations[2]
Godolin - De la mòrt

AUTRES FORMES D'EXPRESSIONS

Pour compléter cette brève présentation des principaux auteurs et foyers de la période, ajoutons le nom de Jean de Valès dont l'occitan sert admirablement le registre burlesque, avec des ruptures parodiques : il publie son Virgili desguisat o l'Eneïdo burlesco la même année que Scarron les premiers livres de son Virgile travesti (1648).

Le théâtre accueille également la parole populaire : pastorale, farce carnavalesque et plus tard vaudeville ; les deux langues s'affrontent dans une savoureuse mise en spectacle des situations sociolinguistiques, comme dans les Caritachs de Béziers (1616-1657) que Molière a pu connaître. Cette production, souvent anonyme, abondante du XVIIe au XIXe siècles, reflète la sociabilité urbaine et s'intéresse à la vie locale comme aux grands événements.

JF Courouau Moun Lengatge Bel. Les Choix Linguistiques Minoritaires En France. 1490-1660

Pour compléter la recherche sur cette période, on trouvera sur Internet des extraits de l'ouvrage de JF Courouau Moun Lengatge Bel: Les Choix Linguistiques Minoritaires En France. 1490-1660, auquel nous renvoyons les lecteurs.

  1. Source : BnF Gallica Licence : Domaine Public

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