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La décoration

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Deux mots qui remontent au Moyen Âge évoquent la décoration d'un manuscrit : miniature et enluminure . Le mot miniature vient du latin miniare par le biais de l'italien miniatura et désigne à l'origine l'ornementation du manuscrit, surtout les initiales et rubriques exécutées au minium. Ce pigment en oxyde de plomb, sensible à la lumière, conserve toute sa fraîcheur à travers les siècles, tant qu'il est protégé à l'intérieur du livre fermé. À l'origine, illuminare voulait dire « éclairer », « rendre lumineux ». Le sens d'« enluminer », c'est-à-dire « orner de couleurs », qui est médiéval, devient courant au XIIe siècle. Dans les manuscrits, le décor souligne les articulations principales du texte. Son application se fait par étapes celle de la rubrication, celle des lettres filigranées, celle des lettres peintes (champies, ornées et historiées), enfin celle des miniatures.

Le rubricateur est celui qui inscrit en rouge les rubriques c'est-à-dire les titres qui introduisent une articulation du texte et servent de légende à une miniature. Qu'il soit le copiste lui-même ou bien un autre intervenant, il intervient généralement a posteriori, dans les espaces qui ont été réservés à son intention.

À la fin du Moyen Âge, le terme d'enlumineur désigne l'artisan qui réalise les décors à l'encre de couleur. Il réalise les initiales pour lesquelles on distingue deux grandes périodes en Occident. Du VIIIe au XIIe siècle apparaissent quatre types d'initiales : l'initiale historiée (Peinte ou dessinée, comportant dans le champ une scène, un personnage ou un contenu historique ou symbolique (fig.3)) ; l'initiale ornée (peinte ou dessinée, anthropomorphe, zoomorphe, à décor végétal ou géométrique, à vocation ornementale) (fig.1 et 2) ; l'initiale de couleur ornée et l'initiale de couleur sans ornements.

Fig.1 - Initiale ornée zoomorphe Recueil de médecine (Xe-XIe siècle),
Source : Bibliothèque universitaire de médecine, ms. H. 185, fol. 21.
IRHT-BIU de Montpellier

Fig.2 - Initiale anthropomorphe Personnage féminin constituant la hampe du T de Terra et supportant la barre horizontale de l’initiale telle un atlante.
Source : Bibliothèque universitaire de médecine, Recueil de textes religieux, XIe-XIIe siècle, ms. H. 138, fol. 57.
IRHT-BIU de Montpellier

Au cours de cette période, l'initiale est souvent accompagnée par un ensemble complexe d'écritures d'apparat qui constituent les premiers mots ou les premières lignes de textes écrits en couleurs, avec des modules ou des caractères différents qui soulignent une articulation du texte. Au cours du XIIe siècle se développent deux types d'initiales : peintes ou bien réalisées à l'encre. Parmi les initiales peintes figurent l'initiale historiée (fig. 3), l'initiale ornée (fig. 4) et l'initiale champie.



 

Fig.3 - Rubrique et initiale historiée (Annonce aux bergers) Lettre historiée avec volumen, Annonce aux bergers, Missale Senonense (XIVe – XVe siècle), Montpellier,
Source : Bibliothèque interuniversitaire de médecine, ms. H. 71, fol. 12v.
IRHT-BIU de Montpellier

Détail de la fig.4 : Saint Michel terrassant le dragon (histoire), lettre ornée, hybride, personnage en prière, escargot et vignettes.

 

Fig.4 - Histoire, initiale ornée, initiales filigranées, antennes végétales et zoomorphes, hybrides marginaux, vignettes, faune naturaliste, personnage en prière, Missale praecipuorum festorum (vers 1350),
Source : Bibliothèque universitaire de médecine, ms. H. 261, fol. 2.
IRHT-BIU de Montpellier

Fig.5 - Initiale puzzle avec filigranes, initiales filigranées et pieds de mouches, Montpellier,
Source : Bibliothèque interuniversitaire de médecine, ms. H. 119, vers 1325-1330, fol. 44v.
IRHT-BIU de Montpellier



Cette dernière est une lettre dorée sur un fond peint, généralement rose et bleu, parcouru de motifs filiformes, souvent dessinés en blanc. Les initiales à l'encre comprennent les initiales filigranées (fig. 4), c'est-à-dire des initiales agrémentées de motifs filiformes. Parmi elles se trouve l'initiale puzzle c'est-à-dire une lettre dont le corps est découpé comme un puzzle en deux parties, chacune peinte d'une couleur différente, généralement en rouge et en bleu, séparées par un filet de parchemin réservé, le tout environné de motifs filiformes. Au deuxième rang se trouve l'initiale filigranée à proprement parler, dont le corps est d'une seule couleur et les filigranes généralement de la couleur opposée.
Au troisième rang arrive l'initiale sans filigranes, dite lettrine ou verset. En dernière position se trouve le signe de paragraphe ou pied de mouche (fig. 5). Cette hiérarchisation des initiales fut d'abord créée pour distinguer les différents types de textes des bibles glosées.
Elle fut ensuite adoptée pour d'autres textes en raison de sa logique et du fait qu'elle convenait à une clientèle urbaine au budget limité. Elle aboutit à un décor moins inventif que celui de l'époque précédente dans lequel les écritures d'apparat sont exclues. À l'époque gothique, les enlumineurs ont usé librement de ces deux systèmes pour articuler tel ou tel texte, panachant les initiales peintes et filigranées (fig. 4) tout en conservant aux différentes lettres et initiales leur rang dans la hiérarchie du décor.

L'avènement du codex de parchemin permit d'accueillir assez tôt des illustrations peintes. Tandis que celles-ci se seraient brisées et/ou écaillées suite à l'enroulement et au déroulement successifs des rouleaux, elles trouvèrent dans le codex une surface régulière, autonome, d'un format défini. Les possibilités offertes par l'adoption du codex furent aussitôt exploitées. Dans les premiers codices illustrés conservés on relève déjà presque toutes les formules de présentation des images qui furent pratiquées pendant le Moyen Âge. Les enluminures en pleine page sont représentées sur le verso ou le recto d'un feuillet dénué de texte. Les plus anciennes représentent l'auteur ou le destinataire du livre et ne constituent pas une illustration proprement dite du texte. Elles rappellent l'identité des concepteurs du livre. En pleine page furent également représentés des sujets autonomes empruntés à l'art monumental, ou encore des scènes de dévotion conçues comme un diptyque.

Les pages écrites sur une ou deux colonnes furent illustrées de peintures plus modestes : les histoires. Dans les manuscrits occidentaux, ces illustrations sont de tailles variables incluses dans un carré ou un rectangle à partir du XIIIe siècle. Leur largeur est équivalente à celle de la page ou limitée à celle d'une colonne de texte. Ces histoires peuvent être isolées ou associées à une ou plusieurs autres. Elles peuvent apparaître sur un ou plusieurs registres selon les besoins de la narration. Les lettres historiées jouent également un rôle illustratif. Elles sont précédées par des lettres ornées dans le champ ou le corps desquelles s'immiscent une tête humaine, puis un buste. La plus ancienne lettre-personnage connue est un H contenant le buste de saint Augustin dans un manuscrit de l'Historia Ecclesiastica de Bède, daté entre 731 et 735 et conservé à la Bibliothèque nationale de Russie. Cette formule eut un succès certain dans la mesure où elle pouvait illustrer le texte. Dans le Sacramentaire de Gellone daté de la fin du VIIIe siècle, le I qui introduit la vigile de la Nativité est formé de la Vierge debout tenant l'encensoir. Développée dans les manuscrits romans ce type de lettres se transforma au XIIIe siècle : le champ fut étendu de façon à accueillir plusieurs personnages, les hampes et les hastes s'épanouirent en excroissances végétales dans les marges. Ainsi les espaces laissés vierges par l'artisan-régleur et le scribe furent prêts à accueillir un monde à la fois naturaliste et inquiétant. Dans l'enluminure parisienne dont le style influence d'autres régions à partir du XIIIe siècle, ces marges sont ornées de scènes illustrant la vie de cour (jeux, chasse, quête amoureuse), représentant des épisodes bibliques... elles sont peuplées d'oiseaux, de lapins, de chiens, d'écureuils, de singes... et d'une faune plus inquiétante constituée d'hybrides et de dragons. Les scènes marginales n'ont pas nécessairement un lien avec le texte. Elles peuvent l'illustrer ou bien inviter le lecteur dans un autre monde satirique, imaginaire, infernal. Particulièrement inventives à la fin du XIIIe siècle et dans le premier tiers du XIVe siècle, ces marges sont progressivement envahies par les rinceaux de feuilles de lierre et de vigne stylisées dites vignettes, puis d'acanthes associées à des fleurs et à des fruits. À l'aube du XVe siècle, la verve satirique des marges s'évanouit au profit des emblèmes et des devises des commanditaires princiers.


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