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Préparation du papyrus

Icône de l'outil pédagogique Préparation du papyrus



Fig.1 - Actes du XVe congrès de Papyrologie (Papyrologica Bruxellensia 16), vol. I, Bruxelles, Fondation Egyptologique Reine Elisabeth, 1978 (article de Eric G. Turner, "The Terms Recto and Verso. The Ananatomy of the Papyrus Roll", p. 14).
Les Kollèmata

Les dimensions des kollèmata constitutifs des rouleaux, dont on a vu précédemment (cf "Le papyrus") comment ils étaient obtenus à partir de la plante papyrus, étaient naturellement variables, n'excédant pas 40 cm de hauteur ni 24 cm en largeur. En fait, plus les kollèmata étaient larges, moins il y avait de kollèseis (ou raccords) dans un rouleau, et donc moindres étaient les risques d'arrachement et de cassure du livre. D'où une meilleure qualité, et un coût plus élevé, du papyrus à larges feuillets (fig.1). L'examen d'un certain nombre de restes de volumina provenant d'Herculanum a toutefois montré que leurs feuillets, qui pouvaient avoir entre 18 et 25 cm de hauteur, offraient une largeur plutôt réduite, variant généralement entre 8 et 15 cm. Cela signifierait que la qualité du support utilisé n'était pas la meilleure, puisque, au dire de Pline l'Ancien, la largeur de 11 cm pour les kollèmata était celle du « papyrus d'emballage », lequel n'était pas destiné à recevoir l'écriture. Néanmoins, vu le prix de vente du papyrus lié au monopole égyptien, il n'est pas impossible qu'on ait retravaillé en Grèce ou à Rome, loin de l'Égypte, le recto de rouleaux de moins bonne qualité, moins coûteux de ce fait, pour le rendre apte à recevoir l'écriture dans de bonnes conditions .

Chaque kollèma, rectangle souvent plus étroit que haut, présentait ainsi un rapport largeur/hauteur proche d'un sur deux, probablement pour assurer au mieux sa solidité propre et celle du rouleau complet ; et si, à l'intérieur d'un même rouleau, la largeur des feuillets était plus ou moins régulière, leur hauteur en revanche ne variait pas. Car les kollèmata n'étaient pas fabriqués pour eux-mêmes, mais pour être collés bout à bout (le « recto » étant toujours positionné du même côté) afin de constituer le rouleau destiné à recevoir la copie. Le collage, ou kollèsis (voir l'illustration intitulée "Zone de collage de deux "pages" dans un papyrus antique" sur le site de l'UFR de Biologie de l'université Pierre et Marie Curie), était effectué avec grand soin, parce qu'il s'agissait d'éviter deux écueils. Le premier était la formation de sur-épaisseurs répétées qui déformeraient le volumen enroulé, le rendant plus fragile ; le second était que le calame du scribe risquait d'accrocher à l'endroit des raccords entre feuillets lors de la copie. La première difficulté était résolue par le recouvrement sur une largeur réduite (un centimètre, guère plus) d'un kollèma par un autre, de la colle à base de farine de blé (ou d'orge) servant habituellement à assurer une solide continuité. Des quatre strates de fibres ainsi rapprochées, on en supprimait au moins une et, dans le cas des rouleaux de qualité, on pouvait même ne garder qu'un seul lit de fibres pour chaque kollèma, si bien que le raccord (ou kollèsis) passait à peu près inaperçu (cela, disons-le, ne facilite pas son repérage par les papyrologues modernes !). Quant au second obstacle, on le contournait aisément en collant systématiquement le feuillet de gauche par-dessus celui de droite : ainsi l'instrument à écrire ne risquait pas d'accrocher, puisqu'il n'avait qu'à « descendre la marche » constituée par une éventuelle sur-épaisseur. Comme on le voit, tous ces détails révèlent une conception réfléchie du support et une très longue pratique de l'écriture libraire.

Fig.2 - Détails de dessins de Naples
Source : © Biblioteca Nazionale 'Vittorio Emanuele III' di Napoli su concessione del MBAC.



Les rouleaux

Les feuillets (au nombre de 15 à 30, selon la qualité envisagée) étaient collés bout à bout de manière à constituer des rouleaux d'environ trois mètres de longueur, unité de vente du papyrus. Lorsque le client voulait un rouleau plus long, il suffisait au détaillant de coller bout à bout deux rouleaux ou plus pour obtenir commodément des longueurs de 6, 9, 12 m ou même davantage. Il semblerait qu'il y ait eu à Herculanum des rouleaux-livres très longs , même si la longueur courante des volumina qu'on y a retrouvés tournait apparemment autour de 10-12 m. Néanmoins, une contrainte matérielle ne doit pas être oubliée : il fallait pouvoir tenir le rouleau en main confortablement, et 11 m de longueur correspondent un diamètre déjà conséquent (de 6 cm environ). Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que des livres très longs aient été copiés sur deux rouleaux indépendants, mais identifiés explicitement dans les souscriptions finales sous le numéro du livre : « des 2 (sous-entendu : rouleaux constituant le livre X ou Y) le premier (ou le second) » (fig. 2).

Les deux faces du rouleau destiné à recevoir l'écriture n'avaient pas la même qualité, comme on l'a vu. Le recto (situé à l'intérieur du volumen), dit aussi côté « perfibral », présente des fibres horizontales, qui non seulement ne risquaient pas d'accrocher le calame, mais pouvaient aussi aider le scribe à écrire régulièrement, sans « monter » ou « descendre ». C'est la « belle face » du rouleau, celle qui était protégée par l'enroulement du volumen. Avant de recevoir l'écriture, le recto, à la différence du verso laissé brut, devait subir divers traitements, dont un polissage des fibres horizontales à l'aide d'une pierre lisse, visant à ce que l'instrument à écrire glisse ensuite plus facilement sur le papyrus, une application de colle destinée à empêcher les fibres de boire l'encre et, éventuellement, l'application de substances blanchissantes comme de la craie, ou insectifuges, telle l'huile de cèdre, dans le cas des livres les plus soignés.

Le rouleau, probablement avant toute copie, mais alors qu'il avait déjà été taillé à la longueur nécessaire pour accueillir le texte, recevait l'adjonction, à son début, d'un ou deux kollèmata, collés ceux-là en sens inverse, c'est-à-dire perpendiculairement aux suivants, les fibres du recto étant non pas horizontales, mais verticales. Cette pratique s'explique par le souci de renforcer la partie la plus exposée du volumen, en empêchant l'effilochage, inévitable à la longue, du début de rouleau, et en assurant ainsi, grâce à un espace initial laissé vide et remplaçable au besoin, la conservation parfaite du texte intérieur. Même si l'on n'en a pas de preuve formelle, il est plus que probable que le protokollon (ou « premier feuillet ») recouvrait au minimum la totalité du rouleau enroulé, pour une protection optimale du livre.

Fig.3 - Détails de dessins de Naples
Source : © Biblioteca Nazionale 'Vittorio Emanuele III' di Napoli su concessione del MBAC .

Une fois le texte copié, on laissait après la subscriptio ou « titre final » (fig. 3) (lui-même tracé sous ou après la dernière colonne d'écriture) un espace vide qui fût suffisamment large pour permettre l'enroulement du volumen (soit sur lui-même, soit sur un umbilicus) sans risquer d'abîmer le texte lui-même : ce « feuillet ultime » est désigné par le terme d'eschatokollon. De fait, les manœuvres répétées d'enroulement du rouleau sur lui-même entraînaient, avec le temps et une inévitable perte de souplesse du support, un marquage plus ou moins important des plis des spires finales, provoquant à la longue des cassures verticales sur le dernier feuillet. Il était donc raisonnable de réserver, en fin de rouleau, une portion de papyrus vierge d'écriture, substituable elle aussi en cas de nécessité. Et on constate que, dans la bibliothèque d'Herculanum du moins, les fibres de ce feuillet ultime sont disposées exactement comme celles des feuillets précédents, sans doute parce que l'effort de traction et le risque d'effilochage sont bien moindres que pour le protokollon. Cependant, dans bon nombre de rouleaux retrouvés en Égypte, l'eschatokollon était, comme le protokollon, disposé perpendiculairement au reste des feuillets, et parfois même renforcé au verso par des bandes transversales.


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