L'occitan, une langue

Le discours révolutionnaire

La Révolution met ainsi peu à peu en place une véritable politique linguistique qui va promouvoir l'usage du français comme seul vecteur du progrès et des idées révolutionnaires. Rappelons que le français est encore loin d'être connu, voire maîtrisé par une population française majoritairement analphabète. Si au moment de la Révolution la France compte approximativement 26 millions d'habitants, l'abbé Grégoire tient à rappeler qu'il n'existe pas dans la pratique une langue nationale, connue de tous :

" On peut assurer sans exagération qu'au moins six millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale ; qu'un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie ; qu'en dernier résultat, le nombre de ceux qui la parlent n'excède pas trois millions, et probablement le nombre de ceux qui l'écrivent correctement encore moindre. Ainsi, avec trente patois différents, nous sommes encore, pour le langage, à la tour de Babel, tandis que, pour la liberté, nous formons l'avant-garde des nations. "

C'est le début de la "chasse aux patois" qui doit permettre de généraliser l'usage du français. Dorénavant la maîtrise de la langue française apparaît comme le seul facteur d'intégration possible à la communauté nationale.

Abbé Grégoire (1750–1831)
Abbé Grégoire (1750–1831)InformationsInformations[1]

Le 4 juin 1794, l'abbé Grégoire présente à la Convention nationale un texte dont le titre est sans ambigüité : Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française. On remarquera au passage que des extraits du texte se trouvent sur le site de l'Assemblée nationale dans la rubrique intitulée « Grands moments d'éloquence parlementaire », mais que le titre original du rapport Grégoire a été effacé et édulcoré puisqu'on a préféré l'intituler « Notre langue et nos cœurs doivent être à l'unisson », à partir d'une citation du texte (consulter à ce sujet le site de l'Assemblée nationale).

Le rapport de l'abbé Grégoire est le fruit d'une enquête sociolinguistique envoyée à un réseau d'informateurs sous la forme d'un questionnaire. Certaines questions posées par Grégoire ne cachent d'ailleurs pas la finalité de l'enquête et tendent même à orienter l'informateur dans le sens que veut lui donner Grégoire, citons à titre d'exemple la question 29 : « Quelle serait l'importance religieuse et politique de détruire entièrement ce patois ? » (l'intégralité du questionnaire de Grégoire se trouve sur le site de l'université de Laval)

Le rapport de Grégoire (disponible dans son intégralité sur le site de l'université de Provence) reprend la majorité des poncifs qui circulent sur les « patois » au moment de la Révolution et l'on pourrait presque résumer les 28 pages de ce texte à ces quelques oppositions tout à fait manichéennes :

Français

« Patois »

Langue du progrès

Langue de la féodalité, de la contre-révolution

Langue de la raison

Langue des croyances populaires, de la superstition

Précision des mots et de la pensée

Pauvreté lexicale et obscurantisme

Cohésion nationale

Menace séditieuse

Liberté, Citoyenneté

Servage, tyrannie

Même si, plagiant le dictionnaire languedocien-français de l'abbé de Sauvages, Grégoire reconnaît certaines qualités à l'occitan, il n'en appelle pas moins au sentiment patriotique des Méridionaux qui leur fera renoncer à leurs "idiomes".

" Quelques objections m'ont été faites sur l'utilité du plan que je propose. Je vais les discuter. Pensez-vous, m a-t on dit, que les Français méridionaux se résoudront facilement à quitter un langage qu'ils chérissent par habitude & par sentiment? Leurs dialectes, appropriés au génie d'un peuple qui pense vivement & s'exprime de même ont une syntaxe où l'on rencontre moins d'anomalie que dans notre langue. Par leurs richesses & leurs prosodies éclatantes, il; rivalisent avec la douceur de l'italien & la gravité de l'espagnol: & probablement, au lieu de la langue des Trouvères, nous parlerions celle des Troubadours, si Paris, le centre du gouvernement, avoit été situé sur la rive gauche de la Loire. Ceux qui nous font cette objection ne prétendent pas sans doute que d'Astros & Goudouli soutiendront le parallèle avec Pascal, Fénelon & Jean-Jacques. L'Europe a prononcé sur cette langue, qui tour à tour embellie par la main des Grâces, insinue dans les cœurs les charmes de la vertu, ou qui, faisant retentir les accens fiers de la liberté, porte l'effroi dans le repaire des tyrans. Ne faisons point à nos frères du Midi l'injure de penser qu'ils repousseront aucune idée utile à la patrie: ils ont abjuré & combattu le fédéralisme politique; ils combattront avec la même énergie celui des idiômes. Notre langue & nos cœurs doivent être à l'unisson. "

On retrouve exactement les mêmes idées dans l'Adresse de la Convention nationale, portant invitation au peuple français d'apprendre et de respecter la langue nationale — Du 16 prairial an 2 (4 juin 1794) dont voici une citation :

" Citoyens, vous avez le bonheur d'être Français, et cependant une qualité essentielle manque au grand nombre d'entre vous pour mériter ce titre dans toute son étendue : les uns ignorent complétement la langue nationale, d'autres ne la connaissent qu'imparfaitement [...] néanmoins la connaissance et l'usage exclusif de la langue française sont intimement liés au maintien de la liberté , à la gloire de la République, c'est à dire à votre bonheur, puisque ses intérêts sont les vôtres [...]

Citoyens, vous détestez le fédéralisme politique ; abjurez celui du langage : la langue doit être une comme la République [...] Ces dialectes divers sont sortis de la source impure de la féodalité [...] Hommes libres , quittez le langage des esclaves pour adopter celui de vos représentant, celui de la liberté ![...] d'ailleurs la plupart des patois ont une indigence de mots qui ne comporte que des traductions infidèles [...] Vos enfants doivent en contracter l'habitude dès le berceau ; leurs progrès à cet égard seront la mesure de l'estime qui vous est due, car, suivant l'éducation qu'ils reçoivent, les enfants portent pour ainsi dire gravée sur leur front la flétrissure ou la gloire de ceux qui leur ont donné le jour. La patrie vous tiendra compte de vos efforts [...] "

  1. Source : Wikimedia Licence : Domaine Public

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