Gestions des plurilinguismes
Cours

Conflit diglossique

Le conflit diglossique paraguayen, dont la violence s'est largement atténuée depuis au moins deux décennies, n'en demeure pas moins un conflit : conflit d'usages et conflit d'images (Boyer 1997). Les sociolinguistes paraguayens qui reconnaissent l'existence du conflit diglossique considèrent, à l'instar de G. Corvalán, qu' "il est préférable de vivre ensemble au lieu d'être en concurrence lorsque le contact de langues existe entre une langue standard, dont la première fonction sert comme symbole d'identité nationale [le guarani], qui s'oppose à l'usage de l'autre langue standard, l'espagnol, dont la fonction de prestige est supérieure à celle du guarani" (Corvalán 2006: 11). Le conflit sociolinguistique est bien évoqué dans le préambule d'un ouvrage du grand spécialiste Bartomeu Melià, au titre on ne peut plus explicite: "Éloge de la langue guarani" (Melià 1995: 8): "Sans exagérer, on peut dire que les langues du Paraguay sont le lieu d'une passion et d'un conflit. D'amours et de frustrations". Car le conflit ne concerne pas uniquement (même si c'est la donnée quantitative majeure de la configuration paraguayenne) la coexistence du guarani et de l'espagnol mais également selon certains sociolinguistes entre le guarani et les autres langues indigènes présentes sur le territoire du Paraguay : on peut observer l'existence maintenue de 17 à 19 (selon les estimations) langues amérindiennes, parlées par des communautés indigènes territorialisées plus ou moins réduites.

Du reste les guaranophones ethniques, qui sont restés en marge (par refus ?) des divers métissages intervenus à partir de la conquête ne souhaitent pas que leur langue et leur identité culturelle soient confondues avec la langue et la culture des Paraguayens, se considérant eux-mêmes comme l'un des peuples autochtones * .

Et bien que la coexistence du guarani et de l'espagnol soit le thème central de l'interdiscours épilinguistique paraguayen, des pratiques métalinguistiques et de plus en plus d'interventions glottopolitiques intéressent les autres langues amérindiennes en usage au Paraguay. Mais c'est bien le guarani paraguayen (non ethnique) qui focalise l'essentiel des préoccupations sociolinguistiques de la société paraguayenne. Ce même guarani a été, dans le passé, comme de nombreuses langues dominées dans le monde (en Europe et en France singulièrement), stigmatisées par l'École, dont l'une des missions au XIXe était de l'éliminer. On signale à ce propos (Rubin citée par Melià 1988-1997: 43) l'existence d'une pratique scolaire connue en France sous le nom de "signal" et qui consistait à faire circuler parmi les élèves, au gré des apparitions incontrôlées du guarani, un objet identificateur en vue de sanctionner la "faute" sociolinguistique (Boyer 1991).

Outre les ingrédients traditionnels d'un conflit diglossique (minorisation du guarani -langue de la ruralité-en même temps que loyauté à son égard et célébration comme attribut identitaire national) la configuration linguistique paraguayenne, officiellement qualifiée de "bilingue" (et pluriculturelle), présente les caractéristiques d'une évolution avancée vers un complexus diglossique qui ne va pas sans poser quelques problèmes théoriques ... et pratiques.

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