Gestions des plurilinguismes
Cours

Une configuration sociolinguistique unique

Il est difficile de présenter d'une manière simple la configuration sociolinguistique de la Voïvodine, car les espaces linguistiques s'y entrecroisent et les langues sont étroitement mêlées sur le territoire de la province. Cependant, les différents groupes restent tout de même très concentrés dans certaines localités et plus ou moins absents d'autres.

La langue dominante, la plus parlée, est le serbe. Mais, étant donné que ce territoire a fait partie pendant des siècles de la Hongrie et de l'empire austro-hongrois, l'importance de la langue hongroise a toujours été considérable. Le roumain y est parlé en tant que langue de cette partie de la population roumaine qui s'est retrouvée « de l'autre côté de la frontière », lors des accords de Trianon. Le cas des Slovaques et des Ruthènes – qui parlent une variété de slave oriental – sont différents. Les Slovaques installés en Voïvodine sont, à la différence des Hongrois ou des Roumains, coupés de leur pays d'origine, la Slovaquie, de même que les Ukrainiens. Certains de ces Ukrainiens, venus dans la plaine du versant ouest des Carpates, ont avec le temps développé une langue à part, distincte de l'ukrainien, devenue leur langue propre : le ruthène. Le ruthène et l'ukrainien – langues slaves orientales à la différence du slovaque et du tchèque qui relèvent du slave occidental, et à la différence du serbe, du croate, du slovène et du macédonien, qui sont des langues slaves méridionales –, sont donc en Voïvodine considérées comme deux langues différentes, quoique très proches d'un point de vue structural.

Les Serbes, en tant que population majoritaire au niveau de la province, sont très largement présents du nord au sud et de l'est à l'ouest de la région, mais dans certaines zones ils ne représentent pas pour autant la population dominante. Les Hongrois peuplent surtout le nord de la province, près de la frontière, mais on peut trouver des zones à population dominante hongroise même jusqu'au sud de la province. Les communes parmi les plus magyarophones sont celles de Kanjiža, de Senta, d'Ada, de Bačka Topola, de Čoka et de Mali Iđoš. Les Roumains sont concentrés près de la frontière avec la Roumanie, sans pour autant former une zone compacte ni continue. Leur siège culturel est la ville frontalière de Vršac. Les Slovaques ont leur siège culturel dans la ville de Bački Petrovac et constituent la majorité dans cette commune, alors que les Ruthènes peuplent essentiellement la ville de Ruski Krstur et quelques villages environnants. Les Croates, quant à eux, peuplent essentiellement des zones frontalières avec la Croatie voisine.

Ce qui rend la configuration sociolinguistique de la Voïvodine unique, c'est le contraste entre l'hétérogénéité de la région et l'homogénéité de certaines villes et de certains villages. Il arrive qu'une localité soit peuplée par plus de 90 % de membres d'une seule communauté linguistique. À titre d'exemple pour illustrer une situation parmi d'autres, dans le village d'Orom vivent 94,23 % de Hongrois, à Gložan 86,94 % de Slovaques, à Kuštilj 95,16 % de Roumains, etc. Mais ce qui est peut-être plus surprenant encore, c'est que l'on peut trouver en Voïvodine, à seulement quelques kilomètres de distance, des villages serbes, hongrois, roumains, slovaques et ruthènes, très homogènes. Un exemple remarquable est la commune de Kovačica, qui comporte des villages à majorité serbe (Idvor), à majorité slovaque (Padina), à majorité roumaine (Uzdin) et à majorité hongroise (Debeljača), pratiquement côte à côte. Sillonner la région représente, même pour ceux qui la connaissent bien, une expérience unique, qui permet de changer plusieurs fois d'environnement linguistique, en l'espace d'une heure, tout en restant dans la même province, sans franchir de frontière d'État, dans un espace où se parlent toutes les langues des États voisins ou proches.

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