L'occitan, une histoire

Le Roy et ses provinces

Entre le XVIe siècle et le XVIIe, la monarchie, devenant peu à peu absolue, renforce progressivement son appareil d'Etat, sans toutefois parvenir à unifier véritablement son territoire : l'héritage des périodes antérieures entrave le mouvement de centralisation amorcé par le pouvoir, et les sujets vont parfois jusqu'à se révolter face à ses empiétements. D'où le caractère à la fois complexe et confus de l'appareil administratif.

Carte de la France de 1552 à 1798 (Henri II, Henri IV, Louis XIV, Louis XV, Révolution.)InformationsInformations[1]

La poursuite de l'expansion territoriale :

  • Sur la frontière Sud, la France arrache en 1658 le Roussillon et la Cerdagne à l'Espagne - mais elle a dû préalablement renoncer à annexer la Catalogne révoltée en 1640 contre le roi d'Espagne. Sur la frontière des Alpes, la France occupe de 1512 à 1601 le Marquisat de Saluces, en Piémont, qui comprend quelques vallées occitanes (basse Stura, Grana, Maira, Varacha, haute vallée du Pô). En revanche, en 1713, le traité d'Utrecht lui enlève le Briançonnais oriental, à l'est du Mont Genèvre, perte à peine compensée par l'annexion de la Vallée de Barcelonnette : désormais, dans les Alpes du Sud, la frontière politique suit la ligne de crête, sauf tout au Sud, où le comté de Nice reste au Piémont-Savoie.

  • Loin de ses frontières, la France récupère, toujours en 1713, la principauté d'Orange. Seuls les territoires pontificaux (Avignon et le Comtat Venaissin) lui échappent encore dans la région. Mais le gros morceau, c'est ce qui reste des grands domaines féodaux hérités de la fin du Moyen Âge. Une branche de la famille royale, les Bourbon, avait acquis en apanage le Bourbonnais et l'Auvergne. Le roi récupère ces territoires en 1521. Il reste une seconde grande enclave, le double héritage des comtes de Foix, vicomtes de Béarn, rois de Navarre et de la branche principale des Bourbon, réunis au milieu du XVIe par le mariage entre Jeanne d'Albret et Henri de Bourbon. C'est leur fils Henri III de Navarre qui en accédant au trône de France amène avec lui les domaines de la famille : Béarn, Bigorre, Armagnac, Foix et Albret au Sud-ouest, le comté de Rodez, Limoges, le Périgord plus au nord. Au total, le XVIIIe siècle voit le roi de France maître de la quasi-totalité de l'espace occitan, sauf l'enclave du pape et les marges aranaises au Sud, et piémontaises sur la frontière des Alpes. Il ne lui reste plus qu'à l'administrer au mieux. Et ce n'est pas facile.

L'unité du royaume n'est faite que de la sujétion commune de tous ses habitants à un même monarque, le Roi Très-Chrétien sacré à Reims ; encore l'aristocratie béarnaise considère-t-elle que chez elle ce monarque l'est d'abord en tant que roi de Navarre...

Pour le reste, c'est la diversité qui règne :

Diversité juridique d'abord. Le Sud est le pays du droit écrit, qui a conquis depuis le XIIe siècle une zone allant du sud du Poitou au Jura, en passant par une partie de l'Auvergne : autant dire l'essentiel du pays d'oc. Mais cette progression est interrompue à la fin du XVe, et, par décision royale, le Nord du royaume conserve son droit coutumier, dans ses nombreuses variantes régionales. Selon les régions, les dispositions concernant le mariage ou l'héritage peuvent changer assez sensiblement.

Même variation pour les mesures de poids ou de surface : chaque région, voire chaque micro-région, a les siennes. On voit que la langue n'est pas la seule à varier, et que ses variations pèsent même peu aux regards des autres.

D'autres viennent d'ailleurs s'y rajouter. Il n'y a pas de marché national unifié pendant l'Ancien Régime, et il y a entre les provinces centrales et les provinces périphériques un cordon douanier. La fiscalité change en fonction des privilèges arrachés - ou abandonnés - par les diverses provinces ou par les villes : l'impôt sur le sel, la fameuse gabelle, change de taux entre les provinces centrales, qui payent le plus, et les autres qui selon les concessions qu'elles ont pu obtenir du pouvoir royal, peuvent bénéficier de taux plus avantageux.

Il y a pourtant une administration royale, qui évolue et se renforce au cours des trois siècles, mais tout en laissant subsister des archaïsmes. À la fin du Moyen Âge, il existait des sénéchaux (d'abord à Beaucaire, Carcassonne, Toulouse puis ailleurs au rythme des annexions), et en dessous des viguiers (en Provence des bailes), le tout chapeauté en Languedoc par des lieutenants du roi. Ces derniers sont remplacés au XVIe siècle par des gouverneurs, un par province, choisis dans la haute aristocratie. Au XVIIe, le pouvoir central apprend la méfiance face à ces puissants personnages et invente donc un corps nouveau, celui des intendants, amovibles, recrutés dans la moyenne noblesse ou la haute bourgeoisie. Et au maillage territorial des provinces traditionnelles, il ajoute au XVIIe l'échelon des généralités (une soixantaine sur tout le royaume). Mais il ne supprime pas les provinces, pas plus qu'il n'abolit les titres antérieurs, il se contente de les vider de tout contenu réel. En dessous, se développe progressivement un corps d'officiers royaux, pour la justice et l'administration en général. Ces officiers achètent leur charge, quitte ensuite à récupérer leur investissement aux dépens des administrés, et au début du XVIIe siècle les officiers obtiennent le droit de transmettre cette charge à leur héritier. À la longue, leur famille peut finir par intégrer la noblesse...

Dans le domaine judiciaire, le pouvoir royal réduit progressivement le rôle des justices seigneuriales ou ecclésiastiques au profit de ses propres tribunaux - avec l'instauration d'un réseau de présidiaux au XVIe. Le système est chapeauté par des cours de justice transrégionales, les Parlements : à celui de Paris, le premier créé au Moyen Age et le plus important, s'ajoutent au fil des ans le parlement de Toulouse (1444), celui de Bordeaux en 1463, puis d'Aix en 1501, après l'annexion de la Guyenne et de la Provence.

Portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, Musée du LouvreInformationsInformations[2]

Face à ces institutions royales, il subsiste quelques résidus de contre-pouvoirs : les villes - mais les consuls ou les jurats sont de moins en moins élus et de plus en plus contrôlés par le pouvoir - et dans quelques provinces privilégiées des assemblées représentatives des trois ordres (clergé, noblesse et Tiers État) : on en trouve sans surprise dans les provinces les plus périphériques (Bretagne, Bourgogne, Lorraine, Artois... ), et, en pays d'oc, Languedoc, Provence et Navarre. Le rôle théorique de ces assemblées : négocier avec le roi le montant de l'impôt direct - la taille - dû par la province. Dans la réalité, les États ont de moins en moins de marge de manœuvre, mas ils n'en subsistent pas moins, même si c'est parfois de façon purement symbolique (en Provence dès le milieu du XVIIe le roi ne les fait plus convoquer... )

Dans le domaine de la langue juridique et administrative, le pouvoir royal favorise bien sûr le français, contre le latin, mais ses premiers textes législatifs sur la question laissent encore une place à la seule langue vulgaire encore utilisée en dehors du français, l'occitan - sans le nommer. Ce jusqu'à l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) qui stipule que désormais c'est en français « et non autrement » que devront être rédigés les actes de justice. L'occitan avait commencé à reculer avant, et dans les régions les moins bien contrôlées il résistera par inertie jusqu'au XVIIe siècle, mais en gros les jeux sont faits : la langue du pouvoir c'est bel et bien celle du Roi qui est aussi celle de la Cour et des gens de qualité, celle donc qu'un écrivain ayant quelque ambition se doit de cultiver : autant d'espace ôté, malgré quelques résistances, à la langue d'oc.

Au total, le pouvoir royal se renforce au cours des trois siècles de l'époque moderne, mais son ascension est clairement résistible : la distance par rapport au centre, la persistance de privilèges et d'institutions locales dans les zones les plus éloignées constituent autant d'obstacles, pour un pouvoir qui hésite à faire table rase et essaye toujours de préserver la fiction du respect des coutumes consacrées par les siècles.

Un pouvoir qui par ailleurs est d'autant plus prudent que parfois ses tentatives de passage en force provoquent des révoltes.

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