L'occitan, une histoire

D'un Louis à l'autre, le XVIIIe siècle

Louis XIV meurt en 1715 après avoir enterré deux Dauphins successifs. C'est son arrière-petit-fils, un enfant, qui lui succède, après quelques années de régence. Louis XV va régner longtemps (jusqu'en 1774). Mais, pas plus que son petit-fils et successeur, Louis XVI, il n'est capable de procéder à des réformes capables d'assurer la survie de la monarchie. Le XVIIIe siècle est celui de cet échec, tandis que l'évolution de la société prépare l'étape suivante, la Révolution. À sa façon, l'espace occitan est partie prenante dans cette évolution.

Jean Cavalier, chef camisard. Pierre Antoine Labouchère, Musée du désert, Mialet (Gard)InformationsInformations[1]

Ce ne sont pas les problèmes qui manquent. Louis XIV s'imaginait avoir réglé la question protestante avec la révocation de l'Édit de Nantes, il découvre vite qu'il n'en est rien. Les réformés, contraints de se soumette en surface à l'Église catholique, maintiennent leur propre foi dans la clandestinité, ce que leur tradition appelle le Désert. Pire : dans leur bastion cévenol, ils vont jusqu'à se lancer entre 1702 et 1704 dans un soulèvement armé : c'est la guerre des Camisards, porteurs, comme tant de révoltés des pays d'oc à la période précédente, d'un sobriquet occitan, alors même que ce qui les galvanise, ce sont les prophéties prononcées en français par des enfants...

L'armée française finit par triompher, mais le problème protestant n'en est pas réglé pour autant. Pendant tout le siècle reviennent des moments de répression ouverte : on exécute les pasteurs qu'on a arrêtés, on envoie aux galères les hommes surpris dans une réunion du Désert, les femmes étant enfermées, notamment à Aigues Mortes, dans la Tour de Constance. Mais l'opinion supporte de moins en moins ces persécutions. Lorsque le parlement de Toulouse en 1762 condamne à mort Calas accusé d'avoir tué son fils qui voulait se convertir au catholicisme, la campagne lancée par le philosophe Voltaire aboutit quelques années plus tard à sa réhabilitation.

Et en 1787, Louis XVI promulgue un édit de tolérance qui restitue aux protestants une vraie place, en tant que tels, dans la société : c'est le moment où dans bien des villages de la Drôme actuelle ou de la région nîmoise, le curé découvre que l'immense majorité de ses paroissiens ne viendra plus jamais à l'église.

Mais ils ne sont pas les seuls dans ce cas : le XVIIIe siècle voit la montée dans bien des régions d'une amorce de déchristianisation : ombre du protestantisme, conflits internes à l'Église catholique, notamment entre l'Église officielle et la tendance janséniste, développement de l'anticléricalisme face à un clergé riche, mais peu motivé, autant de facteurs qui concourent à affaiblir le catholicisme.

Tandis que dans les classes supérieures, des idées nouvelles commencent à se diffuser dans le sillage des philosophes, Voltaire, déjà cité, Diderot, Rousseau ou les encyclopédistes. Les Occitans sont minoritaires dans les cercles qui donnent le ton dans ce domaine : le plus important est incontestablement Montesquieu. Ce qui ne veut pas dire que ces idées nouvelles ne circulent pas aussi dans les milieux cultivés du Sud, où existent des lieux de recherche et de débat : sociétés savantes et académies provinciales, et, de plus en plus, loges maçonniques : dans un pays d'oc habitué de longue date au fait associatif, ces nouvelles formes de sociabilité trouvent un terrain favorable : dans les villes se sont parfois les vieilles confréries bourgeoises héritées du Moyen Age qui se transforment en loges...

Globalement pourtant, les premières enquêtes, embryons de l'effort statistique qui se mènera au siècle suivant, révèlent un certain nombre d'éléments de décalage entre le Sud et le Nord. Dans une France encore rurale dans sa majorité, le poids de la paysannerie est encore plus important dans les pays d'oc sauf peut-être en Provence. Le fait que dans cette paysannerie, la proportion des propriétaires soit supérieure à ce qu'elle est au Nord ne signifie pas que ces propriétaires sont riches. Et d'une manière générale les provinces méridionales sont alors classées par les observateurs dans la catégorie des zones qui vivent pauvrement. Tout au plus discerne-t-on quelques foyers industriels, autour du textile, notamment, en Languedoc (Nîmes, Lodève, Mazamet).

À la laine, et au coton, récemment adopté, s'ajoute la soie, qui nourrit toute une sériciculture des deux côtés du Rhône - mais c'est Lyon qui est la capitale de la soie... Un peu de chimie à Montpellier, du charbon dans les Cévennes, une sidérurgie modeste dans les Pyrénées autant de pôles autour desquels peut s'ébaucher le début d'une révolution industrielle. Si tout va bien.

Les niveaux de vie en France au XVIIIe siècleInformationsInformations[2]

Mais ce que révèlent aussi les enquêtes menées plus tard dans les archives afin de mesurer la proportion de ceux qui savent signer leur nom, c'est un décalage spectaculaire entre une France du Nord-est précocement alphabétisée, du moins en ce qui concerne les hommes, et une France périphérique aux performances bien inférieures, du moins au début du siècle ; la situation s'améliore ensuite dans la plaine languedocienne, mais encore à la veille de la Révolution on estime que la proportion de ceux qui savent signer dans ce qui va devenir l'Ariège ne dépasse pas 13% pour les hommes, et 3% pour les femmes (moyenne française 47 % et 27%). Seules les Alpes du sud et les réduits protestants offrent une situation meilleure. Il est vrai que la politique de l'État ne va pas dans le sens d'une diffusion du savoir dans les classes populaires par l'école, bien au contraire : l'opinion des décideurs comme des élites en général, certains philosophes compris, c'est que le paysan n'a pas besoin de savoir lire, et cela lui donnerait des ambitions, s'il savait.

Tour de Constance à Aigues-MortesInformationsInformations[3]

Du coup, la langue reste largement pratiquée, y compris dans les classes supérieures, même si le bilinguisme progresse dans les villes et dans la haute société. Certains milieux savants commencent même à s'intéresser à son histoire : certes les auteurs qui l'emploient ont peu d'impact, en dehors de ceux qui sont au service de l'Eglise et de sa stratégie de prédication, déjà évoquée. Le plus important de ces écrivains d'oc, l'abbé Favre, sera imprimé, et lu largement, essentiellement après sa mort, au siècle suivant. Mais par contre, on voit paraître les premiers dictionnaires - cantonnés il est vrai à une province, pas plus, et le souvenir des troubadours, si longtemps oubliés en France, refait surface : une anthologie de leurs chansons, en traduction, basée sur les recherches de La Curne de Saint-Palaye, paraît en 1774. Dès avant sa parution, l'ombre des troubadours passe déjà dès les années 30 dans la monumentale Histoire Générale du Languedoc des bénédictins Dom Vic et Dom Vaissète. Ce sont les États de Languedoc qui ont commandé et financé cette histoire, afin d'établir plus clairement les titres et privilèges de la province, face au pouvoir central.

Le canal du MidiInformationsInformations[4]

Car les rapports entre ce dernier et les contre-pouvoirs qui subsistent dans la société ne se sont pas améliorés. En 1749, le ministre Machault introduit un impôt nouveau, le vingtième, qui touche aussi les nobles. Les États du Languedoc le refusent, au nom des libertés de la province. Le pouvoir les dissout, et ne les autorise à se réunir à nouveau qu'en 1753 : de toute façon, entre-temps, le vingtième a disparu avec son inventeur. En 1759, un autre ministre, Bertin, reprend l'idée, et cette fois, ce sont les parlements de toute la France qui s'y opposent, avec succès là encore. Par un paradoxe auquel seule la révolution mettra fin, ces instances provinciales, États ou Parlements composées pour l'essentiel de privilégiés attentifs à ne pas laisser attaquer leurs privilèges, réussissent à bénéficier d'un certain soutien dans une opinion qui voit en elles le rempart des traditions locales face aux innovations venues d'en haut. Le règne de Louis XVI voit la même alternance de velléités de réforme rapidement découragées par l'opposition des élites, alors que la situation des finances rend de plus en plus inévitable une réforme mettant fin aux exemptions dont les classes supérieures bénéficient.

Dans cette histoire, les Occitans sont de fait spectateurs plus que vraiment acteurs : il est frappant de voir qu'au fil du siècle la majorité des ministres sont parisiens, ou à tout le moins originaires du Nord de la France. Seule exception dans la première moitié du siècle, le cardinal Fleury, Languedocien. De même, c'est du nord que viennent (et se succèdent parfois de père en fils... ) la plupart des intendants des provinces méridionales.

À la veille de la révolution, le blocage institutionnel persiste dans une France, et un pays d'oc, confrontés par ailleurs à une crise économique très grave : de mauvaises récoltes font monter le prix du blé, induisant des émeutes urbaines un peu partout, tandis que le textile languedocien est frappé par la fermeture de certains de ses marchés traditionnels en Europe du sud et en Amérique. Le mécontentement grandit. Il va bientôt se manifester de façon spectaculaire, à l'été 1789.

  1. source : wikimedia Licence : Domaine Public

  2. Auteur  : François De Dainville - Un dénombrement inédit au XVIIIe siècle : l'enquête du Contrôleur général Orry - 1745 - article ; n°1 ; vol.7, pg 49-68 de François De Dainville - Source : youscribe (p. 59) Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage des Conditions Initiales à l'Identique

  3. source : wikimedia Licence de documentation libre GNU

  4. source : wikimedia Licence de documentation libre GNU

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