L'occitan, une histoire

Révoltes populaires, révoltes provinciales

On a entrevu les premières dès le XIVe siècle avec les Tuchins. Les siècles suivants en voient renaître assez régulièrement. Elles affectent l'ensemble du territoire du royaume, dans les villes comme dans les campagnes, mais ce que l'on observe jusqu'au XVIIIe siècle c'est qu'elles sont particulièrement nombreuses au sud.

Il est vrai que les raisons de se révolter ne manquent pas. Dans les villes, le déclencheur peut être la disette, entraînant une hausse du prix du pain pénalisant les classes populaires. Mais d'autres groupes sociaux peuvent bouger, en fonction de leurs propres intérêts, et parfois se rejoindre ponctuellement.

La frange la plus pauvre de l'aristocratie, celle qui n'arrive pas à intégrer le service du roi et voit son pouvoir social diminuer, peut se monter disponible pour des comportements dissidents : révoltes nobiliaires, participation active aux guerres de religion, voire brigandage pur et simple. Mais certains de ses éléments peuvent aussi fournir l'encadrement des révoltes paysannes.

De même pour la bourgeoisie. Une partie joue la carte de l'entrée dans l'administration, avec ses promesses d'anoblissement. Mais une autre peut s'accrocher à des privilèges provinciaux ou urbains menacés par les progrès du pouvoir royal. Ceux-là aussi fourniront des cadres aux révoltes populaires.

Mais les gros bataillons de la révolte sont naturellement fournis par les paysans, du moins par ceux qui ont déjà un peu de bien, et sentent ce bien menacé soit par la fiscalité soit par la guerre : c'est eux qui vont entrer en conflit avec l'État. Mais il arrive aussi que la cible de ces révoltes soit les élites locales.

C'est la question fiscale qui provoque les premiers grands troubles au XVIe siècle : dès 1548 la révolte des Pitauds, partie du Poitou, touche les provinces voisines, Périgord, Limousin, puis Bordelais. Le motif initial est l'imposition de la gabelle dans une région productrice de sel qui jusque-là ne la payait pas, mais progressivement l'éventail des revendications, reprises dans de véritables cahiers de doléances, s'élargit : c'est l'impôt direct qui est visé (il a doublé entre 1534 et 1545 pour cause de guerre), mais aussi la vente des offices. À Bordeaux, le mouvement, particulièrement violent, prend un aspect directement politique, avec un appel, infructueux, au soutien de l'Angleterre, l'ancienne suzeraine. La répression, vigoureuse, entraîne la suppression de la municipalité bordelaise comme du Parlement de Guyenne ; mais dès 1549 ces institutions sont rétablies, quoiqu'affaiblies. En revanche, le pouvoir est forcé de reculer sur la gabelle : moyennant le versement de deux millions de livres, Poitou et Limousin en seront désormais exemptés.

Répression de la jacquerie des Pitauds par le connétable de Montmorency en 1549. Lithographie du XIXe siècle.InformationsInformations[1]

En 1594, le Limousin se soulève à nouveau, avec des « Tard-avisés » plus connus sous le surnom de Croquants, surnom promis à un bel avenir. Ils débordent vite sur le Périgord. Les revendications sont toujours les mêmes : l'impôt, qui a doublé entre 1570 et 1594, les abus des riches. Le mouvement est suffisamment structuré pour se doter d'une force armée, et, là encore, d'un cahier de doléances précis. Écrasé dans son foyer initial, il se propage dans les régions voisines en 1595 : Languedoc et Comminges reprennent à leur compte le nom de Croquants. Une amnistie décidée par Henri V, le nouveau roi, calme les esprits.

Pour un moment du moins. Des révoltes antifiscales éclatent en 1602 (Limousin), 1604 (Haute Provence), 1615 (Marseille). En 1624 c'est le Quercy qui se soulève lorsque le pouvoir central supprime ses États provinciaux pour confier la fixation et la perception de l'impôt à ses officiers : les révoltés reprennent le nom de Croquants. Et à partir de 1635, à un moment où la participation de la France à la guerre de Trente Ans alourdit considérablement la charge fiscale, c'est pratiquement chaque année pendant dix ans que des révoltes éclatent, essentiellement en pays d'oc : en 1535 en Auvergne, à Bordeaux (qui perd à nouveau sa municipalité) en Périgord (contre la gabelle), à Agen. L'année suivante commence la grande révolte des Croquants (Périgord, Quercy, Agenais, Limousin, Auvergne, Languedoc). Le cahier de doléances de ceux du Périgord, bien encadrés par des nobles locaux, revendique tout bonnement la suppression des officiers et la création d'États de la province. Une guérilla tiendra une partie de la région jusqu'en 1641. Des mouvements éclatent au même moment aussi bien en Provence que dans les Pyrénées ou dans la Marche. En 1643, c'est au tour du Rouergue d'avoir ses Croquants, et en 1645, c'est Montpellier qui se révolte, avec le soutien d'une partie de sa propre bourgeoisie.

Jacques Callot. Les Misères de la guerre. 11. Les Pendus (Palais des Ducs de Lorraine, Nancy)InformationsInformations[2]

Entre 1648 et 1653, la France tout entière, Paris compris, connaît une période insurrectionnelle assez complexe, la Fronde, associant une frange de la haute aristocratie menacée par les progrès de l'État absolutiste, les Parlements désireux de se poser en contre-pouvoir face au même État, voire certaines franges des classes populaires essentiellement urbaines. En pays d'oc, c'est à Bordeaux, avec la révolte de l'Ormée, que les choses vont le plus loin : au départ il s'agit d'un affrontement assez classique entre le parlement et le représentant du pouvoir central, le duc d'Epernon, mais l'intervention de la bourgeoisie locale et d'une frange des classes populaires radicalise le mouvement, qui se dote en 1650 d'une instance représentative, une assemblée de 500 membres coiffée par un conseil de 30 membres. Comme en 1548, c'est vers l'Angleterre que se tournent les Bordelais, qui reçoivent le soutien, symbolique, mais inefficace, d'un des leaders des Niveleurs, l'aile la plus radicale de la révolution anglaise. Le pouvoir central reprend la ville en 1653.

Par la suite, des révoltes éclatent sporadiquement, toujours sur la question fiscale, en Auvergne, 1662, les Landes, 1665, le Vivarais, 1670. Encore en 1707, les paysans du Quercy peuvent se révolter en reprenant le surnom de Tard-Avisés inventé par leurs prédécesseurs limousins plus d'un siècle plus tôt. Mais au XVIIIe, le pouvoir royal tient suffisamment bien le pays en main pour que les révoltes paysannes se raréfient.

On discerne dans cette histoire agitée un certain nombre de constantes. Une constante géographique, d'abord : s'il y a des révoltes au Nord, (Nu-Pieds de Normandie, en 1639, Bonnets rouges de Bretagne en 1675) c'est surtout dans le Sud que situent, de façon récurrente, les explosions de violence. Et c'est le Sud-ouest qui est le plus régulièrement touché, plus que l'est, peut-être parce que les États, malgré leur affaiblissement, incarnent encore la fiction d'une protection contre l'arbitraire des agents de l'État. Ces révoltes sont organisées, éventuellement encadrées, par des éléments des classes supérieures, bourgeois ou nobles. Elles produisent des cahiers de revendications, et entendent bien négocier avec le pouvoir. On note que le choix même des noms pris par les insurgés témoigne de la persistance d'une mémoire de la révolte, qui traverse aussi bien les années que les limites entre provinces. Ceci étant, à aucun moment ces révoltes ne débouchent sur une revendication de type séparatiste : le roi reste le souverain suprême, intouchable. En revanche, le regard des autorités qui cherchent à comprendre ces explosions récurrentes se satisfait volontiers du recours au cliché ethnotypique : ces peuples du Sud lointain se reconnaissent à leur vivacité, mais aussi à leur refus de l'autorité. On retrouvera ces clichés bien plus tard.

Enfin, ces insurgés, s'ils ont du mal à résister à des armées de professionnels, n'en disposent pas moins d'armes : un héritage sans doute des guerres de religion.

  1. source : wikimedia Licence : Domaine Public

  2. source : wikimedia Licence : Domaine Public

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