L'occitan, une histoire

Un siècle de mise au pli

Bien sûr, c'est aussi le siècle de la grande littérature classique, celui de Pascal, Descartes, Molière, Racine, celui de Versailles, et des grandes victoires du Roi-Soleil (de ses grandes défaites aussi, à vrai dire). Mais dans l'ensemble, c'est bien à l'apogée du pouvoir monarchique absolu que l'on assiste - même si ce pouvoir est moins total que le roi et ses ministres l'espéraient - et parallèlement, à l'élimination ou de la marginalisation de tout ce qui peut faire de l'ombre à ce pouvoir.

Il y a les Protestants. On les avait laissés dotés par l'Édit de Nantes d'un statut minoritaire, certes, mais néanmoins relativement protecteur, en tout cas pour les zones où ils étaient suffisamment nombreux pour devoir être ménagés. Le siècle qui suit l'Édit va voir le pouvoir royal remettre progressivement en cause ce statut, avant de finir par l'abolir en 1685.

Les successeurs d'Henri IV, Louis XIII, puis Louis XIV, sont poussés en la matière par leurs convictions catholiques, renforcées par l'action d'une Eglise engagée dans la Contre-Réforme depuis le Concile de Trente au siècle précédent, action relayée à la cour par le lobby des Dévots. Par ailleurs, pour le souverain très Chrétien, l'existence persistante de cette entorse à l'unité spirituelle de ses sujets est difficilement acceptable. Mais il faut aussi tenir compte des réactions des protestants eux-mêmes, qui, au moins dans les premières décennies du siècle, essayent parfois, par des opérations militaires, de conquérir des espaces que l'Édit ne leur concédait pas.

Siège de Montauban en 1621, œuvre de M. MerianInformationsInformations[1]

Quand Henri IV meurt en 1610, son fils Louis est encore un enfant, soumis donc à la régence de sa mère Marie de Médicis. Un certain nombre de grands seigneurs protestants, notamment le prince de Condé et le duc de Rohan, essayent en 1615 de profiter de la situation pour lancer une révolte qui tourne court. Elle suffit cependant pour que Louis XIII, dès qu'il prend réellement le pouvoir, décide de mettre au pas les huguenots. Il le fait dès 1620, en réalisant l'union des deux royaumes de France et de Navarre, au détriment de l'autonomie du second. Outre l'adoption du français comme langue administrative, contre le béarnais, il impose notamment la reconnaissance de la religion catholique, hors-la-loi en Béarn depuis 1571, et la restitution des biens ecclésiastiques confisqués : c'est ce que prévoyait l'Edit pour le royaume de France. Face à ce coup de force, les protestants du pays d'oc se soulèvent, sous la direction de Rohan, et arrivent un temps à contrôler un grand Sud de la Rochelle au Languedoc, avant d'être battus en 1622. La paix de Montpellier ne leur laisse plus que deux places fortes, Montauban et la Rochelle.

Quand Rohan se soulève de nouveau en 1625, il est peu suivi par ses coreligionnaires, mais le roi choisit quand même, par l'Edit de Grâce d'Alès (1629) d'ôter aux réformés leurs dernières places fortes et le droit de disposer d'une force militaire.

Une fois désarmés, les fidèles de la RPR, (Religion Prétendue Réformée) voient progressivement réduire l'espace qui leur était garanti dans la société par l'Edit de Nantes : tour à tour sont supprimés les tribunaux mixtes, la possibilité pour un protestant d'accéder à des fonctions publiques, même locales, tandis que la Compagnie du Saint-Sacrement, arme des dévots, mène une politique de conversion forcée des enfants. Dans les années 1680, les protestants sont suffisamment marginalisés pour que Louis XIV considère qu'il y a plus lieu de les ménager : l'édit de Fontainebleau en 1685, précédé par des manœuvres militaires d'intimidation dans les villes et les campagnes protestantes, ne leur laisse plus d'autre choix que la conversion, leurs pasteurs ayant, eux, la possibilité de choisir l'exil. En réalité, c'est par dizaines de milliers que beaucoup de réformés vont chercher à fuir, au risque de se trouver condamnés aux galères s'ils sont pris ; pour les pasteurs qui restent en France sans se convertir, c'est la mort. Commence alors pour le protestantisme français un siècle de persécution et de clandestinité.

Ce n'est pas seulement l'unité religieuse que le roi veut imposer. C'est l'ensemble des obstacles à son pouvoir qui doivent disparaître. Les velléités de résistance de la haute aristocratie sont découragées, et un certain nombre de grands seigneurs se retrouvent à la Bastille, quand ils ne sont pas décapités pour cause de conspiration. Mais il existe d'autres contre-pouvoirs qu'il convient de juguler, notamment les États provinciaux dont on a vu plus haut le rôle en matière de négociation sur le montant de l'impôt.

Or, en Languedoc comme en Provence, à la fin des années vingt, ces délégués traînent les pieds face aux demandes croissantes du fisc royal. Le ministre de Louis XIII, Richelieu, décide donc en 1630, de régler la question en remplaçant ces États indociles par le système qui prévaut au centre du royaume, celui des « élus », en fait des officiers royaux ayant tout pouvoir en ce qui concerne l'impôt. Le résultat de ce coup de force ne se fait pas attendre : c'est la révolte.

À un niveau inférieur, c'est bientôt aux derniers vestiges des institutions municipales héritées du Moyen Age que le pouvoir royal s'attaque. Les Jurats de Bordeaux ne survivent pas à la défaite de l'Ormée ; Marseille résiste jusqu'en 1658, et c'est par une brèche dans ses murailles que Louis XIV y pénètre après sa victoire. Il en profite pour remplacer les consuls par des échevins nommés par lui. Il est assez significatif de voir que les grandes villes du Sud, celles qui bougent en tout cas, Bordeaux, Montpellier, Marseille, se voient toutes pendant la période moderne flanquées de citadelles à leurs portes. Elles ne sont pas là pour les protéger contre des attaques venues de l'extérieur, mais bel et bien pour les surveiller...

Le fort St.Jean à MarseilleInformationsInformations[2]

Cette mise au pas s'exerce aussi dans le domaine culturel, sur lequel le pouvoir central entend bien exercer sa surveillance, qui fait sentir ses effets sur la littérature en général, et la littérature d'oc en particulier. Au XVIe comme au début du XVIIe, une municipalité ou un grand seigneur pouvaient protéger et entretenir un auteur. Mais c'est au final le pouvoir royal qui récupère cette arme du mécénat. Du coup, la littérature d'oc perd un des derniers espaces qui permettaient une certaine existence publique. Si l'Église peut encourager une production de cantiques ou de noëls destinés à l'édification des fidèles, dans le domaine de la littérature profane, les choses sont bien plus difficiles : ce n'est pas un hasard si bien des œuvres occitanes de la fin du siècle sont restées manuscrites. Et en tout état de cause, il n'est plus question d'envisager pour ce que l'on appelle de plus en plus volontiers le patois l'accès à des registres de création prestigieux. Il existe des chants royaux, des sonnets et des odes au début du siècle, c'est vers la poésie familière ou burlesque que se tournent de plus en plus par la suite ceux qui se mêlent d'écrire en occitan.

Meurtrières de la citadelle de MontpellierInformationsInformations[3]

Bref, un certain nombre de pages sont à présent tournées, et le pouvoir royal peut penser avoir gagné la partie. Le siècle suivant corrigera à sa façon cette vision optimiste.

  1. Source : Wikimedia Licence : Domaine Public

  2. source : wikimedia Paternité - Partage des Conditions Initiales à l'Identique

  3. source : wikimedia Paternité - Partage des Conditions Initiales à l'Identique

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