L'occitan, une histoire

Les occitans dans les crises du premier XXe siècle

Ce siècle, on le sait, commence par une catastrophe planétaire, la Première Guerre mondiale. Du point de vue matériel, l'espace occitan n'est pas directement touché, contrairement aux régions du Nord-est de la France, occupées par l'armée allemande ou ravagées par les combats pendant quatre ans.

TranchéeInformationsInformations[1]

En revanche, ce qui touche les régions méridionales, c'est la mobilisation de sa jeunesse, et les pertes énormes que subissent les troupes sur le front, d'autant plus que ce sont les zones rurales qui fournissent les effectifs des unités les plus exposées dans les tranchées. Un seul exemple : les départements du Limousin perdent 19% de leurs mobilisés (moyenne française, 7%). Les conséquences démographiques sont considérables. Entre les pertes liées directement aux combats, le déficit des naissances dû à la présence des hommes au front, et celui qu'on retrouve à la veille de la Seconde Guerre mondiale quand arrivent à l'âge adulte les classes creuses de la première, c'est certes l'ensemble de la population française qui est touché, mais c'est encore plus grave pour des régions occitanes qui dès avant la guerre avaient déjà, dans les plaines du moins, des taux de natalité assez bas.

La seule chose qui puisse compenser ce déficit, c'est l'immigration, dont les lieux de départ se diversifient. Il y avait déjà des Italiens et des Espagnols, moyennement bien accueillis d'ailleurs. Ils sont rejoints dans le Sud-ouest par des contingents bretons, venus repeupler des villages sous la houlette de leur curé, des Italiens en Provence et dans la vallée de la Garonne, des Espagnols poussés soit par des raisons économiques, soit, en 1939, par la défaite de la République face à Franco - ceux-là sont « accueillis » par la France dans des camps improvisés. Débarquent aussi à Marseille des Arméniens chassés par le génocide de 1915, et les premières vagues venues d'Algérie, de Kabylie en particulier.

La guerre a une autre conséquence, en tout cas dans les premiers mois : pour expliquer ses premières défaites sur le front lorrain, l'État-major ne trouve rien de mieux que d'incriminer les troupes déployées sur ce secteur, en l'occurrence le XVe Corps, recruté dans le Sud-est.

Pour une opinion préparée par la littérature ethnotypique des années précédentes depuis Tartarin à avoir peu d'estime pour les capacités militaires des gens du Midi, la mise en accusation des soldats de « l'aimable Provence » a des effets ravageurs. C'est sans doute le seul moment où les stéréotypes négatifs véhiculés sur les Méridionaux tuent pour de bon.

André Neyton, Le soldat O.

La vie reprend pourtant à la sortie de la guerre. Dans bien des régions occitanes, elle semble prolonger celle d'avant : il y a toujours une population agricole supérieure à la moyenne nationale, et une agriculture de subsistance nourrissant une population de petits propriétaires. La viticulture languedocienne a tiré son épingle du jeu après la crise de 1907, grâce en partie à la guerre. Mais le temps des crises revient vite. Pour le reste, l'industrie reste minoritaire en pays d'oc. Tout au plus l'intervention de l'État permet-elle la promotion de Toulouse comme capitale de l'aéronautique, au départ pour des raisons stratégiques plus que dans un but de développement régional.

Du point de vue politique, les comportements antérieurs se maintiennent. Il y a toujours les régions « blanches » du Massif Central ou de la Vendée provençale vers Avignon. Concurremment, il y a toujours des zones « rouges », en Limousin, en bas Languedoc et en Provence intérieure, dans les villes industrielles, et dans les vieux bastions protestants des Cévennes, de l'Ardèche ou de la Drôme. Ces « rouges » étaient radicaux avant la guerre, ils glissent parfois vers le parti socialiste SFIO, dont le leader Léon Blum trouve son siège de député à Narbonne, voire vers le parti communiste né en 1920 : dans le Lot-et-Garonne, un Renaud Jean réussit à construire un électorat communiste paysan. De l'autre côté de l'échiquier, il y a une présence d'extrême-droite, maurrassienne, voire carrément fasciste, avec Sabiani à Marseille.

Il y a toujours des élus méridionaux dans les cabinets ministériels de la IIIe République finissante, à droite et à gauche : le Gardois Gaston Doumergue, le Vauclusien Édouard Daladier, le Bas-Alpin Paul Reynaud, Albert Sarraut, lié à la toute puissante Dépêche de Toulouse, le Béarnais Barthou - l'Auvergnat Laval, aussi - sont les plus connus, mais non les seuls, de ces hommes politiques du Midi qui collectionnent les portefeuilles ministériels. À ce stade, si on excepte les vaticinations névrotiques d'un Céline contre les « populations négrifiées » du Sud, l'image noire de la période précédente n'est plus vraiment à la mode.

Le VercorsInformationsInformations[2]

C'est que l'intégration de l'espace occitan se poursuit et s'accélère. En 1914, l'occitan reste dans bien des régions langue de communication normale pour les classes populaires des villes comme des campagnes ; les classes supérieures ont décroché un siècle plus tôt en gros, et les classes moyennes ont suivi à partir du milieu du XIXe siècle. Mais après la guerre, la rupture de la transmission familiale commence à affecter les classes populaires urbaines, et une frange de la paysannerie dans les zones de plaine. Seules les montagnes des Pyrénées et du Massif Central résistent, jusqu'après la Seconde Guerre mondiale. L'action du Félibrige n'y change rien, malgré le maintien d'une production littéraire de qualité, en voie de renouvellement formel. Pour l'opinion, ce qui tient lieu de culture régionale, c'est soit le roman régionaliste en français à la Giono ou à la Pourrat, soit les groupes folkloriques en costume qui deviennent le complément indispensable de toute manifestation liée à un tourisme qui commence à se populariser. Si certains militants reprennent dans les années vingt et trente le flambeau de la revendication fédéraliste du siècle précédent, si la revendication pour l'occitan à l'école ne faiblit pas, rien de tout ceci ne bénéficie d'une quelconque visibilité, encore moins d'un écho auprès des autorités, malgré les cérémonies qui marquent en 1930 le centenaire de Mistral. Et ce que la plupart des observateurs perçoivent le plus facilement de ces revendications, c'est la façon bien particulière dont les interprète l'Action Française, monarchiste, du félibre occasionnel Charles Maurras.

En septembre 1939, commence pour la France une seconde guerre mondiale. Comme on sait, la défaite de l'armée française, encore moins bien préparée et commandée qu'en 1914, est totale. La République disparaît le 10 juillet, remplacée par l'État français du Maréchal Pétain. Parmi les 80 députés et sénateurs qui ont refusé de lui confier les pleins pouvoirs, les deux tiers sont des élus du Midi, mais ils pèsent peu. L'armistice laisse à cet État français une « zone libre » qui recouvre une bonne partie du pays d'oc, moins le littoral atlantique, le reste étant occupé par l'armée allemande. Sur ce petit territoire essentiellement rural, le nouveau régime peut jouer de la corde régionaliste, avec le soutien enthousiaste de Maurras, et, au moins au début, d'une bonne partie du Félibrige.

Mais si Vichy apprécie le folklore, sa politique est à la fois réactionnaire et répressive, sans pouvoir faire la preuve que ce qui se prépare c'est la revanche, comme le croit l'opinion aux débuts, avant que l'occupation de la zone sud en novembre 1942 ne la détrompe. Si certains soutiennent jusqu'au bout le maréchal, tandis que d'autres se mettent carrément au service de l'occupant, on voit se développer une résistance efficace, quoique divisée en réseaux distincts idéologiquement - gaullistes, communistes... et à partir de 1943, des maquis qui trouvent refuge notamment dans les zones de montagne de l'espace occitan.

À partir de juin 44, avec le débarquement allié en Normandie, puis en Provence, ces mouvements de résistance entrent directement dans une action armée de grande envergure, harcelant les troupes allemandes qui battent en retraite vers le front. Malgré de lourdes pertes et les exactions de ces troupes en Limousin notamment, de Tulle à Oradour, la libération de la zone sud est pour l'essentiel l'œuvre des mouvements de résistance.

Plaque, Maquis VentouxInformationsInformations[3]

Du même coup, si le général De Gaulle et son gouvernement font figure de seul gouvernement légitime après la débâcle de l'État vichyste, dans les zones libérées par les maquis, il se heurte dans les premiers mois à un pouvoir de fait, celui des maquis, notamment communistes, reliés par une coordination interdépartementale qui évoque, sans le savoir, les précédents protestant du XVIe, fédéraliste de 1793, ou la Ligue du Midi de 1870. Les commissaires de la République délégués sur le terrain par de Gaulle finissent par prendre l'ascendant sur ces initiatives locales, d'autant plus que le premier gouvernement du Général réunit les trois grandes forces politiques qui ont émergé à la Libération : le PCF, le MRP démocrate-chrétien et la SFIO.

Quant au mouvement occitan, il a suivi somme toute l'évolution de l'opinion publique dans son ensemble. Séduit par le discours régionaliste tenu par Vichy à ses débuts, il s'en éloigne progressivement, malgré la concession (modeste) d'une amorce d'enseignement de la langue en décembre 1941. Du coup, et au contraire de bien des mouvements « régionaux » plus au nord, l'occitanisme négocie sans trop de problèmes le virage de la Libération.

  1. source : wikimedia Licence de documentation libre GNU

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