L'occitan, une histoire

Face aux mutations du second XXe siècle, le pays d'oc

Mutations : de fait, il est clair que le demi-siècle qui suit la Libération voit intervenir à tous les niveaux des changements considérables. C'est alors que la France, qui était une grande puissance coloniale, perd l'essentiel de ses colonies, dans la douleur. Dans le même temps, elle connaît d'abord une période de forte croissance, les Trente Glorieuses, qui modifie en profondeur son économie comme ses structures sociales et sa culture, puis une crise qui remet en cause un certain nombre de choses. Du point de vue politique, deux républiques successives, la Quatrième et la Cinquième, plusieurs alternances entre gauche et droite, les « évènements » de mai 68, les progrès, contrastés, de la construction européenne. Et le passage de l'automobile rare sur des routes étroites à la voiture omniprésente sur toujours plus d'autoroutes, la locomotive à vapeur cédant la place au TGV, l'électrification généralisée, l'électroménager pour tous, rejoint ensuite par le téléphone, puis l'internet, sans oublier la télévision, le passage d'un enseignement secondaire réservé à 7% d'une classe d'âge au collège pour tous, sans compter toutes les mutations culturelles et sociétales qui interviennent au fil des ans : autant de changements spectaculaires, qui font qu'il est de plus en plus difficile de reconnaître aujourd'hui les paysages urbains ou ruraux tels qu'ils apparaissent dans les photos ou les films des années cinquante. De cette irruption de la modernité, comme de ses contradictions, l'espace occitan est partie prenante. À sa façon, comme d'habitude.

Du point de vue démographique, s'il partage avec le reste de la France l'élan du baby-boom dans l'immédiat après-guerre, ce n'est pas seulement à cet élan qu'il doit le redressement de sa population. Les dernières décennies sont celles d'un brassage de plus en plus intense dans les régions les plus méridionales. Les mouvements migratoires antérieurs se sont poursuivis, et diversifiés, de façon régulière, si on laisse de côté l'apport ponctuel et brutal de centaines de milliers de « rapatriés » au moment de l'indépendance de l'Algérie. Aux courants traditionnels s'en sont joints de nouveaux : si les Méridionaux ont continué à monter vers le Nord, on observe depuis quelques décennies un mouvement inverse, amenant sous le soleil aussi bien des retraités que des actifs venus du Nord, y compris du Nord de l'Europe. C'est ainsi que dès les années quatre-vingt, la moitié des habitants de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur n'y étaient pas nés.

L'économie a elle aussi connu ses mutations. L'agriculture régresse, comme partout en France, mais à un rythme moins soutenu : 30% d'agriculteurs en 1962 dans les régions occitanes, pour une moyenne nationale de 20%. Encore en 1975, le décalage subsiste (14% contre 9,5%), jusqu'à aujourd'hui (moyenne nationale autour de 3%, mais pas loin de 6% encore en Aquitaine ou en Auvergne en 2004). La période voit disparaître les derniers bastions de l'agriculture de subsistance, et le réaménagement des paysages par le remembrement, comme des cultures, des techniques et des circuits de commercialisation. Le tout au prix d'un écrémage sévère. Le département de l'Hérault a perdu la plus grande partie de ses vignes : avec quelque 60 000 hectares, il est en dessous du chiffre de 1815 (75 000), pour ne pas remonter à 1874 (220 000 hectares)...

La Grande-MotteInformationsInformations[1]

Mais l'industrie n'a pas pris le relais, bien au contraire. La période de l'après-guerre est aussi celle de la liquidation des sites miniers, des derniers vestiges du textile languedocien, des chantiers navals de La Ciotat... Ni l'aérospatiale de Toulouse, ni Fos-sur-Mer ne compensent vraiment ce déclin. L'illusion, caressée dans les années 80, d'une sorte de sun-belt à la californienne sur les rivages de la Méditerranée (IBM à Montpellier... ) ne résiste pas à la réalité. Désormais, le secteur d'activité majoritaire au Sud, c'est le tertiaire, notamment avec un tourisme qui connaît un grand essor depuis les années soixante, et entraîne une certaine évolution de l'image du Méridional, désormais associée au soleil des vacances, donc plutôt positive à sa façon, (quoique... ).

Justement : la fin des paysans conjuguée à la désindustrialisation provoque au même moment une prise de conscience dans les régions concernées : dans cette France qui connaît un développement si spectaculaire il y aurait donc des laissés pour compte ? L'État lui-même le reconnaît, lance dès les années cinquante les premiers plans de décentralisation, diagnostique correctement une véritable situation de sous-développement relatif dans les périphéries de l'hexagone. Du coup, ce qui était jusque-là perçu comme une sorte de fatalité - c'est ailleurs que ça se passe, Paris par exemple - devient intolérable : l'idée de la défense de la région fait son chemin, même si la mobilisation ne suffit pas à sauver les mines de Decazeville en 1962 par exemple.

Du point de vue politique, les choses se compliquent. Sous la Quatrième et une bonne partie de la Cinquième Républiques, la géographie électorale reste conforme à ce qu'elle était aux périodes précédentes : le Massif Central est toujours « blanc », le Bas Languedoc, le Limousin et la Provence intérieure restent  « rouges » au point de constituer l'essentiel des bastions de la gauche entre 1958 et 1981, quand se succèdent à l'Élysée des présidents de droite. Encore en 1981, François Mitterrand trouve certains de ses meilleurs scores - plus de 60% des votants - dans ces bastions.

Résultats du second tour en France métropolitaine en 1981InformationsInformations[2]

Et puis, progressivement, le paysage change. Une nouvelle extrême-droite se révèle, et des départements rouges, comme le Var, changent de couleur. C'est que la société qui soutenait ces votes traditionnels n'est plus, et que le brassage des populations a amené des électeurs qui ne sont plus concernés par les tropismes politiques anciens. À l'inverse au demeurant, d'anciens bastions blancs peuvent changer de côté, pour les mêmes raisons.

Affiche de lutte occitaneInformationsInformations[3]

Le champ culturel n'échappe pas aux mutations. L'effondrement de la transmission de la langue s'accélère après 1950, et les locuteurs natifs, ceux qui ont été élevés en occitan, sont de plus en plus rares, même dans les zones préservées des montagnes, bien dépeuplées de toute façon il est vrai. On pourrait en conclure que les jours de la langue sont comptés. Sauf que ce n'est pas si simple. Le mouvement de défense de la langue a survécu à la Libération, on l'a dit. Il repart dans l'après-guerre - mais le Félibrige n'est plus seul à l'incarner, concurrencé qu'il est par un Institut d'Études occitanes né en 1945. Pendant des années, ce mouvement demeure confidentiel - quelques centaines de militants, et toujours la prééminence des écrivains. Jusqu'à ce que les années soixante et soixante-dix lui ouvrent un espace dont ses promoteurs n'auraient jamais osé rêver dix ans auparavant. Un nouvel occitanisme, nourri de l'héritage de ses prédécesseurs, mais touchant un public incomparablement plus large, naît alors, particulièrement dans le sillage de Mai 68.

Ce qui nourrit cet intérêt nouveau pour la cause occitane, c'est la prise de conscience dans la société de deux phénomènes en apparence distincts, mais confondus dans la découverte qui en est faite : la crise qui touche l'économie des régions occitanes, et la menace de mort qui pèse désormais sur la langue. Ce dont Mistral et ses premiers successeurs avaient rêvé, la jonction entre les défenseurs de la langue et ceux du pays, semble alors possible lorsque l'occitanisme noue des contacts avec les mouvements sociaux - les vignerons, les mineurs, le Larzac, tandis que de nouveaux vecteurs culturels - la chanson, le théâtre - donnent à la production en occitan un écho public inconnu jusque-là. Par un paradoxe qui n'est qu'apparent, c'est justement le recul de la langue, et le fait qu'elle n'est plus un obstacle pour la promotion sociale, qui la libère de la vieille malédiction, et la transforme en enjeu de désir, en objectif de reconquête identitaire, d'autant plus légitime qu'elle prouve ses capacités à exprimer les frustrations d'une société.

Manifestations du LarzacInformationsInformations[4]

Le statut de la langue et de la culture d'oc évolue donc : une loi assez timide lui entrouvre les portes de l'école en 1951 (loi Deixonne). Au fil des décennies, son enseignement progresse, et se professionnalise, même s'il ne touche toujours qu'une minorité d'élèves. Les médias s'entrouvrent à leur tour après 1981, quoique chichement. Et les lois de décentralisation de 1982 donnent aux collectivités locales des compétences élargies, dont peut bénéficier, dans certaines régions du moins, le soutien à la culture d'oc.

Certes, la crise de la fin des années soixante-dix rebat les cartes - les régions en crise, ce sont désormais les vieilles régions industrielles du Nord... Et les progrès de l'occitanisme ne suffisent pas à compenser le recul persistant de la langue. Mais l'élan des années conquérantes a du moins laissé des bases pour une évolution future. Peut-être.

  1. source : wikimedia Licence de documentation libre GNU

  2. source : wikimedia Licence : Domaine Public

  3. source : Locirdoc Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage des Conditions Initiales à l'Identique

  4. Avec l'aimable autorisation de l'auteur : Gérard Bonnet. Site web de l'auteur Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification

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