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Bibliothèques monastiques

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Principaux centres culturels de l'Europe médiévale

Claustrum sine armario, castrum sine armamentario « un cloître sans bibliothèque, un camp de soldats sans réserve d'armes » : c'est ainsi que s'exprimait Godefroy de Sainte-Barbe au XIIe siècle dans une formule bien souvent répétée. L'« armoire » évoquée dans cette formule est celle dans laquelle se trouvent les livres, indispensables outils pour célébrer les offices. Les livres copiés et ornés dans le scriptorium sont ensuite rangés dans ce meuble ou dans un coffre. L'armoire peut être placée dans l'église, théoriquement mieux protégée des vols et des sacrilèges. Lorsque les livres augmentent en nombre et se diversifient, ils sont placés à l'endroit où l'on s'en sert le plus souvent : dans le chœur, dans la sacristie, dans l'école où sont instruits les jeunes moines. Certaines listes de livres témoignent d'un véritable embarras lorsque le nombre des volumes s'accroît : dans le monastère de Melsa, les manuscrits sont dispersés dans le chœur, la chapelle, l'infirmerie, devant le grand autel, dans l'armoire commune de l'église, dans les autres armoires qui dépendent du chantre, « dans le casier du haut au-dessus de la porte, dans le cahier opposé, dans la petite armoire ». Intégrés à la vie quotidienne, dispersés suivant leurs fonctions, parfois enchaînés dans le chœur pour servir à tous, les livres ne disposent pas d'un endroit spécifique. Jusqu'au XIIe siècle, la plupart des collections monastiques ne comportent pas un nombre important d'ouvrages. L'armarium désigne plus souvent l'armoire qu'un espace entier dévolu aux livres. Le terme de libraria (de liber) le concurrence à partir du XIIIe siècle. Aux XIVe et XVe siècles, les deux mots sont employés avant que ne réapparaisse au XVIIIe siècle celui de bibliotheca autrefois utilisé par les Romains.

 

Les bibliothèques aux VIe - VIIe siècles

En 536, Cassiodore tente d'organiser une bibliothèque à Rome, mais la guerre byzantine l'en empêche. Il reprend son projet après 550, lorsqu'il s'installe dans son monastère de Vivarium, que Cassiodore fonde après 540 sur son domaine de Squillace, en Calabre, à l'extrême sud de l'Italie : c'est un exemple frappant, à ses débuts, du mécanisme de transmission qui prend forme avec les bibliothèques et les scriptoria monastiques. La conception du monastère s'explique largement par les nécessités du moment, les dévastations de la guerre risquant d'anéantir les centres culturels et même les livres, dont dépendait l'étude, voire l'instruction élémentaire. Cassiodore installe une solide bibliothèque de travail et fait une très large place à l'enseignement ainsi qu'à la copie de manuscrits. Il expose son programme dans les deux livres de ses Institutiones divinarum et saecularium litterarum (vers 562) où il donne comme une sorte de catalogue, une « bibliographie analytique ». Dans la première partie en effet, il est question des auteurs chrétiens de la Bible et des commentateurs, tandis que, dans la seconde, il donne la définition des sept arts libéraux et des livres qui correspondent à chacun d'eux. En véritable visionnaire, il a pressenti le rôle qui allait être dévolu aux monastères au cours des siècles suivants, comme vecteurs de la continuité intellectuelle. Il comprend également qu'il faut traduire les Grecs passés maîtres dans l'exégèse, la philosophie et les sciences, pour pouvoir les transmettre.

Après la mort de son fondateur en 583, le Vivarium possède une très importante bibliothèque, mais, quelques années plus tard, les Lombards envahissent l'Italie : si le monastère est détruit, une partie de la bibliothèque trouve refuge au Latran, la résidence des papes.

Le monastère du Mont-Cassin, au sud de Rome, fondé en 529 par Benoît de Nursie qui jeta pour des siècles les bases de la vie monastique en Occident lorsqu'il édicta la règle bénédictine, était plus limité dans ses ambitions, mais s'est révélé beaucoup plus important par son influence : en dehors d'un laps de temps réservé chaque jour à la lecture, considérée comme un exercice spirituel, elle ne prescrivait pas d'activités intellectuelles spécifiques, comme la copie, au nombre des idéaux monastiques. Mais ce silence laissait la porte ouverte aux éventuelles influences libérales qui allaient se manifester le moment venu ; en outre pour lire, il fallait bien avoir des livres ! Détruit par les Lombards, le monastère sera restauré vers 720 par Petronax. Les papes aident à la reconstruction du monastère et à la restauration de la bibliothèque en envoyant quelques livres parmi lesquels le manuscrit de la Règle rédigée par saint Benoît.

Les monastères qui se développent au VIIe siècle en Occident restent fidèles au programme de culture ascétique édicté par saint Benoît. Lorsque Colomban s'installe, à la fin du VIe siècle, à Luxeuil, puis à Bobbio en Italie du Nord, où il meurt en 614, la culture profane ne fait pas partie du programme de son monastère. Dans la bibliothèque de Bobbio, l'abbé Attale a fait faire d'importants travaux, parmi lesquels la restauration de la reliure des livres. On croit même posséder encore un livre lui ayant appartenu : il s'agit d'un commentaire d'Isaïe, palimpseste qui contenait auparavant un texte arien. Dans la seconde moitié du VIIe siècle, cette bibliothèque s'enrichit : textes bibliques, Actes des conciles, Pères de l'Église, poètes chrétiens et, parmi les auteurs les plus récents, Grégoire le Grand.

À la suite des Irlandais qui avaient transmis leur fibre missionnaire, la riche et vigoureuse culture qui s'épanouit chez les Anglo-Saxons se répand bientôt en Europe continentale. Les Anglo-Saxons sont passés maîtres dans l'art de créer une classe cultivée en partant de presque rien, et Charlemagne s'est montré fort avisé lorsqu'il se tourne vers York, qui était alors le haut lieu de l'éducation en Angleterre, et donc en Europe : en 782, il demande à Alcuin, qui y dirigeait les études, de devenir son conseiller et de prendre en mains l'école du Palais.

 

Les bibliothèques carolingiennes

La renaissance carolingienne (ou renovatio) a été préparée, au milieu du VIIIe siècle, soit dans les monastères des Iles Britanniques, soit dans ceux de Gaule comme Fleury-sur-Loire (aujourd'hui Saint-Benoît), Saint-Martin-de-Tours, Saint-Denis ou Corbie. Dans chacun de ces monastères, des bibliothèques se sont enrichies par l'acquisition de livres venant d'autres pays. Ainsi, lorsque les armées berbéro-arabes ont occupé l'Espagne après 711, beaucoup de manuscrits ont été amenés en Gaule, dont sans doute le fameux Pentateuque de Tours. Les abbés de Corbie ont fait venir des manuscrits italiens et, parmi ceux-ci, quelques-uns qui venaient de Vivarium et avaient été conservés au Latran.

La renaissance carolingienne a été encouragée par Pépin le Bref et par son fils Charlemagne. Ces rois veulent restaurer la culture religieuse et assurer dans toutes les églises une bonne liturgie qui emprunte beaucoup à celle de Rome. Charlemagne veut aussi que les moines et les clercs connaissent correctement le latin, et demande à ce que les manuscrits soient recopiés « car souvent, alors que certains désirent prier Dieu, ils y arrivent mal à cause de l'imperfection et de la faute des livres ». Il sait d'autre part que dans les scriptoria des grands monastères on commence à utiliser une nouvelle écriture mise au point vers 780, peut-être à Corbie, et qui par la suite reçoit, en l'honneur du roi, le nom de « caroline ». Chaque monastère devient ainsi un véritable centre d'édition.

On ne saurait trop insister sur le prodigieux travail des ateliers de scribes carolingiens. Commencé sous le règne de Charlemagne, il se poursuit sans interruption tout au long du IXe siècle : près de huit mille manuscrits nous sont ainsi parvenus, et encore ils ne représentent qu'une infime partie de la production des ateliers. Grâce aux copistes, les œuvres des Pères de l'Église, des grammairiens, des rhéteurs, des poètes, des prosateurs latins vont pouvoir être conservées dans les bibliothèques. La dette que la culture européenne a envers eux est immense : sans eux, la connaissance des lettres latines antiques n'aurait pas été possible.


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