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Bibliothèques princières

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Collections aristocratiques

Les XIVe et XVe siècles voient l'essor des bibliothèques privées dont les bibliothèques princières. Ces collections aristocratiques se constituent progressivement à partir d'héritages, de dons et de commandes. La plupart sont des bibliothèques « sans murs » qui suivent le prince dans ses voyages. Les livres sont alors dispersés dans plusieurs résidences, obligeant les rédacteurs des inventaires à se déplacer. Disposés sur les rayonnages des armoires et des coffres, ils sont à l'abri de la poussière et des rongeurs. Lorsqu'ils sont assez nombreux, ils sont installés dans un local autonome : une tour ou la chapelle d'un hôtel. En 1367-1368 le roi Charles V (1364-1380) fait déménager ses livres du Palais de l'île de la Cité dans la tour de la Fauconnerie du Louvre, à l'angle nord-ouest du château. Trois salles leur sont réservées, avec un mobilier et un éclairage adaptés à la consultation. Pour cette bibliothèque, la première en Occident conçue comme un bien inaliénable et transmissible aux héritiers de la couronne, il existe désormais un « garde de la librairie du roi », Gilles Malet, qui en rédige le catalogue en 1373. Un autre bibliophile, le duc Charles d'Orléans, se préoccupe de ses livres durant sa captivité en Angleterre. Un premier inventaire en est établi le 5 mai 1417 par Pierre Redoul, secrétaire du duc en présence de son procureur Oudart de Fouilloy et de Michel Blondel, orfèvre. Les livres sont installés au troisième étage de la tour de la Trésorerie du château de Blois, à savoir dans la chambre personnelle du duc. Ils sont rangés dans une grande armoire à trois rayonnages superposés, située près du lit ducal entre les deux fenêtres de la pièce. Les clefs du lieu sont confiées au sire de Beaugency, secrétaire du duc d'Orléans. Quatre-vingt-onze livres sont mentionnés, dont une partie quittera ensuite la chambre de Charles d'Orléans pour un local situé à l'étage inférieur de la tour. Un tel lieu de conservation des livres n'est pas seulement celui choisi par des laïcs. Pierre Cardonnel, chanoine de Notre-Dame de Paris († 1438), dépose les 40 volumes de sa bibliothèque dans la tour de son hôtel. Les papes avignonnais installent également leurs livres dans une tour du palais épiscopal. L'inventaire de 1369 établi à la demande d'Urbain V (1362-1370) précise que la grande librairie - soit 930 volumes - est installée au dernier étage de la tour du Trésor. L'inventaire de 1407 rédigé à la demande de Benoît XIII (1394-† 1423) situe la bibliothèque de 1585 volumes dans le même lieu, partagé cette fois avec la petite Trésorerie des pontifes.


 

Bibliothèque papale

L'histoire de la bibliothèque des papes avignonnais illustre également les dispersions diverses subies par des collections qui voyagent avec leur possesseur, victime des aléas politiques du temps. Les livres de la Grande Librairie que le pape Benoît XIII n'avait pas emportés dans la forteresse de Peñíscola et qui restèrent au dernier étage de la tour du Trésor, soit 648 matériellement décrits dans l'inventaire dressé à l'initiative de Jean XXII en 1411 et 234 non spécifiés sont versés dans d'autres collections : la bibliothèque du collège de Foix à Toulouse, celle du collège du Roure à Avignon ou encore celles des pontifes romains qui succèdent au pape défunt. Quant à la prestigieuse collection d'environ 2000 volumes que Benoit XIII constitue à Peñíscola, elle est vendue après le décès de son fondateur afin de combler ses dettes. Qu'elles soient consécutives à la disparition de leur fondateur ou qu'elles fassent partie d'un butin de guerre, les dispersions guettent tout autant les bibliothèques des princes de l'Église que celle des princes laïcs. La prestigieuse librairie du roi de Hongrie Mathias Corvin, décédé en 1490 sans laisser de descendance, est dispersée à l'instar de celle des pontifes avignonnais. Riche de plus de 2000 volumes, il n'en subsiste aujourd'hui que 216 manuscrits - 53 dans des bibliothèques hongroises, 39 à la bibliothèque nationale d'Autriche, 49 dans des bibliothèques italiennes, le reste étant réparti entre les bibliothèques françaises, allemandes, anglaises et américaines. Enfin, pour évoquer le cas des prises de guerre, le devenir de la bibliothèque royale de Naples fondée par Alphonse Ier le Magnanime, roi d'Aragon (1416-1458) et de Naples (1442-1458), est éloquent. Lors de sa conquête de la ville en 1495, le roi de France Charles VIII (1483-1498) choisit 1140 volumes de cette prestigieuse collection et confie à Nicolas Fagot, son tapissier, la mission de les faire parvenir en France. Louis XII (1498-1515) qui succède à Charles VIII s'empare à son tour d'une bonne partie de la bibliothèque de Pavie. Environ 400 volumes rejoignent ainsi la bibliothèque royale de Blois, parmi lesquels des manuscrits ayant appartenu à Pétrarque et des ouvrages de luxe réalisés pour les membres de la dynastie milanaise. On pourrait encore évoquer bien d'autres collections dispersées : celle des ducs de Bourgogne, principalement de Philippe le Bon (1419-1467) et de son fils Charles le Téméraire (1467-1477). Sur les 1000 manuscrits qui la constituaient en 1477, le tiers seulement appartient aujourd'hui à la Bibliothèque royale Albert Ier de Bruxelles. Les autres vestiges sont conservés dans d'autres institutions, notamment la Bibliothèque nationale de France, la British Library, l'Österreichische Nationalbibliothek de Vienne et plusieurs bibliothèques américaines. Celle des grands seigneurs de l'entourage des ducs - Louis de Gruuthuse entre autres († 1492) - est partiellement vendue par son fils Jean V au roi de France Louis XII. Ainsi les bibliothèques princières connaissent-elles un sort comparable.

 

Bibliothèques royales

Dans un inventaire de 1518 qui énumère les livres de la bibliothèque du roi installée dans le château de Blois, figure une rubrique intitulée « Aultres livres que le Roy porte communément », qui recense dix-sept ouvrages mis dans des coffres qui suivent, en une sorte de bibliothèque portative, les déplacements du souverain. Les raisons qui conduisent François Ier à fonder vers 1520 une nouvelle « librairie royale » à Fontainebleau, puis à demander en 1537 le dépôt obligatoire de toutes les « œuvres dignes d'être vues » dans la bibliothèque de Blois et enfin, en 1544, à réunir à Fontainebleau les deux bibliothèques ne tiennent en rien à ses pratiques personnelles. Les collections ainsi constituées ont une finalité toute « publique » : elles se veulent des conservatoires qui protègent de la disparition tous les livres qui le méritent ; elles sont ouvertes aux savants et aux érudits puisque, comme l'écrit Robert Estienne à propos de la bibliothèque de Fontainebleau, « notre roi [...] la communique librement à quiconque en a besoin ». Cet usage public est d'ailleurs l'un des arguments avancés pour le transfert de la « librairie » dans la capitale.

Pour autant, initialement, cette bibliothèque où François Ier et Henri II ont réuni à grands frais plus de cinq cents manuscrits grecs, est l'une des plus importantes collections de l'époque. Comment expliquer les énormes efforts consentis par les papes, les Médicis et le roi de France pour réunir d'aussi nombreux manuscrits grecs ? Pas plus que ses modèles italiens, la bibliothèque de Fontainebleau ne saurait être une bibliothèque à visée utilitaire, quand on sait que les humanistes ayant des connaissances suffisantes en grec étaient de toute façon peu nombreux et que le roi ignorait, quant à lui, tout de cette langue. En fait, le retour du grec n'est pas un renouveau absolu : au Moyen Âge, le grec n'avait jamais été totalement absent : les traductions latines de traités aristotéliciens, de certains dialogues de Platon suffisent à prouver que l'on pouvait se procurer des livres grecs (en traduction) ; mais l'intérêt pour le grec est alors ponctuel, il est essentiellement doctrinal. Inversement, l'intérêt des humanistes pour le grec est littéraire : il relève de ce qu'on appelle en allemand la Belletristik. Mais pas seulement : l'humanisme découvre le grec aussi pour la théologie et la mystique, comme le montrent les œuvres du Ps.-Denys l'Aréopagite qui ont nourri le néo-platonisme.

La « bibliothèque royale » devient néanmoins une réalité double. Dans sa forme la plus solidement instituée, elle est vouée non à l'agrément du monarque, mais à l'utilité du public et c'est en cela qu'elle sert sa gloire et sa renommée. Elle ne saurait être un lieu de retraite hors du monde et de jouissances secrètes ; ouvertes aux gens de lettres, aux savants, voire aux simples curieux (c'est le cas à partir de 1692), ses collections de manuscrits et d'imprimés peuvent être mobilisées au service du savoir, de l'histoire de la monarchie, de la politique ou de la propagande de l'État. Mais, d'un autre côté, les rois sont aussi des lecteurs, d'où la présence de collections de livres, dispersées çà et là entre leurs diverses résidences.

En France, les bibliothèques du monarque s'enrichissent par des confiscations opérées à la suite d'expéditions militaires victorieuses (ainsi pendant les Guerres d'Italie), par la réunion des bibliothèques des membres de la famille royale, par l'obligation - souvent fort mal respectée - du dépôt d'exemplaires demandé aux libraires et imprimeurs, par l'échange, par la dédicace, par des donations, ou encore par l'acquisition d'ouvrages particuliers achetés à l'étranger (par l'entremise de voyageurs, diplomates et correspondants), voire de bibliothèques entières mises en vente à la mort de leur possesseur.

 

Le devenir de ces bibliothèques

En dépit des efforts déployés par son fondateur, il est rare que sa bibliothèque lui survive. Nées à partir d'une collection personnelle, les bibliothèques des princes ecclésiastiques ou laïcs sont en effet le plus souvent dispersées après le décès de leur fondateur disparu sans descendance, laissant ses successeurs dans des difficultés pécuniaires ou confiant ses collections à un héritier dans l'impossibilité de les protéger. Dispersées, elles constituent cependant le noyau des bibliothèques publiques conçues comme des biens inaliénables.

La librairie pour laquelle Charles V avait déployé tant d'efforts perdure quatre décennies seulement. Certes Charles VI (1380-1422) en hérite et maintient Gilles Malet dans ses fonctions jusqu'au décès de ce dernier en 1411. À cette date 180 volumes manquent toutefois, empruntés par les princes des lys et la reine elle-même. Quelques dons de Christine de Pisan et les 20 volumes saisis au château de Marcoussis après la mort de Jean de Montaigu compensent ces pertes. Mais cette relative stabilité est éphémère. En 1424, 843 manuscrits de la librairie royale sont achetés par le duc de Bedford. Transportés en Angleterre par le régent en 1429, ils sont dispersés à la mort du duc en 1435. Cette « librairie », partiellement reconstituée à partir du règne de Charles VII, échoit à ses successeurs. Il faut cependant attendre François Ier, qui institue le dépôt légal en 1537, pour que renaisse le projet d'une grande bibliothèque consacrée à l'étude.

De même, à Florence, la Biblioteca medicea laurentiana trouve son origine dans la collection privée des Médicis avant d'être ouverte au public en 1571. S'il faut attendre le XVIe siècle et surtout le XVIIIe siècle pour que se multiplient les bibliothèques publiques en Europe, les librairies princières avec d'autres collections prestigieuses nées au Moyen Âge en constituent souvent l'embryon.

 


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