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Les bibliothèques privées

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En Grèce, un témoignage indiscutable de ce que pouvait contenir une bibliothèque athénienne à la fin du Ve siècle nous est livré par Xénophon, dans les Mémorables, où Socrate interroge Euthydème :

« - Dis-moi, Euthydème, en quoi veux-tu te distinguer pour rassembler ces livres (ta; gravmmata) ?

Devant le silence d'Euthydème, qui réfléchissait à la réponse : « Est-ce la médecine ? », reprit Socrate ; « car, il y a beaucoup de traités médicaux. »

- Non, pas du tout, répondit Euthydème.

- Est-ce alors que tu veux être architecte ? C'est aussi une activité qui demande un homme savant.

- Absolument pas.

- Est-ce alors que tu veux devenir un bon géomètre, comme Théodore ?

- Pas géomètre non plus.

- Est-ce alors astrologue que tu veux être ?

Comme il repoussait cela aussi : « Est-ce rhapsode ? On dit que tu possèdes toute l'œuvre d'Homère... » (IV 2, 10).

(Autobiographie 148-150).

Ce texte montre bien comment le développement des technai allait de pair avec la production de traités techniques. Certains titres nous sont connus : Sophocle avait écrit un Sur le chœur, Agatharchos, était l'auteur d'un Sur la peinture scénographique, Méton d'un Sur le calendrier ; un Sur la symétrie du corps humain était dû à Polyclète, tandis que le célèbre Hippodamos de Milet avait traité de l'urbanisme. Plus largement, le mouvement sophistique avait encouragé ce développement de l'écrit, comme en témoigne la réflexion de Platon dans le Phèdre, qu'il faut replacer dans le grand mouvement de développement de la prose aux Ve et IVe siècles qui amena le fondateur de l'Académie à estimer que les relations entre l'écrit et l'oral et la valeur de chacun méritaient d'être précisées.

On ajoutera, à titre de curiosité, un extrait d'une comédie d'Alexis, Linos, où le poète mythique essaie péniblement de faire l'instruction d'Héraclès, car sa « bibliothèque imaginaire » constitue aussi un témoignage sur les bibliothèques privées au IVe siècle :

« Linos : Approche et prends le livre que tu veux ; puis, en regardant soigneusement les titres, tu pourras lire tranquillement et à loisir. Il y a là Orphée, Hésiode, des tragédies, Choirilos, Homère, Épicharme, des ouvrages de toutes sortes. Tu me montreras ainsi vers quoi se porte ton naturel.

Héraclès : Je prends celui-ci.

L. Montre-moi tout d'abord ce que c'est.

H. Le titre dit « L'art de préparer les plats ».

L. Tu ne manques pas de discernement, c'est clair, puisque tu laisses tant d'œuvres pour prendre le manuel de Simos.

H. Simos, qui c'est ?

L. Un homme plein de talent. Maintenant il s'est lancé dans la tragédie, et de tous les acteurs, c'est de beaucoup le meilleur cuisinier, d'après ceux qui s'en servent, de même que de tous les cuisiniers, c'est le pire des acteurs, au jugement des spectateurs ».

(Autobiographie 148-150).

À côté des bibliothèques privées, possessions d'un particulier, deux autres types de bibliothèques méritent d'être évoqués : les bibliothèques des scholarques, qui apparaissent avec la fondation des écoles philosophiques, c'est-à-dire à partir du IVe siècle, avec Platon et Aristote, et les bibliothèques des tyrans, qui remontent plus avant, à l'époque archaïque, mais dont la tradition ultérieure a voulu faire les premières bibliothèques publiques. Ainsi Aulu-Gelle attribue à Pisistrate, celui qui fit mettre par écrit les poèmes homériques, la première bibliothèque publique, mais les historiens jugent cette tradition douteuse. S'il est probable que les grands « mécènes » que furent les tyrans Polycrate, Périandre, Pisistrate, ou Hiéron conservaient des copies des œuvres qu'ils avaient suscitées, il devait s'agir plutôt d'archives personnelles, dont on pourrait rapprocher les archives des sanctuaires ; dans le même esprit, c'est probablement au Métrôon d'Athènes que Lycurgue, au IVe siècle, fit déposer les textes des trois auteurs tragiques, Eschyle, Sophocle et Euripide. Dans tout cela il n'y a rien qui évoque une mise à disposition des textes pour des lecteurs.

Le cas de la bibliothèque d'école, indiscutablement privée et propriété du scholarque qui la lègue à son successeur, présente encore un autre intérêt : servant au travail des membres de l'école, elle a fourni un modèle aux grandes bibliothèques hellénistiques et l'on a pu dire de la bibliothèque d'Alexandrie qu'elle associait l'encyclopédisme aristotélicien et l'évergétisme des Ptolémée.

Le sort des bibliothèques privées a parfois dépendu d'aléas politiques : c'est ainsi que la bibliothèque de Longin a été confisquée par l'empereur Aurélien lors de la chute de Zénobie de Palmyre dont le philosophe était le conseiller, et aurait été par la suite confiée à Eusèbe de Césarée par l'empereur Constantin.


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