L'occitan, une histoire

Les Romains, les Goths, les Francs et les autres

C'est peu de dire que l'histoire des Ve et VIe siècles est agitée. L'Empire romain est entré en agonie. Au terme du partage définitif qui l'affecte en 395, la Gaule et, donc, l'Aquitaine, font partie de l'Empire d'Occident. Mais cet empire est fragile. Miné par une grave crise économique et sociale, soumis régulièrement à des usurpations qui débouchent parfois sur la création plus ou moins éphémère d'entités séparatistes, il est soumis au surplus à des incursions de peuples « barbares » parfois très violentes.

Entre 406 et 409, une coalition de Germains (les Vandales) et d'Alains (de langue iranienne) ravage la Gaule. Attaqué sur son versant nord, l'empire l'est aussi sur son versant oriental. D'autres Germains, les Wisigoths, venus des Balkans, prennent Rome en 410. En 412 ils passent les Alpes et s'installent en Aquitaine. En 418 l'Empire sauve les apparences en confiant à leur chef, Vallia, l'administration de la région située au sud de la Garonne, avec Toulouse comme capitale. C'est l'embryon d'une Aquitaine wisigothique qui, sous l'impulsion de son roi Euric va peu à peu s'étendre dans toutes les directions : vers l'Espagne au sud, vers la Loire au nord, vers le Rhône à l'est. Au début des années 480, c'est carrément la future Provence qui est annexée, même si sa partie septentrionale est tombée entre les mains d'un autre royaume germanique, celui des Burgondes.

À ce stade, le royaume wisigothique, s'étendant du Sud de l'Espagne à la Loire fait figure de très grande puissance, sur les ruines d'un Empire romain d'Occident qui n'a plus de titulaire depuis 476. Mais ce royaume est fragile. Du fait de sa taille, d'abord. Du fait aussi de l'isolement des nouveaux maîtres. Ils ont été convertis au christianisme au IVe siècle, mais ce christianisme, dans sa variante arienne, les distingue d'un Occident massivement catholique, nonobstant les derniers réduits du paganisme antérieur. Ils ont donc contre eux, dans leur royaume, tout l'appareil de l'Église.

Vis-à-vis de la population locale, ils hésitent entre deux politiques. Une politique de stricte séparation impliquant l'interdiction de mariages avec les Gallo-romains, ou l'installation de véritables colonies, encore repérables dans la toponymie entre Toulouse et Narbonne (les noms de lieu en -ens -ings). Mais aussi une politique d'alliance avec les grandes familles aristocratiques locales. Bref, ils restent des Germains tout en aspirant à récupérer l'héritage prestigieux de Rome : c'est à leur roi Alaric que la Gaule du Sud doit en 506 une compilation du droit romain qui va modeler ses usages juridiques jusque vers l'an Mil.

La division de la Gaule en 511
La division de la Gaule en 511InformationsInformations[1]

Mais sur le long terme, ce sont les éléments de fragilité qui vont l'emporter. Au nord de la Loire, une nouvelle puissance a fait son apparition, celle des Francs. Venu de l'actuelle Belgique, ce peuple étend son influence sur le nord de la Gaule dès la fin du Ve siècle. Ses ambitions se heurtent bientôt à l'obstacle wisigothique. En 507 le roi des Francs, Clovis, envahit l'Aquitaine et écrase Alaric du côté de Poitiers.

Accueilli en libérateur par l'Église, car il a eu le bon goût de se convertir au catholicisme, peu menacé par la résistance de l'aristocratie locale, Clovis s'installe assez rapidement sur tout le territoire situé au nord des Pyrénées, rejetant en Espagne ce qui reste du pouvoir wisigothique. Seule une contre-offensive menée par le roi d'Italie, l'Ostrogoth Théodoric, beau-père d'Alaric, empêche Clovis de mettre aussi la main sur le littoral méditerranéen à l'ouest et à l'est du Rhône. La Provincia et ce qui va devenir la Septimanie, entre Narbonne et Nîmes, reviennent alors sous la domination d'un pouvoir qui se revendique héritier de Rome, et servent de pont entre Italie et Espagne. En 524, Théodoric arrache au royaume burgonde la région située entre Durance et Isère.

Mais à sa mort en 526, ses héritiers se partagent son empire : un royaume wisigoth se reconstitue donc à l'ouest du Rhône, laissant l'est à un royaume ostrogothique centré sur Ravenne en Italie. En 531 les Francs attaquent en Septimanie, et sont repoussés de justesse. En 534 ils écrasent le royaume burgonde et ils atteignent la Méditerranée en 537.

Les Francs : le pluriel est de rigueur, car la règle chez les successeurs de Clovis (les Mérovingiens de nos manuels) est le partage du pouvoir entre héritiers, avec la constitution de parts territoriales faites de bouts et de morceaux redistribués à chaque succession, Neustrie, Austrasie, Aquitaine, Burgondie... sauf quand un héritier particulièrement agressif restaure l'unité de l'ensemble en éliminant ses rivaux.

Sur le terrain, le pouvoir franc s'appuie depuis 507 sur l'Église catholique, on l'a vu. Les rapports avec l'aristocratie locale sont plus mitigés : elle se définit comme romaine face à des Francs qui restent des barbares à ses yeux. Elle va parfois jusqu'à la révolte ouverte, brutalement réprimée. Paradoxalement d'ailleurs, ces révoltes, quand elles débouchent sur la création fugace d'entités politiques reprenant le nom de royaume d'Aquitaine (584-585, puis 628-632), font appel pour porter la couronne à des princes mérovingiens (Gondovald, Caribert).

Images de guerriers francsInformationsInformations[2]

C'est au total un climat de violence qui prévaut : violence des révoltes « romaines » et de leur répression. Violence des luttes entre héritiers mérovingiens. Violence enfin des raids de peuples germaniques pas encore stabilisés : les zones situées à l'est du Rhône subissent ainsi coup sur coup entre 569 et 574 les attaques des Lombards et des Saxons. Quant à l'Aquitaine, elle est l'objet à partir de 580 des offensives efficaces des Vascons du sud des Pyrénées, poussés vers le nord par les Wisigoths.

En quelques années, ces nouveaux venus s'installent sur tout le territoire situé au sud de la Garonne. Ce ne sont pas des Germains, pour une fois, mais des Basques. Ceux d'entre eux qui se romanisent modifient suffisamment le latin tardif qu'ils adoptent pour en faire ce qui va devenir le gascon, une variante très particulière de l'ensemble occitan. En attendant, ces Vascons se montrent suffisamment coriaces pour repousser les Francs, sous la direction de « ducs » : Félix, vers 650, puis Loup, vers 670. Son successeur, Eudes, réussit aux débuts du VIIIe siècle à se faire reconnaître par les Francs comme roi d'Aquitaine. Son royaume s'étend de la Loire aux Pyrénées, et de l'Atlantique au Rhône. Seules deux régions lui échappent, au Sud-est. D'une part, cette Septimanie qu'ont conservée les rois wisigoths ; mais leur capitale, Tolède, est suffisamment loin pour que l'aristocratie locale éprouve de temps en temps des velléités d'autonomie. D'autre part, outre Rhône la future Provence, la Provincia, soumise nommément aux Francs, mais en fait autonome sous la direction de ducs issus de l'aristocratie locale, « romaine ».

Car ce qui caractérise la société locale, de l'Aquitaine à la Provence, pendant toute cette période, c'est l'affirmation de son identité romaine. Les descendants de la grande aristocratie sénatoriale se définissent explicitement comme des Romani distincts des Francs et supérieurs à eux. Ils assurent, avec l'Église, une certaine survie à la culture antique, et le latin qui se parle dans leurs domaines subit moins de mutations violentes que celui du nord de la Gaule, où le substrat celtique est suffisamment renforcé par l'influence germanique pour que la langue commence précocement à se séparer de ce qui va devenir vers le IXe siècle au plus tard l'ensemble des langues romanes.

Pour l'instant, l'Aquitaine n'en a pas fini avec les invasions. Un nouveau danger pointe au sud, celui de ces Musulmans qui viennent de conquérir l'Afrique du Nord...

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