L'occitan, une histoire

Les Carolingiens ou les nouveaux Francs

En 711, des troupes musulmanes venues d'Afrique du Nord, Arabes et Berbères mêlés, profitent d'une guerre civile entre prétendants au trône de Tolède pour franchir ce qui s'appellera désormais le détroit de Gibraltar. En quelques années, elles repoussent vers le nord les dernières troupes wisigothiques, acculées aux montagnes du littoral atlantique, et pénètrent dès 720 en Septimanie. À peine stabilisée, la géographie politique du futur espace occitan va donc de nouveau être bouleversée.

Dans un premier temps l'Aquitaine résiste : Eudes écrase les troupes musulmanes devant Toulouse en juin 721. Mais il doit faire face aussi au péril franc, représenté par le vrai maître des royaumes réunifiés de Neustrie et d'Austrasie, le maire du palais Charles Martel. C'est sans doute pour faire face à ce péril qu'Eudes choisit de nouer une alliance avec un chef musulman dissident, le Berbère Munusa ; un mariage entre ce dernier et la fille du roi Eudes, Lampagia, sanctionne l'alliance.

Mais en 729, la rébellion de Munusa est écrasée, et le front musulman s'embrase de nouveau. En 731, Abd al-Rahman lance un raid sur l'Aquitaine, ravage Bordeaux, et bat au passage le roi Eudes, qui se voit contraint de faire appel, contre l'ennemi du Sud, à celui du Nord, Charles : on sait comment en 732, devant Poitiers une fois encore, celui-ci écrase Abd al-Rahman, dont les troupes refluent vers l'Espagne.

Les Aquitains, affaiblis par cette guerre, ne sont plus en état de faire face au vainqueur. Lorsque Eudes meurt en 735, Charles en profite pour attaquer son successeur Hunald, qui est obligé de composer : il perd le titre de roi d'Aquitaine, mais conserve celui de duc tout en devant reconnaître la suprématie de Charles. Celui-ci se tourne alors vers l'est : en 736 il attaque la Provence dont le duc Mauronte riposte en s'alliant avec les Musulmans. En 737 Charles ravage la vallée du Rhône et pénètre dans la Septimanie contrôlée par les Arabes afin de couper les relations entre Provence et Espagne. Avignon, Nîmes, Béziers, Agde, Maguelone sont prises et incendiées, sans que Charles puisse vraiment conquérir la région. Tout au plus peut-il en 739 mettre fin à la résistance provençale.

Le fils de Charles Martel, Pépin, dit le Bref, reprend le flambeau, une fois débarrassé en 751 du dernier Mérovingien, qu'il remplace sur le trône. L'année suivante, il lance une nouvelle offensive sur la Septimanie, autant pour bouter les Musulmans hors de Gaule que pour disposer dès lors d'une base de départ contre l'Aquitaine voisine. Il lui faut quelques années pour parvenir à son but, et prendre Narbonne en 759. Dès l'année suivante, il peut s'attaquer au successeur d'Hunald, Waifre. La guerre, marquée par des ravages sans nombre, va durer jusqu'en 769. C'est le fils de Pépin, Charles, le futur Charlemagne, qui élimine le dernier duc d'Aquitaine, Hunald II, et intègre ses domaines à son propre royaume.

Charlemagne,de Victor SCHNETZ, Musée du Louvre, Paris
Charlemagne, œuvre de Victor Schnetz, Musée du Louvre, ParisInformationsInformations[1]

Est-ce la fin de l'Aquitaine ? Charlemagne l'a cru, un temps, le temps d'entreprendre en 778 une offensive contre les musulmans du Nord de l'Espagne. C'est un échec, renforcé par le massacre de l'arrière-garde franque à Roncevaux par des Vascons, signe que les populations locales ne sont soumises qu'en apparence. Il faut donc composer. En 781, Charlemagne ressuscite le royaume d'Aquitaine.

Certes, c'est pour le confier à son fils Louis, secondé sur le terrain par des comtes francs chargés de surveiller les grandes cités du Sud. Mais à côté de cette armature franque, il faut bien faire une place aux représentants de l'ancienne aristocratie « romaine », au sein de laquelle au fil des générations ont fusionné les descendants des vieilles familles de l'Empire et ceux des conquérants wisigoths, tous ceux, s'entend, qui ont survécu aux diverses guerres de conquête de la période antérieure, renforcés par des réfugiés goths venus d'Espagne auxquels Charlemagne accorde des terres au nord des Pyrénées. Ces diverses strates, « Romains », Goths, Francs, finissent par s'amalgamer. Un signe qui ne trompe pas : alors que jusque-là les élites du Sud avaient conservé une onomastique romaine - latine ou grecque - désormais ce sont les noms germaniques qui s'imposent. Mais certains peuvent suivre le chemin inverse, comme ce Witiza qui après avoir servi Charlemagne se retire en Septimanie pour fonder le monastère d'Aniane : il prend alors le nom de Benoît.

On sait ce qu'il advient de ce Charlemagne dont on vient de voir les débuts prometteurs. Le front aquitain une fois calmé, il se tourne vers l'est et le nord, et entreprend de conquérir une partie de la Germanie, tout en éliminant, en Italie, le royaume des cousins Lombards. En 800 il se sent suffisamment fort pour tenter de ressusciter la dignité impériale, oubliée en Occident depuis la fin du Ve siècle.

À ce moment, on a le sentiment d'assister à la résurrection d'un État central dont on avait perdu la trace au fil des soubresauts liés aux grands mouvements de peuples de la fin de l'Antiquité. Depuis sa capitale d'Aix-la-Chapelle, l'empereur met en place tout un système administratif reposant sur la délégation de pouvoir à des représentants de l'empereur, les comtes, dont le titre est hérité des temps romains. Il s'agit d'hommes de confiance issus de la haute aristocratie franque (même si en Septimanie, on l'a dit, et dans la marche d'Espagne, la future Catalogne, il peut s'agir de Goths). Ils sont chargés de diriger un comté, mais à titre provisoire. Leur rôle est politique, militaire, fiscal et judiciaire. Ils bénéficient, le temps de leur charge, de revenus tirés du fiscus, le domaine impérial. Ils sont secondés sur le terrain par toute une hiérarchie d'agents de l'Empire : vicomtes et vicaires, puis juges et saions - ces derniers chargés d'appliquer le droit romano-wisigothique, et tout en bas, des vassi dominici, petits nobles francs à qui le pouvoir confie une terre. Les uns et les autres sont amovibles à la volonté du souverain, qui les surveille grâce à un corps d'inspecteurs, les missi dominici.

Cette armature administrative encadre une population partagée en strates étanches. Il y a le monde des propriétaires, ceux dont on a déjà parlé, les descendants des vieilles familles, mais aussi ces nobles goths réfugiés d'Espagne, les bénéficiaires du régime de l'aprisio, qui les rend maîtres d'un patrimoine qu'ils pourront transmettre. En dessous, il reste peut-être une frange de paysans libres, mais dès la fin de l'Empire romain, l'essentiel des classes populaires à la campagne était composé de « colons » attachés à la terre qu'ils cultivent pour le compte des grands propriétaires. Tout en bas, des esclaves, dont la christianisation de l'Occident n'a pas modifié fondamentalement le statut.

Saint-Guilhem-le-Désert
Chevet de Saint-Guilhem-le-DésertInformationsInformations[2]

Les villes, quant à elles, ont fondu de façon spectaculaire depuis la fin des temps romains, au fur et à mesure qu'elles perdaient leurs fonctions politiques et économiques. Elles n'occupent plus qu'une partie des enceintes dont elles s'étaient dotées à partir du IIe siècle, et leurs derniers habitants utilisent les pierres des vieux monuments pour bâtir les nouvelles constructions, ou pour refaire des remparts plus adaptés. Le commerce international a fondu, lui aussi, et avec lui ces centres jadis importants qu'étaient Arles ou Marseille, sur une Méditerranée que le péril musulman rend peu sûre de toute façon. Subsistent toutefois des noyaux de populations orientales, Grecs et Syriens, sans oublier des Juifs présents dans la région depuis plusieurs siècles déjà, et dont le statut n'a cessé d'évoluer entre phases de tolérance et phases de persécution brutale.

En tout état de cause, la documentation disponible ne permet pas d'en savoir bien long sur la réalité de la vie de tous ces habitants, qui bénéficient alors à tout le moins d'un moment de tranquillité relative. Mais cela ne va bien entendu pas durer.

  1. source : wikimedia Licence : Domaine Public

  2. source : wikimedia Paternité - Partage des Conditions Initiales à l'Identique

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