L'occitan, une histoire

Nos ancêtres les Romains

Ils sont entrés dans l'histoire de l'isthme de façon peut-être un peu brutale, c'est vrai. Mais cette histoire, ils vont la transformer profondément.

Carte des différentes provinces romaines de Gaule.InformationsInformations[1]

Dans un premier temps, cette Provincia qu'ils viennent d'acquérir, c'est un lieu de retraite pour les vétérans des légions. Mais c'est aussi la base à partir de laquelle Jules César, dès 58 av. J.-C. lance sa grande entreprise, la conquête de la Gaule chevelue, celle qui avait échappé à la conquête un demi-siècle auparavant. De fait, après 52 et la défaite de Vercingétorix, seuls échappent encore pour peu de temps à la domination romaine quelques tribus pyrénéennes, et les Alpes intérieures, peu attractives de toute façon, mais liées à Rome par des traités qui lui assurent un accès tranquille aux cols frontière. Durant la Guerre des Gaules, la Provincia est restée calme, à peine menacée par les Arvernes de la future Auvergne, et, à la fin, par les voisins Cadurques (le Lot actuel). C'est paradoxalement une fois finie la guerre contre la Gaule que César doit sévir contre les Massaliotes qui au cours de la guerre civile des années 40 ont choisi le camp de Pompée, l'ennemi de César. Ils y perdent leur autonomie, jusque-là formellement préservée.

Quelques décennies plus tard et après une autre guerre civile, le vainqueur, Octave, devenu Auguste et princeps de Rome - on dira plus tard empereur - entreprend la réorganisation de son Empire. Une carte de la Gaule se dessine, qui conditionne pour quelques siècles la géographie du futur Midi. La Provincia est préservée, avec son proconsul nommé par le Sénat et établi à Narbonne. Les terres nouvellement conquises et administrées, elles, par l'administration impériale, sont divisées en trois grandes circonscriptions. Au nord, il y a la Celtique, entre Lyon, sa capitale et la péninsule armoricaine. Au nord-est, la Belgique, entre Jura et bouches du Rhin. Et au sud, une grande Aquitaine qui ne correspond plus seulement au domaine des Aquitains proto-basques d'avant, mais s'étend à présent sur un vaste territoire limité au sud par les Pyrénées, au nord par la Loire, et butant l'est sur le rebord du Massif central déjà intégré à la Provincia.

Au IVe siècle apr. J.-C., une nouvelle réorganisation administrative menée par Dioclétien fusionne d'un côté Belgique et Celtique dans un grand diocèse des Gaules, tandis que de l'autre côté, Provincia narbonnaise et Aquitaine sont réunies dans un diocèse de Vienne. Mais la Loire reste comme avant la limite nord du diocèse de Vienne, et à la limite nord de l'ancienne Provincia, Lyon reste en dehors. On retrouvera ces limites par la suite, sans qu'il soit vraiment possible de savoir si elles sont pensées par les Romains en fonction de réalités de terrain justifiant le tracé imposé, ou si au contraire c'est ce partage séculaire qui surdéterminera les césures ultérieures.

En attendant, pendant les quelques siècles où règne la paix romaine (ébranlée toutefois dès le IIIe siècle) l'action des nouveaux maîtres va modifier profondément la physionomie des futurs pays d'oc. D'abord par le développement conjoint d'un réseau urbain et de voies de communication qui structurent cet espace. Bien sûr, les Romains ne bouleversent pas totalement ce qu'ils ont trouvé en arrivant, sauf dans quelques zones de la Provincia où l'installation en masse de colons venus d'Italie renouvelle aussi bien le paysage que le peuplement. Le cadastrage romain dans la vallée du Rhône et en Biterrois a été suffisamment efficace pour que les traces en soient encore perceptibles aujourd'hui, scandées par les noms de lieux hérités des grandes villae des nouveaux maîtres du sol : d'où ces poches de toponymes en -an (du latin -ANUM), de basse Provence à la basse vallée de la Garonne et au piémont pyrénéen, ou ces -argues (du latin -ANICUM) du Gard et du Cantal actuels, sans oublier ces -ac celtiques accolés au nom latinisé d'un propriétaire indigène.

Mais pour l'essentiel, le pouvoir romain s'appuie sur les cités antérieures, qui reprennent parfois le nom des peuples dont elles étaient la capitale (Périgueux pour les Petrocorii, Rodez pour les Rutènes, Auch pour les Ausci...). Ce sont les limites des territoires de ces cités qui serviront à la fin de l'Empire de frontières pour les diocèses de l'Église. Toutes ces capitales régionales ont à cœur de se doter des monuments indispensables au fonctionnement du pouvoir politique et administratif (basiliques et forums), ou à l' équipement et au confort des habitants (amphithéâtres, cirques et thermes). Si beaucoup de ces monuments serviront aux siècles suivants de carrière pour les nouveaux bâtiments médiévaux, quelques-uns ont survécu jusqu'à aujourd'hui dans certaines villes, tout particulièrement dans l'ancienne Provincia, d'Orange ou Arles à Nîmes.

Maison carrée de NîmesInformationsInformations[2]

Ces habitants, là où les colons ne les ont pas submergés, ce sont bien entendu les descendants de ceux qui étaient là avant. Mais ils sont progressivement intégrés à la société romaine : l'aristocratie est la première à s'engager sur cette voie, et à accéder à la dignité sénatoriale. Au début du IIIe siècle, l'attribution de la citoyenneté romaine à tous les hommes libres amplifie encore ce mouvement de romanisation ; certains monuments funéraires permettent de voir en temps réel comment s'opère cette intégration, quand ils associent au nom latin du défunt le nom, encore celtique, de son père...

Tête de DioclétienInformationsInformations[3]

Car bien sûr, la présence romaine a son effet sur l'usage linguistique. Le gaulois survit quelque temps à la conquête : c'est sur le Larzac que l'on a trouvé certains des témoignages les plus substantiels (quoique difficilement compréhensibles) de la langue gauloise, datables du premier siècle apr. J.-C. Il est possible que le gaulois ait pu survivre dans les zones de montagne (Massif Central, Alpes) jusqu'au Ve siècle. Quant au basque, il survit, non seulement dans le domaine qui est encore le sien aujourd'hui, mais aussi semble-t-il dans les Pyrénées centrales jusque vers l'An Mil. Globalement toutefois, c'est le latin qui triomphe, quitte à intégrer des mots hérités de la langue des indigènes (la talvèra, ce rebord non labouré du champ devenu un concept occitaniste est un bon exemple de ces survivances gauloises dans l'occitan d'aujourd'hui). Ce latin, bien sûr, évolue, et suivant des voies qui le différencient à la fois de celui des péninsules, romanisées plus tôt, et de la Gaule du Nord, qui elle l'est plus tard et de façon bien plus progressive. Ainsi se prépare silencieusement (et masqué par un écrit qui se conforme autant qu'il peut à l'usage classique) ce qui va peu à peu donner naissance à une langue nouvelle, l'occitan.

À partir du second siècle, un nouveau phénomène appelé à marquer le pays pour deux millénaires fait son apparition : le christianisme, introduit d'abord dans la basse vallée du Rhône avant de conquérir progressivement les zones voisines. D'abord minoritaire et persécuté, il finit au IVe siècle par bénéficier de la protection de l'Empire, et devenir une des puissances idéologiques et sociales qui vont accompagner le pays dans les catastrophes qui l'attendent.

Tombes paléo-chrétiennesInformationsInformations[4]

Car l'Empire romain est fragile. Affaibli au cours du IIIe siècle par ses dissensions internes - il y a un temps un Empire gaulois séparé du reste - soumis à la même époque à une grave crise économique et sociale qui affaiblit les grandes cités, l'Empire est finalement confronté à la poussée de populations venues de l'est. Parfois violentes, parfois plus tranquilles, ces populations germaniques vont finir par l'emporter et modifier de nouveau la physionomie des futures régions occitanes.

Même si certaines choses sont appelées à survivre largement à une chute de l'Empire romain que l'on a souvent vue plus brutale et dramatique qu'elle ne l'a vraiment été.

  1. source : wikimedia Licence : Domaine Public

  2. source : wikimedia Licence : Domaine Public

  3. Musée archéologique d'Istanbul, source : wikimedia Licence : Domaine Public

  4. Auteure : Marie-Jeanne Verny Licence : Domaine Public

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