L'occitan, une histoire

Entre Alpes, Pyrénées et Massif Central, un isthme

Un isthme ? Un regard sur la carte suffit pour voir que la région dont on parle est la voie terrestre la plus courte ente le bassin méditerranéen et l'Atlantique. Les hommes n'ont pas attendu d'avoir des cartes pour comprendre l'avantage que présentait cette situation : par le seuil du Lauragais, on débouche sur le bassin de la Garonne et l'océan. Cette route a été utilisée assez tôt, et c'est un des premiers axes qui structurent ce qui sera l'espace occitan. On le retrouvera souvent désormais.

Cet axe est-ouest se branche, aux bords de la Méditerranée, sur un second grand axe, celui qui mène, toujours par voie de terre le long du littoral, de l'Italie à la péninsule ibérique : c'est la route d'Héraclès des Grecs, ce sera la Via Domitia des Romains. Elle traverse le Rhône en basse Provence, et croise alors le troisième grand axe structurant, celui qui monte vers le nord.

Ce sont ces axes qu'empruntent les premiers itinéraires commerciaux (les routes de l'étain, dès le temps des métaux, celle qui rejoint l'Atlantique via la Garonne et celle qui remonte le long du Rhône). Ce sont aussi ces axes qu'empruntent les courants de population et les conquérants en mal de conquête, tous ceux qui ont compris l'intérêt fondamental de ce carrefour.

Entre Alpes, Pyrénées et Massif Central...InformationsInformations[1]

On se situe là à un niveau d'échanges de grande ampleur, sur de très longues distances, et à l'échelle de l'Europe. Mais à un niveau plus modeste, d'autres itinéraires constituent la charpente d'un espace humain particulier. On a parlé des grandes routes, celles qui suivent les fonds de vallée et les basses terres. Mais il y a aussi les hautes terres. Le pays d'oc est un pays de montagnes, et les basses terres elles-mêmes sont faites des alluvions arrachées à ces montagnes, ce qui n'en fait d'ailleurs pas forcément des terres riches, bien au contraire. Ces montagnes ne sont pas séparées du plat pays. On peut même dire que leurs populations ne peuvent survivre, dès les origines, qu'au prix d'échanges réguliers avec les plaines.

Il y a les routes de la transhumance, précocement empruntées par les troupeaux ovins ou bovins qui durant l'été vont chercher dans les pâturages d'altitude le remède à la sécheresse d'en bas. Les routes qu'ils suivent, les draias, sont identifiables dans la documentation écrite assez tard, mais elles préexistent bien sûr à cette documentation.

Draia de transhumanceInformationsInformations[2]

Il y a la migration des bêtes, il y a aussi celle des hommes. Les hautes terres sont le réservoir dans lequel, à chaque époque, les basses terres puisent le renouvellement de leur population. Elles peuvent être aussi à l'inverse un refuge, quand la situation est trop dangereuse, en bas. Et jusque très tard des courants de migration saisonnière amèneront dans les plaines des travailleurs venus des montagnes, et qui y retourneront en fin de saison pour travailler leurs propres terres : encore au XIXe siècle, les Limousins descendent sur Bordeaux et la basse Garonne, où ils retrouvent les Pyrénéens, qui peuvent, eux, retrouver les Quercynois et les Rouergats vers Toulouse. L'est du Massif Central descend sur le Bas-Languedoc, et la Basse Provence reçoit aussi bien des Ardéchois que des Alpins, y compris ceux du versant oriental, celui qui débouche sur la plaine du Pô.

Ces migrants ont tous leur activité de prédilection, en fonction de leur zone d'origine - maçons du Limousin, travailleurs du bois d'Auvergne, vendangeurs et moissonneurs de la moyenne montagne, colporteurs des vallées les plus hautes, ceux qui partent à la fin de l'automne et ne rentrent qu'au printemps.

C'est cette circulation des hommes qui constitue le véritable soubassement de ce qui deviendra le pays d'oc. C'est cet échange constant et régulier qui met en contact des populations séparées par des centaines de kilomètres, mais qui peuvent communiquer à travers une langue commune. Sans ces courants migratoires, le latin introduit en Gaule du Sud aurait donné naissance à des variétés romanes bien plus diversifiées, chaque région fonctionnant en quelque sorte en circuit fermé, maintenant un minimum de contacts avec les régions voisines.

Fort bien. Mais le milieu naturel induit d'autres conséquences, plus négatives : les terres dont on parle, plaines caillouteuses ou montagnes plus ou moins hospitalières n'ont rien d'un Eldorado, et la douceur, d'ailleurs relative, du climat n'y change rien. Les terres pauvres l'emportent nettement sur les zones propices à une agriculture productive. De ce point de vue, cette  « France du Sud » est plus proche de ses voisines encore plus méridionales, dans les péninsules, que de sa correspondante du Nord. Nous retrouverons tout au long de notre histoire à la fois ce handicap naturel, et cette parenté étroite avec le Sud de l'Europe.

Voilà le décor planté. On attend à présent les acteurs.

  1. source : wikimedia Licence : Domaine Public

  2. source : wikimedia  Paternité - Partage des Conditions Initiales à l'Identique

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