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Du 5 au 12 juillet 2017, l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 (CEMM), le Centre de Conservation et de Restauration du Patrimoine du Conseil départemental des Pyrénées-Orientales, la Conservation Régionale des Monuments Historiques Occitanie, le Centre Interdisciplinaire de Conservation et de Restauration du Patrimoine (Marseille), Jana Sanyova de l'Institut Royal du Patrimoine Artistique de Belgique et l'Université d'Anvers analyseront l’oeuvre exceptionnelle du devant d’autel de Saint-Martin-du-Canigou grâce à une technologie innovante développée par l'équipe du professeur Koen Janssens (Université d’Anvers) : la macrospectrométrie de fluorescence X (MA-XRF).
Certaines oeuvres peintes peuvent présenter des caractéristiques exceptionnelles. Celles observables sur le devant d'autel d'Oreilla, provenant de la célèbre abbaye de Saint-Martin-du-Canigou (Pyrénées-Orientales), le sont. Cette peinture médiévale réalisée sur panneau de bois, datée des années 1200, offre des qualités matérielles singulières (incrustations et imitations de pierres précieuses, éléments en reliefs, dorures etc.).
Cet objet, classé Monument Historique au titre Objet le 18 février 1953 faisait partie du mobilier liturgique de l'église de Saint- Martin du Canigou, dispersé lors de l'abandon du monastère par les moines en 1784 et hérité par l'église paroissiale de Sainte-Marie d'Oreilla, où il est toujours conservé. Les descriptions iconographiques le concernant ont peu varié depuis quelques décennies. Le thème central du devant d'autel est un thème classique de la peinture sur bois catalane des années 1200 : un Christ en majesté trône dans une mandorle cantonnée des quatre évangélistes écrivant, accompagnés de leur symbole.
Sur deux registres, les quatre compartiments latéraux sont réservés aux apôtres groupés par trois, assis sur des bancs. Ils ont tous des visages stéréotypés : grand yeux en amandes soulignés de noir, arc tombant de la bouche, nez busqué accompagné de tracés blancs …. Le cadre du tableau est décoré par un rinceau floral, peuplé d'oiseau et de «bourgeons terminaux grenus ». On retrouve le même genre de rinceaux, en spirales de tailles diverses, sur les fonds derrière les apôtres. La mandorle entourant le Christ Pantocrator, est également décorée de rinceaux et ponctuée de clous d'or intégrés à celui-ci. Le fond est sculpté en pointes de diamant inversées (en creux). Les orfrois de la tunique du Christ sont réduits à de délicates spirales entourées de cabochons, aujourd'hui vidés de leur pierres. Tout comme les apôtres, il est entouré d'un nimbe pourpre. Tous sont vêtus d'une longue tunique dégageant à peine les mains sur laquelle ils portent un manteau, posé sur les épaules ou porté à la façon d'une toge.
Le caractère exceptionnel de cette oeuvre a donné lieu à une historiographie abondante, mais c'est seulement en 2014, qu'a eu lieu une observation macroscopique approfondie du devant d'autel, (examen visuel et sous binoculaire, radiographies). Cette étude a donné lieu à un article dans le cadre d'un ouvrage publié aux Presses Universitaires de la Méditerranée (Bosc, Marion, Leturque, Anne,
« Le devant d'autel d'Oreilla, état de la question », Arts picturaux en territoires catalans (XIIe-XIVe siècles). Approches matérielles, techniques et comparatives (dir. Mallet, Leturque), Presses Universitaires de la Méditerranée, 2015, p. 101-123). Cette première étape concernant la matérialité de cet antependium, a permis de relever de nombreux éléments atypiques et de soulever de nombreuses questions auxquelles nous souhaiterions aujourd'hui apporter des réponses.
Des analyses plus pointues pour une éventuelle dé-restauration/restauration
En vue d’une éventuelle dé-restauration/restauration du devant d’autel – ce panneau a en effet subi une restauration très discutable dans les années 1950, notamment du point de vue esthétique –, il convient désormais de réaliser une documentation scientifique complémentaire grâce à des analyses techniques et physico-chimiques aussi extraordinaires et précieuses que la facture de cette oeuvre : la macrospectrométrie de fluorescence X (MA-FRX)
De nombreux paramètres matériels et techniques doivent être analysés au cours de cette campagne : nature du support et du matériau intermédiaire couvrant tout ou partie de la surface, nature des résidus dans les fonds des incrustations de pierres précieuses aujourd’hui disparues, encollages, préparations, reliefs à la goutte, dorure et argenture, glacis colorés, stratigraphie et composition des couches picturales (pigments, liants).
L’ensemble de ces éléments seront donc étudiés grâce à la macrospectrométrie de fluorescence X. Cette technologie innovante, appelée aussi « imagerie chimique », permet de visualiser la distribution des éléments compris dans les matériaux de la couche de peinture. Ces résultats, combinés avec la couleur et quelques prélèvements supplémentaires, permettent non seulement d’identifier les principaux pigments inorganiques mais aussi les cartographier. La cartographie des pigments permettra de mieux connaître les pratiques d’atelier et de déceler
les éventuelles interventions anciennes, cachées par les couches de surface. Les analyses des prélèvements par les chromatographies liquide et gazeuse, apporteront le complément d’informations sur les liants et les colorants organiques employés par les artistes de la période romane.
Cette documentation devrait permettre de poursuivre les investigations dans le cadre de la recherche fondamentale : meilleure connaissance des panneaux de bois peints des années 1200 en France et en Catalogne, et études comparatives. Le devant d'autel de Saint-Martin du Canigou semble, en effet, avoir inspiré toute une série d’oeuvres. La datation de 1200 correspond aussi à un moment spécifique mettant en lumière des évolutions techniques dans la mise en oeuvre de la peinture sur bois.