Les résultats de l’appel à projet AMI-SHS sont tombés la semaine dernière ; sur les 38 dossiers recevables 17 ont été retenus par un comité « ad hoc » pour passer une audition devant un jury scientifique international. Il y a bien sûr les déçus et ceux qui espèrent encore réussir. Mais au-delà de ce qui semble un simple appel à projet de plus, de nombreuses questions sont posées devant ce premier résultat.
D’abord il faut bien reconnaître que cet appel à projet spécifiquement SHS n’est pas né dans les meilleures conditions : attendu plus de 18 mois et sans cesse remis, le PIA de 200 millions est devenu un Ami-SHS de 100 millions, saucissonné selon les thématiques favorites du gouvernement en 9 spécificités tubulaires et agrémenté de consignes contradictoires : faire émerger des « signatures » pour les établissements porteurs tout en créant des réseaux élargis. Sans parler du comité « ad hoc » dont on ignore en quoi il est « ad hoc », mais dont on comprend clairement qu’il est une particularité réservée semble-t-il aux SHS puisque ce n’est pas le jury scientifique international qui décide des dossiers qu’il souhaite lui voir présentés en audition.
Dans le temps très limité qui leur était laissé pour répondre, les communautés scientifiques SHS et les organismes de recherche se sont mis en ordre de marche pour présenter leurs dossiers dans un travail commun et transparent tout à l’honneur des chercheurs.
Les résultats sont cependant surprenants et révèlent des biais d’autant plus inquiétants qu’ils sont niés par le ministère ; ainsi parmi les 8 universités spécifiquement SHS, seules les deux du centre parisien passent le premier tour ; sont donc éliminés les projets portés par Rennes 2, Bordeaux Montaigne, Toulouse Jean-Jaurès, Paul-Valéry Montpellier 3, Lyon 2 Lumière (les 5 universités SHS non parisiennes) et Paris 8, université SHS de la petite couronne.
Déjà envisager de structurer les SHS en France sans les universités SHS laisse un peu perplexe. Mais quand on ajoute le parisianisme marqué (plus de la moitié des projets retenus sont portés par des universités parisiennes) et surtout la corrélation massive entre l’importance de la dotation d’État pour charges de service public et la réussite des universités dans cet appel à projet (10 des 17 projets sont portés par de grandes universités pour la plupart fusionnées et bien dotées dans leur budget récurrent) il devient clair que cet appel à projet va accroître encore les injustices entre les universités, injustices qui semblent déjà si difficiles à combler.
Évidemment les recalés sont toujours accusés d’être mauvais perdants et renvoyés à leur médiocrité scientifique ; mais quand le jury « ad hoc » émet des avis prétendument scientifiques comme « trop occitan », « pas assez de chercheurs », « trop de chercheurs » on se demande si tous les participants avaient bien les mêmes règles du jeu.
Quant à l’insulte suprême, elle est pour moi dans la petite phrase (entendue d’ailleurs dès le début du concours) et censée être une consolation : le ministère n’est pas sûr d’avoir assez de bons projets ou de projets aboutis pour distribuer 100 millions et il pourrait y avoir « avec les restes non distribués » un second tour. Que le ministère puisse penser qu’il n’arrivera pas à distribuer 100 millions en 8 ans sur 38 projets regroupant chacun un minimum de 4 ou 5 universités ainsi que des organismes de recherche, c’est-à-dire la grande majorité de la communauté scientifique SHS de France (cela ferait environ 100 000 euros par an par université lauréate de chaque réseau) montre en quelle estime il tient nos disciplines et nos chercheurs SHS.
Je souhaite que le jury international qui va prendre la suite de ce qui est d’ores et déjà un beau ratage ait plus de bon sens et surtout d’estime pour ceux qui vont lui présenter leurs projets et qu’il distribue bien la totalité de l’enveloppe, déjà amputée de moitié, de cet appel SHS. Bon courage et bonne chance aux sélectionnés du premier tour pour leurs auditions.
Par contre, si cette situation une fois de plus répétée du « il pleut où c’est mouillé » pouvait enfin entraîner une prise de conscience nationale des inégalités accrues dont souffrent nos universités et nos étudiants, si pouvait enfin émerger la réelle volonté d’un rééquilibrage du budget récurrent des universités pour que certaines d’entre elles ne souffrent plus d’une ségrégation insupportable, nous les éliminés du premier tour nous n’aurions pas travaillé pour rien à cet appel à projet.