Patrick Gilli, Président de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, a co-signé avec sept autres président.e.s d’universités de LLA-SHS, un courrier adressé, le 16 septembre, au ministère de l’enseignement supérieur.
Chères et chers collègues
Je vous prie de trouver ci-joint le courrier co-rédigé et co-signé par les président.e.s des universités de LLA-SHS (Nanterre, Paris 8, Sorbonne Nouvelle, Rennes 2, Bordeaux Montaigne, Lyon 2 Lumière, Toulouse 2 Jean-Jaurès et Paul-Valéry) envoyé ce jour à la DGESIP. Il alerte, une nouvelle fois, notre ministère sur les difficultés que pose la LPPR, tout particulièrement (mais non exclusivement) pour les universités comme la nôtre, de LLA-SHS.
C'est un courrier qui fait des propositions pour amender, pendant qu'il est encore temps, le projet de loi et apporter les réponses aux inquiétudes de nos communautés. Il témoigne des efforts conjoints et coordonnés que nos établissements (dans bien des cas, il s'agit des dernières universités métropolitaines non fusionnées) mènent ensemble pour faire reconnaître la place et l'importance de nos disciplines que le projet de loi en cours d'examen risque d'affaiblir ou de marginaliser..
Toutes les présidences des universités semblables à la nôtre ont participé à l'écriture de ce texte qui servira de base à la rencontre que l'on va avoir avec notre ministère sur ce sujet.
Dans ce combat pour la coopération plutôt que la concurrence, l'équité territoriale et la reconnaissance de nos savoirs, l'université Paul-Valéry n'est pas isolée ; elle est au contraire au coeur des réseaux d'universités qui agissent collectivement et concrètement et portent la voix de nos exigences communes.
J'ai également fait parvenir ce courrier à tous les députés de l'Hérault pour attirer leur attention sur l'importance de leur soutien à nos établissements et à nos disciplines et la nécessité d'intervenir clairement dans les discussions parlementaires.
Avec mes sentiments très dévoués
Patrick Gilli
Président de l'Université Paul-Valéry Montpellier 3
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Projet de loi LPPR : Propositions pour soutenir la recherche en SHS
Nos établissements sont des universités dites de SHS, regroupant en réalité des domaines disciplinaires très variés : sciences humaines et sociales, certes, mais aussi arts, lettres et langues, droit, économie et gestion, information et communication, psychologie et sciences cognitives ou encore informatique appliquée aux SHS. Les observations et propositions formulées ici concernent spécifiquement cet ensemble de disciplines (désigné plus loin ALL-SHS-DEG) et ne reviennent pas sur les aspects plus généraux de la Loi de Programmation de la Recherche, par ailleurs en discussion, indépendamment des domaines disciplinaires.
Dans son état actuel, ce projet s’inspire essentiellement d’un modèle peu compatible avec la nature même des recherches développées dans nos établissements, eux-mêmes déjà caractérisés par un niveau de financement par étudiant.e plus faible que la moyenne (données MESRI) et par un niveau d’emploi scientifique modeste et inégalement distribué. De fait, la promotion d’un modèle animé par un principe concurrentiel ne peut que mettre en difficulté des établissements déjà insuffisamment dotés (cela ne concerne pas les seules universités dites de SHS). Ce modèle concurrentiel n’est pas non plus adapté à celui, coopératif, qui anime nos logiques scientifiques au niveau national comme international.
Le financement des activités de recherche
L’augmentation importante du préciput sur les contrats ANR est une mesure qui permettra de mieux tenir compte du rôle décisif de l’environnement de travail des chercheur.es dans la réussite de leur réponse aux appels à projets et de financer le soutien que les établissements peuvent apporter aux équipes. Toutefois, il apparaît que les appels à projets sont peu ouverts et peu adaptés à un certain nombre de disciplines, notamment en arts, lettres et langues. Par ailleurs, en dépit de l’augmentation des réponses aux appels à projets dans nos établissements, le taux de réussite est très faible par rapport aux autres domaines disciplinaires. Ainsi, indépendamment des financements pérennes, les financements sur projets ne permettent pas à nos disciplines un financement stable sur le long terme. C’est de ce temps long, que ne garantissent pas les financements sur contrats, dont ont besoin nos enseignant.e.s-chercheur.e.s pour développer leurs recherches. Les résultats souvent décourageants aux appels à projets de l’ANR contribuent à démotiver les chercheur.es et enseignant.e.s-chercheur.e.s qui répondent de moins en moins à ces appels (moins de 8% des dépôts de projets émanent des SHS pour un financement à hauteur de 5% du budget total de l’ANR). C’est également de postes pérennes d’appui à la recherche dont manque cruellement la recherche en ALL-SHS-DEG (ce que soulignent massivement les rapports d’évaluation du HCERES).
Nous demandons en conséquence :
- Un rééquilibrage des financements prévus par la LPR au profit d’un renforcement du financement récurrent de la recherche par un accroissement de la subvention pour charge de service public des universités afin de leur donner les moyens humains et financiers de soutenir l’ambition scientifique qu’entend porter la LPR ;
- Une évolution du format et des critères des appels à projets pour mieux tenir compte des caractéristiques des disciplines relevant des SHS au sens large. Cela passe en particulier par des financements plus nombreux pour des montants par projet moins élevés. Cela passe également par une révision des critères de co-financement (notamment par des partenaires économiques ou industriels) que certaines disciplines ne peuvent pas obtenir.
Le financement du doctorat
L’exposé des motifs de la LPR pointe une diminution inquiétante du nombre de doctorant.es. C’est là aussi l’une de nos préoccupations fortes. Il est indispensable, pour soutenir le dynamisme de la jeune recherche dans nos disciplines, d’améliorer les conditions de réalisation de la thèse. Or, actuellement et en dépit d’un effort des établissements, souligné par le HCERES, pour diversifier les sources de financement, 38,7% des thèses en SHS seulement sont financées (contre 96% dans les disciplines relevant des sciences dures et une moyenne de 69,8% sur l’ensemble des domaines disciplinaires). Par ailleurs, la durée des thèses, en raison des spécificités de la recherche dans ces domaines, est sensiblement plus longue que dans d’autres disciplines. Des efforts conséquents ont été faits, avec succès, pour améliorer l’encadrement et le suivi des doctrant.es et pour limiter la durée des thèses. Toutefois, cette dernière ne peut, dans bon nombre de nos disciplines, être ramenée à trois ans. L’absence de financement aggrave le problème dans la mesure où les doctorant.es non financés doivent impérativement avoir une activité rémunératrice, en parallèle de leur thèse et la plupart du temps sans rapport aucun avec leur objet d’étude, pour subvenir à leurs besoins. De nombreux doctorant.es sans financement sont donc amené.es à réaliser leur travail, qui contribue pourtant à la vitalité de la recherche, dans des conditions parfois très précaires. Dans ces circonstances, les abandons sont malheureusement trop nombreux.
Nous demandons en conséquence :
- Une augmentation substantielle du nombre de contrats doctoraux dans les domaines des ALLSHS-DEG permettant de combler l’écart avec les autres domaines disciplinaires afin de permettre aux jeunes chercheur.es de réaliser leur thèse dans des conditions décentes ;
- Un financement des années complémentaires mentionnées dans la LPR tenant compte de la durée des thèses dans nos disciplines ;
- L’augmentation du nombre de thèses financées par des conventions CIFRE dans le domaine des ALL-SHS-DEG.
Le financement des recherches collaboratives et des démarches d’innovation sociale
L’exposé des motifs de la LPR rappelle à juste titre la place de la recherche dans notre société. Nos établissements sont attachés au développement d’une recherche ouverte sur la société, des sciences participatives et collaboratives. Nos domaines disciplinaires se saisissent d’enjeux de société majeurs et ont un rôle décisif à jouer dans le développement d’une société de la connaissance. Or, depuis de nombreuses années, ce sont principalement les dimensions technologiques de la recherche partenariale qui ont été encouragées et soutenues. Si peu de nos disciplines opèrent du transfert de technologie, elles sont au cœur de l’intelligence des mutations des sociétés, indispensable au développement des territoires, à la cohésion et au progrès social. Les ALL-SHS-DEG sont également à même de contribuer, avec les acteurs sociaux, à l’émergence des innovations sociales qui feront la société de demain. A l’heure actuelle cependant, les recherches collaboratives et les services à la collectivité, selon une terminologie québécoise, ne trouvent pas leurs financements et sont
insuffisamment prises en compte dans l’évaluation des enseignant.e.s-chercheur.e.s et des unités de recherche.
Nous demandons en conséquence :
- La reconnaissance et la valorisation des démarches de recherche participative (rechercheaction, sciences citoyennes, services aux communautés, partenariat avec le tiers-secteur de la recherche) dans l’évaluation des enseignant.e.s-chercheur.e.s et des unités de recherche, ainsi que dans les dispositifs de financement existants ;
- La création d’un fonds spécifique pour l’innovation sociale, permettant aux universités de développer des travaux de recherche collaboratives sur le temps long, nécessaire à la démarche de co-construction des savoirs, et de former les étudiant.es à ce type de démarche dans la perspective d’une professionnalisation intégrant pleinement des compétences de rechercheaction au service de l’innovation sociale.