Soutenance de thèse

Le Vendredi, 8. octobre 2021 -
14:00 - 19:00
Salle des Actes à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 - Site Saint Charles

Monsieur Yahya DALDOUL

Soutiendra vendredi 8 octobre 2021 à 14 h

Salle des Actes n° 011, Site Saint-Charles 1

une thèse de DOCTORAT

Discipline : Études du monde anglophone

Titre de la thèse : La poétique du traumatisme dans la fiction de Jon McGregor : impact sur la cognition et l'identité personnelle

Composition du jury :

  • M. Jean-Michel GANTEAU, Professeur, Université Paul-Valéry Montpellier 3, directeur de thèse
  • Mme Susana ONEGA, Professeure émérite, Université de Saragosse (Espagne)
  • Mme Christine REYNIER, Professeure, Université Paul-Valéry Montpellier 3
  • M. David WATERMAN, Professeur, Université de la Rochelle

Résumé de la thèse

Les victimes de traumatisme ne peuvent pas assimiler la totalité de leurs expériences traumatisantes au cours de la période suivant leurs accidents traumatiques. À l'exception de quelques cas, la plupart des individus traumatisés ne tendent pas vers la perlaboration, la réaction positive à un événement traumatique. Au lieu de cela, ils affichent essentiellement un penchant pour le déni, la réaction négative à un accident traumatique. Ils manifestent ensuite un rejet flagrant de leurs expériences insupportablement douloureuses. Ceci s’explique du fait qu'un incident traumatisant est essentiellement un événement cathectique, extrêmement chargé en termes d'émotions. En conséquence, il ne peut pas être assimilé d’un seul coup, ce qui conduit au déni qui, cependant vraisemblablement négatif, est profondément positif, indispensable à une assimilation progressive d'un événement traumatique    
Lorsqu’elles sont dans le déni, les victimes de traumatismes ne présentent pas la moindre tendance à l'intégration de leurs expériences traumatisantes dans leurs mémoires narratives. Au contraire, elles les gardent inconsciemment dans leur subconscient, comme s’il s’agissait d’une partie dissociée de soi. Ils manifestent ensuite une propension à la répétition compulsive de ces effroyables expériences. De la même façon, les protagonistes des différents romans de Jon McGregor rejettent leurs atroces expériences du passé. Leur comportement aboutit à une phobie de l'autre, que ce soit leur passé traumatique ou les personnes qui les entourent. Il amène finalement un engourdissement émotionnel, accompagné d’un enfermement cognitif. Cela est dû au fait que, dans le déni, l’instinct de vie, ainsi que sa tendance intrinsèque pour l'ouverture vers tout ce qui est nouveau, congèle, tandis que l’instinct de mort, avec son penchant pour la claustration émotionnelle et cognitive, domine sur l’égo.    
Sous la dominance de la pulsion de mort, les personnages deviennent obsédés par leurs passés traumatiques, réitérant compulsivement leurs scènes traumatiques d'une manière autodestructrice (Goldberg 2). La répétition compulsive de ces expériences effrayantes n’est pas le résultat d'une réaction émotionnelle inadéquate. Ce qui est en fin de compte manquant dans la réaction des personnes traumatisées n’est ni le courage à témoigner d’un événement profondément déshumanisant, ni la profondeur d’une réaction émotionnelle, mais l'incapacité cognitive d'une personne traumatisée à immédiatement assimiler la totalité de son expérience traumatique (Caruth, Exploration 69). En effet, les experts des troubles de stress post-traumatique suggèrent que le traumatisme n’est pas exclusivement une expérience émotionnelle, mais est aussi et surtout un phénomène cognitif. Dans le déni, comme dans la perlaboration, les expériences traumatiques agissent principalement sur la capacité cognitive des personnes traumatisées. Dans le déni, par exemple, une victime de traumatisme manifeste une claustration cognitive. Ceci s’explique par le fait que, dans le déni, l'instinct de mort, comme l'on a déjà noté, domine sur l’égo. Cet instinct, essentiellement destructeur et constrictif, dépossède la personne traumatisée de ses désirs sexuels qui sont par ailleurs indispensables à l'évolution cognitive. Sous l’influence de l’instinct de mort, les personnages des romans de McGregor, affichent des symptômes de claustration cognitive. Ils s’ajustent en effet rarement aux nouvelles expériences et se limitent souvent à leurs préconceptions du monde. Leur comportement cognitif est semblable à celui d’un enfant égocentrique, qui n’ajuste que rarement ses idées préconçues du monde, alors qu’il affiche une forme excessive d'assimilation à travers laquelle il remodèle toute nouvelle expérience afin de la conformer  à ses connaissances antérieurs.    
L’égocentrisme cognitif est sinon une caractéristique globale couvrant la façon dont un enfant conçoit le monde, y compris le temps et l'espace, et l'utilisation de la langue. Affichant des symptômes de cognition égocentrique, les personnages utilisent la plupart du temps leurs corps comme l’unique repère de leurs orientations géographiques, réduisant ainsi l'espace objectif en de simples séquences de gauches, droites, hauts, et bas. Avec une telle conception égocentrique de l'espace, les personnages de ces romans font preuve d'une incapacité flagrante à se projeter en l'autre, celui qui a une perspective différente sur le monde, d'où leur profond sens d’imperméabilité à la détresse des gens qui les entourent. Une telle conception égocentrique de l'espace n’est pas l’unique attitude cognitive de ces protagonistes, qui parfois affichent une prédilection pour une conception objective de l'espace. Ceci est rendu manifeste à travers plusieurs scènes dans les différents romans de Jon McGregor où les personnages offrent occasionnellement une perspective objective du monde centrée sur l’autre: ils produisent par intermittence une perspective décentrée de l'espace, et ce en se concentrant sur les éléments environnementaux plutôt que sur leurs propres corps. Une telle perspective est caractéristique du relativisme cognitif dans lequel un enfant au dernier stade de développement cognitif conçoit l'espace comme un ensemble d'objets relativement permanents dont il fait partie (Furth, Knowledge 21). Elle est également typique de la perlaboration à travers laquelle une victime d'un traumatisme s’ouvre à l'autre, que ce soit son passé ou les gens autour de lui. De cette façon, le comportement cognitif des personnages est irrégulier: il est tantôt symptomatique de la perlaboration, tantôt idiopathique du déni. Cela corrobore le fait que la perlaboration et le déni ne sont pas deux processus successifs, avec le début du premier marquant la fin du second, mais sont au contraire étroitement liés: ils s’alternent, et parfois même se chevauchent (Goldberg 2).    
Oscillant entre le déni et la perlaboration, les personnages des romans de McGregor révèlent parfois une propension pour une conception égocentrique de temps, ce qui est typique du déni. Semblable à des enfants égocentriques, ces personnages donnent la plupart du temps l'impression que le temps s’accélère, ralentit, et même s’arrête. Ils affichent rarement une prédilection pour le futur, car un tel concept est pratiquement absent dans l'égocentrisme ainsi que dans le déni. Sans la possibilité de futur, ces personnages présentent à plusieurs reprises un profond sentiment de désespoir. Néanmoins, ils montrent parfois un subtil sens d'espoir. Ceci est dû à leur prédilection intermittente pour une conception objective de temps selon laquelle tout moment présent est conçu comme authentique, autonome, et libre de l'existence latente de tout autre moment non-présent, qu’il soit passé ou futur. Une telle conception objective du temps est caractéristique du relativisme cognitif. Il est également typique de la perlaboration à travers laquelle une victime d'un traumatisme, prenant une distance critique de son passé traumatique, se libère finalement de la présence latente de son horrible passé, et s’ouvre à l'avenir. Cela montre encore une fois que les personnages des romans de McGregor démontrent une tendance incontestable ni au déni, ni à la perlaboration. Au lieu de cela, ils fluctuent entre ces deux réactions traumatiques: ils tournent parfois vers le déni, conceptualisent égocentriquement le temps, et ainsi expriment le désespoir. À d'autres moments, ils manifestent une propension à la perlaboration, développent une conception objective du temps et finalement, dans une expression emblématique d'espoir, s’ouvrent au futur.    
Cette fluctuation entre la perlaboration et le déni trouve aussi son expression à travers le comportement linguistique des personnages. Affichant parfois une propension pour le déni, ces personnages manifestent par intermittence un comportement linguistique semblable à celui d’un enfant au stade égocentrique du développement cognitif. De temps en temps, ils se confient oralement à eux-mêmes. Semblable à un enfant égocentrique, ils parlent la plupart du temps d'eux-mêmes et de leurs propres préoccupations, tout en étant indifférent à ce que les autres peuvent penser ou ressentir. Absorbés dans leurs fantasmes, ces personnages produisent généralement des paroles inintelligibles, manquant de causalité et de référent. Réciproquement, les personnages de ces romans dévoilent à intervalles un penchant pour la langue socialisée qui, comme il a été démontré, est caractéristique du relativisme cognitif, ainsi que de la perlaboration. Ce faisant, ils produisent des paroles sensibles, caractérisées par la causalité et la réciprocité, apte d’une forme socialisée d’interaction verbale. Ainsi, leur comportement linguistique est une preuve supplémentaire de leur tendance ni au déni, ni à la perlaboration. Oscillant entre ces deux réactions traumatiques, les personnages tantôt produisent une langue égocentrique qui est une herméneutique du déni, tantôt ils parlent dans un langage socialisé qui reflète leur propension à la perlaboration.    
En un mot, le comportement cognitif des personnages des différents romans de McGregor, y compris leur conception du temps et de l'espace et leur utilisation de la langue, corrobore le fait que ces personnages, comme l'écrasante majorité des victimes de traumatismes, présentent une tendance à part entière ni au déni, ni à la perlaboration, mais oscillent entre ces deux réactions traumatiques. Dans les deux cas, que ce soit dans le déni ou dans la perlaboration, le traumatisme affecte la capacité cognitive des personnages, notamment leur conception du temps et de l'espace et leur utilisation de la langue, ce qui affecte à son tour leur capacité à s’ouvrir à autrui, que ce soit leur passé traumatique ou les personnes autour d’eux.

Dernière mise à jour : 08/09/2021